La parution chez Via Romana des souvenirs de jeunesse de Jacques Perret (il a écrit cinq tomes de souvenirs) nous offre l'opportunité de (re)découvrir ce très grand écrivain de droite, au style éblouissant, que l'on a comparé à Marcel Aymé (en moins sombre) et à Raymond Queneau (en moins gai). Né à Trappes dans les Yvelines le 8 septembre 1901, il mènera une vie aventureuse et publiera nombre de romans, dont son chef-d'œuvre, Le Caporal Epinglé, qui faillit obtenir le prix Goncourt en 1947. Il y raconte avec humour sa captivité en Allemagne et ses différentes tentatives d'évasion. Le livre sera adapté au cinéma par Jean Renoir. Militant royaliste, défenseur déterminé du trône et de l'autel, il avait même collaboré à Je suis partout, avant-guerre, et rejoindra pendant l'Occupation les maquis de la Résistance, épisode qu'il racontera dans son livre paru en 1951, Bande à part, qui obtiendra le prix Interallié. Son anticonformisme, son panache, ses engagements politiques, son style incisif et son goût des œuvres courtes peuvent le rapprocher des Hussards lit-on sur Wikipédia. Défenseur farouche de l'Algérie française, il est déchu, en mai 1963, de ses droits civiques, et se voit retirer sa médaille militaire, ayant lourdement déplu à De Gaulle pour différents articles et quelques offenses à la Légion d'honneur. Il meurt le 10 décembre 1992 à Paris.
La vie en famille et l’approche de la guerre
Penchons-nous sur ce livre qui plaira aux Rivaroliens. Voici quelques extraits : « Un jour que la question revenait une fois de plus sur la nappe, quelqu'un avait de nouveau conclu sur le ton fatigué des vérités premières que la volonté n'était qu'un moyen, il importait de ne l'exercer qu'à bon escient et surtout de persévérer. Attention, fit alors un familier de la maison, attention ! tout le monde regorge de bon escient et la persévérance est aussi la vertu de nombreux abrutis. » Jacques Perret évoque dans ses mémoires sa famille unie et aimante et ce grand frère adoré qui mourra en 1916 sur le front de Somme. Et puis il raconte les bêtises d'enfant, avant d'évoquer l'approche de la plus monstrueuse bêtise : la guerre européenne. Il écrit (nous sommes en 1914) : « Depuis Pâques environ nous avions l'agréable illusion qu'avant peu nos pires sottises ne seraient que peccadilles et tout au plus sanctionnées en contrecoup d'une suprême et universelle sottise en voie d'accomplissement. Cette ère nouvelle avait commencé le jour de Sarajevo. » Perret évoque aussi son père, une personnalité que l'on devine plutôt effacée, voire solitaire, dont il dit que la société ne lui déplaisait pas « à condition de ne pas y briller. Pourtant et plus d'une fois je l'ai vu briller, par mégarde, à son corps défendant, pas plus de cinq minutes ». Et il ajoute : « Pour entretenir la compagnie en nombre et en qualité, Thérèse (sa mère) avait cessé de compter sur son mari. » Jacques Perret dit de son père, qu'il avait peut-être quelque peu méprisé, dans un passage plein de délicatesse, de pudeur et de discrétion son regret de ne pas l'avoir suffisamment connu, de ne pas lui avoir suffisamment parlé et peut-être pas suffisamment aimé. On pense, en lisant ces lignes émouvantes, à la magnifique chanson de Daniel Guichard, « Mon vieux ».
