Le déracinement pour cause d'études ou d'emploi est aujourd'hui inévitable. Du moins, on ne voit pas quelle force ou institution politique pourrait le faire disparaître, et on ne voit pas, de toute manière, en quoi il est dommageable à l'équilibre identitaire des hommes, s'il est suivi d'un ré-enracinement dans une nouvelle terre, ou si les racines avec l'ancien terroir sont maintenues, même à distance.
Le problème réside souvent dans l'absence de ré-enracinement et dans la perte de lien avec l'ancien terroir.
Sur le deuxième point, politique familiale et territoriale sont étroitement liées. Il apparaît que le maintien d'une présence foncière dans la terre de ses ancêtres est le meilleur moyen de soutenir ces fragiles racines. C'est pourquoi, il importe de favoriser le patrimoine foncier, sans défavoriser la politique des naissances, en déconnectant le nombre d'enfants de la liberté testamentaire des parents. Celle-ci, en effet, est de plus en plus réduite au fur et à mesure qu'augmente le nombre d'héritiers, tous à parts égales, et que diminue la quotité disponible. Pour pallier ce genre de difficulté, le meilleur moyen est, d'une part, de supprimer les droits de succession sur les biens fonciers, et d'y associer la liberté de tester pour les héritiers en ligne directe. Les parents seront toujours libres de pratiquer le plus parfait égalitarisme, si la situation de leur famille les y oblige. Mais ils seront également libres de réunir sur une seule tête leurs biens fonciers et d'en éviter ainsi la vente. Cette réforme permettrait de créer des patrimoines non pas individuels mais familiaux et d'augmenter l'identification à la terre par l'incarnation familiale. Le terme de patrie, la terre des pères, retrouverait tout son sens. En outre, pour les populations économiquement les plus faibles, il apparaît que ce serait là le seul moyen, en accumulant les biens de plusieurs générations, d'accéder à la propriété. Or, justement, ce sont ces personnes les plus faibles face au déracinement qu'il convient d'aider prioritairement, les riches pouvant plus couramment reconstituer ou maintenir un enracinement territorial et familial.
Le premier point est plus délicat. Comment ré-enraciner ? Le plus avantageux, d’ores et déjà, serait de limiter les déracinements ; non pas en empêchant les personnes de se déplacer, ce qui serait à la fois illusoire et dangereux pour les libertés personnelles des citoyens, mais en accroissant l'attractivité économique des territoires. Ici, on dépasse les questions de politique identitaire pour se plonger dans celles, purement économiques, de l'aménagement du territoire. Aujourd'hui en France, contribuant au déracinement, l'aménagement du territoire est tout à fait déséquilibré, concentrant l'activité économique, scientifique et culturelle autour de quelques pôles urbains majeurs, dont Paris est le premier. Une dizaine d'agglomérations rassemble la majeure partie de l'activité française, affaiblissant les villes moyennes ou petites qui deviennent les banlieues dortoirs des grandes cités, ou pire de simples lieux de villégiatures, contribuant à amoindrir le poids économique des villes placées au cœur de milieux uniquement ruraux. Le principe de subsidiarité, d'après lequel l'échelon de décision le plus adapté doit toujours s'occuper du maximum d'initiatives le concernant, ne déléguant à l'échelon supérieur que ce qu'il ne peut plus réaliser seul, ce principe donc, implique ici tous les acteurs, des entreprises individuelles aux grands groupes industriels en passant des communes à l’État, chacun coordonnant son action avec l'autre, et justement le rôle de coordinateur revient ici à l’État, le seul dont l'ampleur de vue recouvre tout le pays. L'aménagement du territoire doit changer d'optique et promouvoir un développement équilibré, par exemple en soutenant l'agriculture familiale et locale, et l'approvisionnement local prioritaire des firmes de grande distribution. Il devrait en être de même pour les biens de consommation courante de masse, où la production industrielle pourrait se faire localement sans perte d'économie d'échelle. En somme, en s'appuyant sur le marché intérieur, une politique fiscale incitative et des aménagements d'infrastructures de communication plus importants, par exemple en rendant de nouveau la Loire navigable de l'Océan à Nevers, il conviendrait de tout faire, non pas pour amoindrir les pôles déjà existants, mais redynamiser ceux dont partent les hommes.
Une autre piste, pour ré-enraciner est le renforcement de la démocratie locale, en donnant aux citoyens un véritable pouvoir de décision sur leurs lieux de vie, par des conseils de quartier représentant les familles, les associations et le monde du travail, élus démocratiquement et au pouvoir décisionnaire sur les affaires propres au quartier. Cela augmenterait notoirement l'identification au lieu de vie, notamment dans le cas d'un ré-enracinement, par l'association directe aux décisions prises pour faire vivre ou évoluer ce lieu. Il n'y a pas de raison pour que ce système ne soit pas étendu aux zones rurales. La coordination nécessaire à l'échelle communale nécessiterait que le champ des décisions soit strictement limité. Voilà certainement des pistes concrètes pour recréer des espaces de libertés et de protection des citoyens, en les rendant plus maîtres de la terre qu'ils habitent.
Ces questions d'identité territoriale nous plongent immédiatement, on l'a vu, dans le monde du travail.
A suivre…
Gabriel Privat
Du même auteur :
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