Parmi les multiples anniversaires de l'année qui s'achève, il en est un qui n'a fait aucun bruit — et pour cause ! — puisqu'il s'agissait de celui de la loi du 15 juillet 1914, par laquelle fit son apparition en France l'impôt sur le revenu ! En ces jours où les Français sont immanquablement portés, lorsqu'ils entendent parler d'impôt, à suivre l'exemple de Joseph Goebbels quand il entendait le mot "culture"..., mieux valait pour François Hollande et les socialistes actuels ne pas trop exalter les "trouvailles" de leurs ancêtres d'il y a un siècle...
UN FOU NOMMÉ JOSEPH CAILLAUX
J'ai remis ces jours-ci la main sur un livre paru en 1977 et intitulé La gestapo fiscale du talentueux pamphlétaire qui m'honorait de son amitié : André Figueras (1924-2002). On y apprend des choses époustouflantes sur Joseph Caillaux (1863-1944), "père" de cet impôt sur le revenu, qui, chaque année, empêche de dormir maints Français, quand il ne les condamne pas tout simplement au suicide... André Figueras ne mâchait pas ses mots : pour lui, cet impôt était « l'œuvre d'un fou », et notre auteur ne manquait pas d'anecdotes prouvant que le ministre des Finances d'il y a cent ans n'avait point tout son bon sens. Par exemple, il urinait dans la cheminée devant les convives ébahis du Cercle républicain, avenue de l'Opéra, comme le raconta André-Jean Godin, qui fut un temps vice-président de l'Assemblée nationale... D'autres témoins avaient rapporté à Figueras que Caillaux, chaque fois qu'il se rendait chez une certaine dame, en montant, urinait dans l'ascenseur... Puis il y avait cet extrait des Mémoires de Jules Moch, lequel, chargé par le président du Conseil d'aller au Sénat proposer une solution de compromis à Caillaux, s'entendit répondre par celui-ci : « Allez dire à Léon Blum que j'aimerais mieux m'arracher mille millions de fois les poils du c... que d'accepter ! » Cet homme hautement distingué était le mari de la célèbre Mme Caillaux, qui assassina avec préméditation à coups de revolver en mars 1914 le directeur du Figaro Gaston Calmette à qui elle reprochait d'avoir publié une lettre d'elle à son mari alors qu'elle n'était encore que sa maîtresse... Le scandale de l'acquittement de la meurtrière n'avait nullement conduit le ministre à se retirer. Il trouva même le moyen de se faire réélire aux élections législatives de 1914.
Ce personnage plus que douteux « dont le visage serré avait quelque chose de maudit », réussit quand même « par un tour de passe-passe antinational, à faire voter cet impôt sur le revenu dont, jusqu'alors, les législateurs français avaient légitimement repoussé le projet » (Figueras). Jusqu'en 1908, il n'y avait point d'impôt sur le revenu et Caillaux lui-même, qui s'était illustré en 1907, par un projet consistant à remplacer les quatre impôts (les « quatre vieilles » : contribution foncière, contribution mobilière, patente, impôt sur les portes et fenêtres), créés pendant la période révolutionnaire, par un impôt progressif sur le revenu global, avait dû retirer son texte devant l'opposition du Sénat. « D'une façon générale, du reste, dit Figueras, il y avait infiniment moins d'impôts qu'aujourd'hui et la France était alors une grande et riche puissance. Et je pense pour ma part qu'il y a corrélation totale entre les deux choses ». Nous pensons évidemment de même.
MALTHUSIANISME, DÉLATION, ARBITRAIRE...
