L’écrivain congolais Alain Mabanckou s’attaque à un tabou de l’Afrique contemporaine concernant l’esclavage et la traite négrière.
(…) La traite des Noirs est une honte pour l’humanité. Un crime contre l’humanité. Qu’elle soit le fait des Européens, via l’Atlantique. Ou des Arabes, via le Sahara ou Zanzibar.
«Pourtant, il serait inexact d’affirmer que le Blanc capturait tout seul le Noir pour le réduire en esclavage. La part de responsabilité des Noirs dans la traite négrière reste un tabou parmi les Africains, qui refusent d’ordinaire de se regarder dans un miroir», assure Mabanckou.
Ce passage, extrait du chapitre «Le devoir de violence», constitue un des piliers de l’ouvrage. Il a pourtant été peu remarqué par les commentateurs à l’heure pourtant où l’Histoire (avec un grand H) des Noirs de France s’écrit, où les ouvrages et les articles se multiplient sur l’esclavage et la traite. A l’heure où la nouvelle Afrique émergente est moins encline à jouer le rôle de victime (de la traite, de la colonisation ou du capitalisme occidental) pour devenir un acteur incontournable dans le monde.
L’Afrique compte un milliard d’habitants aujourd’hui et en aura deux milliards en 2050.Que le monde le veuille ou non, il faudra compter avec le continent. Jamais l’humanité n’aura connu une telle explosion démographique dans un laps de temps aussi court.
Avec un habitant sur deux ayant moins de 20 ans, l’Afrique doit-elle toujours ressasser le passé de la traite et de l’esclavage? Ou mettre l’accent sur des figures plus positives, de résistants à la traite, aux colonisateurs (européens) et aux dictateurs (africains)?
L’Afrique peut-elle également accepter avoir eu en son sein des «négriers» ? Mabanckou pose la question:
«Faut-il sans cesse nier que pendant ce trafic les esclaves noirs étaient rassemblés puis conduits vers les côtes par d’autres Noirs ou par des Arabes ?».
L’écrivain congolais, qui vit entre la France et les Etats-Unis, où il est professeur, n’est pas le premier à pointer du doigt la responsabilité africaine dans l’horreur de la traite.
Le Malien Yambo Ouologuen avait en 1968 revisité l’histoire africaine, soulignant que les horreurs de l’esclavage existaient sur le continent bien avant l’arrivée des Blancs.
Et Mabanckou s’inscrit dans sa lignée, reprenant même le titre de son ouvrage «le devoir de mémoire» dans ce chapitre essentiel. Mais aujourd’hui, en France comme en Afrique, qui connaît Ouologuen? Qui le lit encore? (…)
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