Les bonnes devenues sociologues
Perret évoque le Paris de ces années-là, et l'illustre avec les chambres de bonnes. Il écrit : « En dépit du béton et de ses métastases nous vivons un peu dans le Paris du XIXe siècle. A voir aujourd'hui encore dans tous les quartiers, y compris les faubourgs, toutes ces maisons couronnées de chambres de bonnes il faut croire à l'importance capitale de la domesticité dans une civilisation qui n'est plus la nôtre, mais il n'y a pas de civilisation de rechange, c'est un mot que nous maltraitons et trahissons au pluriel. » Pensée, oh combien juste... Et Perret de poursuivre au sujet des bonnes : « Aujourd'hui nos bonnes devenues sociologues se retapent les six étages pour sonder les reins et les cœurs de ces peuplades mélangées des deux sexes et trois mondes qui ont tant de choses à nous apprendre : les enfants perdus de la décolonisation, l'intelligentsia congolaise et les boursiers terroristes [...] les bonnes enfin, ibériques, bavardes et trapues. » Aujourd'hui Perret évoquerait sans doute des bonnes africaines et maghrébines, mais sa conclusion reste juste : « C'est le processus de mondialisation de nos ghettos gaulois. »
L’irrespect moderne à l’égard des défunts
Il se souvient aussi de ces fêtes, telle la Toussaint où « l'immensité enfouie de la famille parisienne montait au rendez-vous de sa progéniture vivante » et note : « Aujourd'hui que la Fête-Dieu elle-même fait honte à nos évêques et s'il est vrai, comme le bruit en court dans les milieux avancés de la théologie, que Dieu et mort, évidemment que les morts n'ont plus rien à fiche de la sollicitude des vivants et réciproquement. » Au sujet des cimetières, il écrit : « Il appartient encore à la promotion immobilière de mettre fin au scandale des grandes surfaces improductives invétérées dans la superstition funéraire. » Et Perret de poursuivre avec un humour grinçant : « Sachant que les Anglais font des savonnettes avec les déchets de leurs avortoirs, il faudra bien que nos défunts se laissent aussi convertir en cosmétiques, industrie nationale ; des échantillons seront distribués aux membres de la famille...»
Que de morts dans toutes ces guerres
La famille de Jacques Perret paya un lourd tribut à la Patrie. La mort de son grand frère Louis dévasta sa mère, qui ne s'en remit jamais. Le dernier né de la grande famille, Jean, alors âgé de neuf ans, que Jacques considérait comme son petit frère, tombera trente ans plus tard en Syrie. Perret écrit : « Pieux soldat qu'il était, je parie bien que son âme fut assistée par Saint-Louis. En 1944 et du haut de sa béatitude, le saint roi ne voyait dans nos déchirements que rivalités de connétables. Mais dix-huit ans plus tard, voyant nos croix souillées, nos cimetières conchiés, nos renégats au pinacle et nos derniers soldats reconduits aux bras d'honneur, il se retournera solitaire et oublié dans son lit de cendres ». Mais revenons à la guerre, l'épouvantable guerre. « Il régnait alors et de nouveau », dit Jacques Perret, « sur la France comme un esprit de famille ramené à cette convention tacite que toute injure ne venant pas d'un membre de la famille est aussitôt ressentie sinon vengée par 39 millions de neveux et cousins porteurs du nom Français ». En quelques mois tous les amis de son frère Louis étaient tués ; l'un d'eux, son préféré, tombait le quatrième d'une famille de cinq garçons. Il écrit : « Il y avait tant de morts que les douleurs s'épaulaient dans la communion des douleurs et que la France toute entière pleurait par nos yeux ».
La démocratie et « les métastases d’un cancer leucémique »
Dans les dernières pages du livre, Perret cite ces « enragés serviteurs de la Démocratie majuscule et fumigène dont la France était le glaive et la torche » et il ajoute : « N'empêche que Louis est bien mort pour la France avec un million et demi de ses camarades, sans bien se douter à quel point on exigerait qu'ils mourussent d'abord pour le triomphe des droits de l'homme et de leurs mensonges. Enfin bref, des gens beaucoup plus sérieux et informés ont découvert avant moi que la démocratie prospérait en France et dans le monde comme les métastases d'un cancer leucémique. Dieu sait pour quel présidium de cyclopes nos pioupious syndiqués se laisseront mourir dans la troisième guerre mondiale ». La conclusion de Jacques Perret : « Sachez au moins que je ne conseillerai à personne de ne plus aimer la patrie sous prétexte qu'elle a cessé d'être aimable »...
R. S. Rivarol du 5 novembre 2015
Jacques Perret, Raisons de famille, 326 pages, 25 euros, Via Romana.
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