Car qui voulait alors ardemment cet impôt sur le revenu ? Laissons parler Figueras : « Les socialistes, ennemis éternels de la grandeur, de la gloire, de l'essor, de l'initiative et même de la victoire. Les socialistes, qui ont toujours contrecarré notre expansion coloniale. Les socialistes, qui pensent petit, haineux, médiocre, jaloux. Les socialistes, qui détestent tout ce qui est supérieur, qui ne rêvent que d'uniformité dans l'insignifiance. [...] L'impôt sur le revenu, c'est la toise imbécile, c'est le lit de Procuste qui veut mettre tout le monde à la même taille. Du reste ces imbéciles haineux ne cachent même pas leur programme : ils veulent que l'impôt soit un moyen de redistribution des revenus. Comme si cela était son rôle... »
Or Caillaux profita de l'accélération de toute chose politique à rapproche de la guerre pour faire passer le 15 juillet 1914 son projet d'« impôt sur le revenu des personnes physiques », impôt déclaratif qui se fait par le biais d'une déclaration de revenus. Le ministre, « grand homme des hommes petits » (Figueras), créa du même coup « ces petits messieurs, socialistes ou non, que sont les inspecteurs des impôts, ces nigauds entichés de paroles, si contents d'eux-mêmes, si convaincus de leur infaillibilité, si impavides qu'ils trouvent légitime de s'arroger toutes les bonnes places » (Figueras).
Et André Figueras concluait son chapitre par cette déclaration cinglante, à laquelle on ne peut guère ne pas souscrire douze ans après sa mort : « L'impôt sur le revenu, c'est l'injustice, c'est l'insécurité, c'est le malthusianisme, c'est la délation, c'est l'arbitraire, bref, c'est l'œuvre signée d'un fou. »
HOLLANDE JUGÉ PAR PROUDHON
Dans le même livre La gestapo fiscale, André Figueras, décidément bien inspiré, citait aussi le penseur de ce que l'on a appelé le socialisme libertaire et qui n'était pas si révolutionnaire qu'on l'a dit : Pierre-Joseph Proudhon (1809-1865). Celui-ci rappelait, dans Théorie de l'impôt (1861), des principes de bon sens, telle la conception de l'impôt comme la quote-part à payer par chaque citoyen pour la dépense des services publics, fi en résultait que « ce que le pouvoir donne aux citoyens en services de toutes sortes doit être l'équivalent exact, de ce qu 'il leur demande soit en argent soit en travail ou en produits » autrement dit : « tout produit ou service doit, à peine de se liquider en perte, répondre à un besoin tel que celui qui éprouve le besoin consente à donner du produit un prix égal au moins à la dépense que ce produit colite. »
Proudhon constatait que « le gouffre fiscal est plus profond, plus avide, qu'on ne l'avait vu au beau temps des monarchies et des aristocraties de droit divin ; c'est pourquoi la maxime : "faire rendre à l'impôt tout ce qu'il peut donner" est une maxime essentiellement moderne. Rigueur dans la perception, élévation des taxes au maximum de rendement, voilà la règle... » On croirait que Proudhon devinait déjà François Hollande et la gauche au pouvoir, lesquels augmentent les impôts sans tenir compte le moins du monde de l'intérêt du contribuable... Il en découle que déterminer le point juste auquel l'impôt donnera la plus grosse recette possible est une méthode perverse. Et Proudhon de continuer : « De même que l'on peut juger de la bonne tenue d'une maison de commerce et d'une entreprise industrielle par la modicité de ses frais généraux, de même on peut augurer favorablement de l'administration d'un État, de la capacité et de la sévérité de ses directeurs, de la liberté et de l'aisance des citoyens, par la médiocrité de l'impôt.» Nos hommes de gauche et même de droite d'aujourd'hui auraient tout intérêt à relire Proudhon au lieu de s'obstiner à le traiter d'anarchiste. Ils apprendraient de lui des règles de conduite utiles et bénéfiques à tous : « Pas un impôt dont on ne puisse dire qu'il est un empêchement â la production ! Et comme l'inégalité la plus criante est inséparable de toute fiscalité (attendu que toute contribution retombant sur la masse dégénère en une capitation), pas d'impôt dont on puisse dire encore qu'il est un auxiliaire du parasitisme contre le travail et la justice ! »
