Eric Zemmour, le Suicide Français, p.154
Ils avaient pour nom Lamy, Camdessus, Peyrelevade, Lagayette. Ils entouraient Jacques Delors et Pierre Mauroy. Ils avaient établi un « pacte de fer » entre Matignon et la rue de Rivoli, pour résister à toutes les pressions et à toutes les exigences de l’Élysée, comme le reconnaîtra plus tard Delors. Ils étaient catholiques convaincus et sincères, tendance post-conciliaire. Ils avaient renoué avec une conception rebelle et antiétatique, presque anarchiste, du christianisme des commencements. Ils avaient une approche religieuse du libre-échange qui devait « universaliser » l’Humanité et apporter la richesse et le bonheur aux déshérités de la planète, sans oublier la paix. Le protectionnisme était à leurs yeux une immoralité, une oeuvre de Satan. Ils vivront comme une récompense divine l’enrichissement des
« classes moyennes » dans les « pays émergents », Chine, Inde, Brésil, Turquie, etc. Ils estimeront que les millions d’esclaves dans les pays pauvres et le développement massif du chômage et de la précarité dans les pays riches n’en étaient que des effets collatéraux, inévitables et négligeables.
Quelques années plus tard, ils expliqueront avec un rare mépris condescendant qu’à l’heure d’internet et des porte-conteneurs, le protectionnisme est stupide et purement incantatoire. Ils décriront avec une jubilation arrogante ces chaînes de production disséminées dans le monde entier conduisant les pièces détachées venues de partout, et commandées par un ordinateur installé nulle part, vers une usine en Bavière, en Turquie, ou en Inde, où des ouvriers allemands, turcs, marocains, indiens ou
chinois les assembleront, avant que ces produits ne retraversent la planète pour être vendus au consommateur anonyme et universel.
Depuis qu’ils s’étaient ralliés à la gauche dans leur jeunesse, ils avaient lutté contre les socialistes jacobins, dont ils jugeaient le patriotisme et le dirigisme « archaïques ». Ils incarnaient à leurs yeux immodestes le « progrès » contre la « réaction », ainsi que l’expliquera plus tard Pascal Lamy, devenu président de l’Organisation mondiale du commerce. Pour cette phalange de haut vol, l’échec de la relance keynésienne de mai 1981 et le choc de la « contrainte extérieure » furent une « divine surprise ».
jacques-yves.rossignol@outlook.fr
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire