Dans la même semaine, Louis XIV perdit son petit-fils, sa petite-belle-fille et leur fils, « tous de très grande espérance et tendrement aimés ». Ce drame rendit d'autant plus précieuse la naissance survenue il y a bientôt trois cents ans...
Cette année-là, la soixante-septième de son règne, Louis XIV, soixante-douze ans, se réjouissait de la naissance, le samedi 15 février à huit heures du matin, d'un deuxième arrière-petit-fils, mis au monde par la duchesse de Bourgogne. L'enfant ondoyé par le cardinal de Janson et titré duc d'Anjou, venait se placer au quatrième rang dans l'ordre de succession au trône, derrière son grand-père le Grand Dauphin, né en 1661, son père le duc de Bourgogne, né en 1682, et son frère aîné le duc de Bretagne, âgé de trois ans. Autant dire qu'il avait fort peu de chances de régner bientôt sur la France...
L'hécatombe
Au vieux roi, devant faire face à de graves revers sur le front du nord, très sensible aux sacrifices de ses peuples encore aggravés par le terrible hiver de l'année précédente (voir L'AF 2000 du 16 octobre 2008), cette descendance apparemment bien assurée apportait un précieux réconfort... Mais... !
Le 14 avril 1711, le Grand Dauphin mourut de la variole, laissant au duc de Bourgogne les honneurs de nouveau dauphin. Puis, dès le 12 février 1712, la duchesse de Bourgogne fut emportée par une "mauvaise rougeole", suivie dans la tombe le 18 février par le dauphin lui-même. Ne restaient plus, comme héritiers de Louis XIV, que les deux petits princes, ducs de Bretagne (nouveau dauphin) et d'Anjou, lesquels, seulement ondoyés, n'avaient pas encore de nom de baptême, et souffraient d'une fièvre inquiétante. On décida de les faire baptiser le 6 mars, par Mgr de Coislin, premier aumônier du roi, et on les prénomma tous les deux Louis. Hélas l'aîné, que les médecins de la Cour et cinq de leurs confrères de Paris tentaient de sauver à coups de saignées, s'éteignit le 8 mars peu avant minuit. Il avait cinq ans et quelques mois. Il fallait maintenant à tout prix sauver le duc d'Anjou, âgé de deux ans. Celui-ci allait devoir la vie à la duchesse de Ventadour, gouvernante des Enfants de France, née Charlotte-Eléonore Magdeleine de la Mothe-Houdancourt, assez mal mariée à Louis-Charles de Lévis, duc de Ventadour, mais portant dignement le nom de cet époux fleurant bon la terre du Vivarais...
Elle montra assez de bon sens et d'autorité pour arracher le petit prince aux médecins. Elle lui donna un petit morceau de biscuit trempé dans du vin, et le tint bien au chaud : au bout de quelques jours le futur Louis XV fut guéri ! La princesse Palatine, belle-soeur de Louis XIV, écrivit : « L'enfant a été sauvé à la honte des docteurs, ce qui prouve bien que les médecins ont tué le petit dauphin (Bretagne), lui aussi, comme ils ont tué son père et sa mère. » Molière, disparu trente ans plus tôt, n'aurait pas été étonné...
La succession
Quant à Louis XIV, éperdu de chagrin, il disait au maréchal de Villars : « Il y a peu d'exemples que l'on perde dans la même semaine son petit-fils, sa petite-belle-fille et leur fils, tous de très grande espérance et tendrement aimés. Dieu me punit, je l'ai bien mérité. » Il fallait pourtant continuer de mener cette malheureuse guerre de Succession d'Espagne, qui risquait de finir par un démembrement de la France. Mais les Français se redressèrent magnifiquement. Le 30 juillet 1712, Villars remportait la victoire de Denain. Les ennemis réduisirent alors leurs exigences, et les traités d'Utrecht, signés en 1713, allaient protéger notre frontière du nord jusqu'à la Révolution.
Souci oppressant
Le souci du roi n'en était pas moins oppressant : il allait devoir laisser la couronne à un jeune enfant, et les disputes pour la régence ne manqueraient pas de se déchaîner. À Utrecht avait été confirmée la renonciation au trône de France de celui des petits-fils de Louis XIV, Philippe duc d'Anjou, qui était devenu Philippe V, roi d'Espagne en 1700. D'ailleurs le fait que le futur Louis XV portât le titre de duc d'Anjou à son tour, prouvait bien que ce titre-là était pour toujours un titre français qu'aucun Bourbon d'Espagne ne porterait légitimement... Comble de malheur : un troisième petit-fils de Louis XIV, Charles, duc de Berry, trépassa le 4 mai 1714 de l'éclatement d'une veine dans son estomac en voulant relever son cheval. Il ne restait au roi plus qu'un seul neveu, Philippe duc d'Orléans, qu'il n'aimait guère, à tel point qu'il crut devoir légitimer deux de ses bâtards afin de neutraliser l'influence de cet Orléans dans l'éducation du futur roi...
Dès le milieu de 1715, la santé du roi déclina, la gangrène progressait... Le 1er septembre, à huit heures du matin, il mourait pieusement à soixante-dix-sept ans, ayant accompli le règne le plus long de l'histoire de France. À la grande fenêtre du château de Versailles, un officier en plumet noir cria « Le roi est mort », puis, se retirant pour arborer un plumet blanc, revint et cria « Vive le roi Louis XV » et toute la Cour courba le genou devant l'enfant.
Michel Fromentoux L’ACTION FRANÇAISE 2000 du 4 au 17 février 2010
✓ Lire Aimé Richardt : Louis XV le mal-aimé. Préface du prince Jean de France duc de Vendôme ; postface de Michel Fromentoux. À nos bureaux, 29 euros.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire