L’Histoire de l’Europe est jalonnée par les figures de grands hommes qui surent marquer les mémoires par la puissance de leurs actes, la hauteur de leur âme ou la force de leur caractère. Le récit de leurs hauts faits ou de leurs aventures ont traversé les siècles, alimenté les arts et nourri les imaginaires des générations nouvelles. La vie de Rodrigo Díaz de Vivar, dit Le Cid, en est un parfait exemple. Ce chevalier issu de la petite noblesse sut, par son caractère, son audace et son talent, tirer son épingle du jeu au milieu de ce « far west » du Moyen-Âge qu’était l’Espagne de la Reconquista au point de s’élever jusqu’aux plus hautes cimes et laisser la trace d’une gloire impérissable qui inspira encore plusieurs siècles après sa mort. Retour sur une existence hors du commun qui doit encore aujourd’hui nous inspirer, à l’heure où notre pays, envahi par les masses afro-mahométanes et de plus en plus divisé, ressemble chaque jour davantage à ces terres désolées où seuls les véritables aventuriers peuvent accomplir de grandes choses.
Une roycaille du XIe siècle
L’Espagne du XIe siècle, marche occidentale de la Chrétienté face au monde islamique, était alors une zone de guerre continuelle, théâtre de combats entremêlés qui voyaient s’opposer chrétiens et musulmans mais aussi chrétiens ou musulmans entre eux. Le destin d’un jeune chevalier désœuvré en quête d’aventures et de gloire est alors de mettre son épée au service d’un des multiples princes qui dominaient alors la péninsule. Né en 1043 à Vivar en Castille, le jeune Rodrigue se met au service de son roi Alphonse VI et combat pour lui le roi chrétien de Navarre. Se distinguant par ses prouesses militaires au cours desquelles il acquiert le surnom de Campeador (« vainqueur des batailles »), il reçoit de son seigneur la main d’une illustre fille de sa parentée, la belle doña Chimène.
Banni de Castille à la suite d’une de ces intrigues de palais dont l’Espagne avait seule alors le secret, il se lance à l’aventure, déterminé à se distinguer par ses prouesses et à se faire une place au soleil en profitant des opportunités que l’imbroglio politique et militaire ouvrait alors à tous les hommes de valeur. Il n’hésite donc pas à mettre son épée au service du prince musulman de Saragosse Muqtadir, et à combattre pour lui son ancien ennemi le roi de Navarre ainsi que le comte de Barcelone, tous deux princes chrétiens. Il prend alors le nom de Cid qui vient de l’arabe Sayyad qui signifie « seigneur ». Finalement réconcilié avec Alphonse VI qu’il n’a en définitive jamais trahi, il mène ses armées contre les terribles Almoravides qui envahissaient la péninsule ibérique vers 1094. Ces princes berbères originaires du Maroc s’étaient bâti un véritable empire sur les deux rives de la Méditerranée. Les royaumes chrétiens et musulmans d’Espagne, alors divisés, auraient bien pu être balayés par ces fanatiques et l’Histoire retient que le Cid ne fut pas pour rien dans la défaite de ces envahisseurs.
Après cet exploit, en véritable aventurier, il décide de s’affranchir du prince musulman allié d’Alphonse VI aux côtés duquel il avait combattu les Almoravides pour conquérir la ville de Valence, établissant ainsi le premier royaume chrétien créé ex-nihilo en territoire musulman, avant même celui de Jérusalem fondé en 1099 après la 1e croisade. « Roi de Valence » il marrie ses deux filles à ses anciens adversaires chrétiens, l’une au roi de Navarre, l’autre au comte de Barcelone. Sa femme Chimène continue à régner après sa mort en 1099 mais sa disparition en 1115 entraîne la fin de ce royaume chrétien, reconquis par les Maures.
Une légende de la Reconquista
« Aventurier de la frontière, avide d’exploits chevaleresques et de butins, servant chrétiens et musulmans et dont la guerre assura la promotion sociale » (Denis Menjot, historien), le Cid s’imposa dès après sa mort dans l’imaginaire européen comme l’archétype du chevalier de la Reconquista. Sa figure de héros mythique fut établie à travers un poème, le Carmen Capeadores, qui conte ses exploits. En raison de sa contribution à la guerre contre les musulmans, on le soupçonne lui et sa femme Chimène, d’être morts en odeur de sainteté. Le roi de Castille Alphonse X effectue même au XIIIe siècle un pèlerinage sur sa tombe.
L’exceptionnel destin de ce couple mythique continua d’alimenter les rêves des générations d’européens jusqu’au XVIIe siècle encore. Là où le Moyen-Âge faisait du Cid un saint de la Reconquista, modèle de vertu chevaleresque, les temps modernes le transforment en héros de la guerre et de l’amour, tiraillé entre respect paternel et sa passion pour la belle Chimène. La pièce de Corneille Le Cid (1636) en est l’illustration la plus magistrale.
CHIMÈNE
Cruel ! à quel propos sur ce point t’obstiner ?
Tu t’es vengé sans aide, et tu m’en veux donner !
Je suivrai ton exemple, et j’ai trop de courage
Pour souffrir qu’avec toi ma gloire se partage.
Mon père et mon honneur ne veulent rien devoir
Aux traits de ton amour, ni de ton désespoir.
DON RODRIGUE
Rigoureux point d’honneur ! hélas ! quoi que je fasse,
Ne pourrai-je à la fin obtenir cette grâce ?
Au nom d’un père mort, ou de notre amitié,
Punis-moi par vengeance, ou du moins par pitié.
Ton malheureux amant aura bien moins de peine
À mourir par ta main qu’à vivre avec ta haine.
CHIMÈNE
Va, je ne te hais point.
DON RODRIGUE
Tu le dois.
CHIMÈNE
Je ne puis.Corneille, Le Cid, acte III, scène 4
Héros historique dont la légende a fait une figure mythique, le Cid a alimenté l’imaginaire des européens pendant près de 1000 ans. Que son souvenir et son exemple continuent de faire de nous des hommes européens valeureux et accomplis, dans une époque chaque jour plus sombre où, selon le mot de Bernanos, il faut plus que jamais « beaucoup de prodigues pour faire un peuple généreux, beaucoup d’indisciplinés pour faire un peuple libre, et beaucoup de jeunes fous pour faire un peuple héroïque ».
PS. Cet article est rédigé en hommage à une Chimène qui se reconnaîtra.
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