POUR UNE RÉORGANISATION DU FISC... ET DE L'ÉTAT
Charles Maurras, qui n'était pas un ennemi de Proudhon auquel il reprochait seulement de ne pas pousser jusqu'au bout son fédéralisme en le couronnant d'un pouvoir fort, pensait pour sa part en 1913 — donc un an avant que la loi fût votée —, que l'impôt sur le revenu frapperait surtout les classes moyennes, celles qui sont incorporées au sol, et qui ne pourraient lui échapper : « C'est sur la propriété immobilière, sur la moyenne et la petite propriété que tout retombera en dernière analyse. L'industrie et l'agriculture paieront c'est-à-dire, en France, la classe sociale qui est la plus étendue, la plus vigoureuse et qui a toujours fait l'orgueil et le renom du pays, celle qui ne se tient ni si haut ni si bas, celle dont la modestie conserve dignement tes importantes accumulations du passé et couve les précieuses réserves de l'avenir ! En frappant les classes moyennes, l'État français ferait un pas de plus dans la voie de son suicide » (Action française, 9 septembre 1913).
Et à ceux qui lui disaient que cet impôt réaliserait la justice, Maurras répondait : « L'impôt est fait pour subvenir aux frais de l'État. Qu'il y subvienne avec justice, cela est naturel, normal et va de soi : tout dans l'État doit se poursuivre aussi justement que possible, la police, l'organisation militaire, le fisc et le reste... La justice n'est qu'une modalité générale, elle est commune au fisc et à mille choses. Elle n'en est pas, elle ne peut pas en être le but premier. »
Il ne s'agit donc pas de se référer au principe de la justice en matière fiscale, car c'est l’utile qu'il faut considérer. L'utilité sociale et l'unité nationale exigent une contribution forte des citoyens, surtout des plus riches. « Reste à voir comment on l'aura. Moins prévoyant que l'ancien régime, moins fort aussi, moins respecté, l'État démocratique ne peut demander de "don gratuit" à de grandes collectivités possédantes, pour la bonne raison qu'à part très peu d'exceptions près, il ne les a pas laissées subsister. » L'impôt sur le revenu ne saurait donc être un moyen d'obtenir des particuliers ce qu'il eût été facile autrefois de réclamer du généreux patriotisme des grands corps (clergé, noblesse, hôpitaux...)
Maurras poursuivait sa réflexion : « Le travail et le capital organisés, c'est-à-dire rassemblés en une série de corps d'État où la division en ordres se substituerait à la funeste divisions en classes, cela amènerait à la constitution de puissances collectives sur lesquelles l'État pourrait compter non seulement du point de vie militaire et civil, mais même du point de vue fiscal. On pourrait imposer, non les riches, mais les grands corps possédant de grandes richesses. Ces corps pourraient ensuite répartir dans leur sein les contributions. Dans un pays émietté, atomisé, individualisé comme le nôtre, taxer les riches, essayer de taxer la fortune acquise ne représente qu'une aventure chanceuse, aventure onéreuse et finalement décevante pour l'État qui va la courir. Au contraire, pour un pays organisé et distribué, un pays où l'Etat ferait des catégories de citoyens, catégories avouées et reconnues, cela eût signifié quelque chose. Le fisc de l'État français n'a devant lui que des individus et qui menacent tous de fuir entre ses doigts » (Action française, 20 août 1913).
Le pire est que cette massification des individus, sans moyens de résistance et de réfrènement, est l'état normal de la démocratie, laquelle a besoin de cette masse inorganisée qu'elle laisse entre les mains de parasites et de pillards. Il manque à la France le roi, chef de famille attentif et dévoué, qui puisse gérer les richesses du pays avec sagesse, loin de toute idéologie.
Michel FROMENTOUX. RIVAROL 20 NOVEMBRE 2014
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