mardi 15 septembre 2015

SCHMITT, PETERSON, BLUMENBERG LE GRAND DEBAT SUR LA « THEOLOGIE POLITIQUE » Alain de BENOIST

On définit habituellement la sécularisation comme le processus d'autonomisation du politique et, plus généralement, de l'ensemble des pratiques sociales par rapport à l'autorité de l'Eglise et à la matrice religieuse qui organisait, ordonnait et patronnait ces pratiques sociales et politiques sous L'Ancien Régime. La sécularisation se développe à partir du XVIIIe siècle, en grande partie sous l'effet de la philosophie des Lumières, qui va elle-même de pair avec l'autonomisation de la classe bourgeoise vis-à-vis de l'aristocratie et l'autonomisation de la sphère économique et marchande vis-à-vis du politique. Le résultat est que la religion perd toute fonction sociale décisive. Elle ne légitime plus le pouvoir politique. Apparaît alors une hétéronomie nouvelle résultant de l'autonomie de l'Etat, puis de la société, par rapport au pouvoir spirituel ou de droit divin. Bernard Bourdin parle très justement de « passage de la primauté de la médiation ecclésiale sur l'ordre politique à la primauté de la médiation de l'Etat sur l'ordre religieux »\ passage qui signifie que le rapport analogique entre l'ordre terrestre et le gouvernement de Dieu n'existe plus. Les croyants sont toujours là, mais leur croyance est assimilée à une opinion parmi d'autres au sein de la société civile. Les institutions religieuses se retrouvent cantonnées dans la gestion du for intérieur. On assiste, en d'autres termes, à une privatisation de la foi. Parallèlement, l'expansion de la rationalité instrumentale au sein de la société parachève le « désenchantement du monde » (Entzauberung der Welt) évoqué par Max Weber, qu'il faut aussi entendre comme bureaucratisation et mécanicisation progressive du monde.
Qu'elle se rapporte au transfert de la médiation ecclésiale sur l'Etat souverain (Hobbes et Spinoza) ou à la neutralisation de toute médiation hiérarchiquement forte, aussi bien ecclésiologique que politique (John Locke), la sécularisation, terme éminemment polysémique (on notera qu'il apparaît dès 1559 dans la langue française avec un sens péjoratif), apparaît donc avant tout comme une rupture. Mais la question qui se pose est celle de la réalité (ou du degré de réalité) de cette rupture. Si l'on se borne à définir la sécularisation comme retrait de la religion de la sphère dominante et reconstruction des institutions sur une base « rationnelle », la rupture n'est évidemment pas contestable. « Mais si la sécularisation désigne essentiellement un transfert du contenu, des schèmes et des modèles élaborés dans le champ religieux, si la religion continue ainsi d'irriguer les temps modernes à leur insu, le théorème de la sécularisation constitue une mise en question des deux croyances modernes fondamentales. Les temps modernes ne vivraient que d'un contenu légué, hérité, malgré les dénégations et les illusions d'autofondation. Les temps modernes ne seraient pas alors des temps nouveaux, fondés et conscients de leurs fondements, mais ne seraient que le moment où s'effectue un changement de plan, une "mondanisation" du christianisme »2. D'où cette question fondamentale : « Les temps modernes constituent-ils l'époque du retrait de la religion comme secteur dominant et de l'autoaffirmation de l'homme par la seule raison, ou bien la prétention de fonder la pensée et la société sur des fondements neufs n'est-elle qu'une illusion, contredite par le transferts de contenus religieux au centre même des élaborations de la raison moderne ? »3

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