Histoire de la commune.
♦ Frédéric Malaval, philosophe, essayiste, écrivain.
A l’origine, la commune est un regroupement d’habitants organisé à partir d’un lieu singulier comme un territoire bénéfique, un château, un monastère, une propriété agricole, etc. Avant la domination romaine, puis franque, la propriété des tribus, des communautés ou des clans était collective.
Chaque regroupement occupait un territoire qu’elle exploitait en commun. La propriété privée existait, mais elle était marginale.
Puis, la civilisation romaine modifia sensiblement cette organisation sociale, mais sans aboutir aux bouleversements provoqués par la francisation du territoire. Ainsi, au Xe siècle, rares sont les cités qui n’ont pas encore perdu leur administration et leurs biens. Seules les grandes villes où la bourgeoisie peut créer un rapport de force favorable repousse l’empiètement du seigneur ou de l’évêque. Les révoltes communales sont les moments forts ponctuant cet antagonisme. En revanche, les petites cités et les villages n’ont plus rien en propre, leur sujétion au pouvoir féodal est complète.
C’est aux XIe et XIIe siècles que les communes se retrouvent maîtresses de leur administration et leurs biens purgés des droits féodaux de toute sorte. Mais cette situation est le résultat de luttes incessantes entre la commune et le château. Ce dernier est définitivement hors jeu à l’issue de la Révolution française de 1789 : l’ultime révolte communale en quelque sorte. Mais alors ce fut une bourgeoisie acquise aux vertus de la propriété individuelle qui contesta l’organisation communautaire du territoire. Dans la nuit du 4 août 1789, les députés de l’Assemblée nationale constituante proclament l’abolition des droits féodaux et de divers privilèges, déclarant ainsi que le sol était libre comme les personnes qui l’habitent.
Cette disposition ne fit que consacrer une évolution fondamentale du XVIIIe siècle que les historiens résument par l’expression de mouvements des enclosures. Cet anglicisme désigne les changements qui, dès le XIIe siècle en Angleterre, bouleversent une agriculture traditionnelle reposant sur un usage collectif de la terre, transformé en un système de propriétés privées ; chaque champ est séparé du champ voisin par une barrière à l’origine du bocage. Ce bocage est à son maximum au milieu du XVIIIe siècle pour commencer à disparaître cent ans après avec la mécanisation de l’agriculture et le remembrement qu’elle impose. Les enclosures marquent la fin des droits d’usage, en particulier des communaux, dont bon nombre de paysans dépendaient.
Ce phénomène d’enclosures participe à une appropriation du sol par des personnes disposant de capitaux et supprimant les droits communaux qui permettaient une utilisation collective de l’espace. Il fit basculer des millions d’hectares du statut de res communis (bien commun) dans celui de res propria (bien approprié), laissant sous le statut de res nullius (chose nulle ou chose de personne) ce qui n’a pas été approprié. Res communis et res nullius sont des biens inappropriés. Jean-Jacques Rousseau fut un des philosophes mesurant les mutations sociales que cette évolution allait provoquer en affirmant dans son Discours sur l’origine de l’inégalité de 1755 : « Le premier qui ayant enclos un terrain s’avisa de dire : Ceci est à moi, et trouva des gens assez simples pour le croire, fut le vrai fondateur de la société civile ».
Le Code Napoléon a bien tenté de considérer que « les biens communaux sont ceux à la propriété ou au produit desquels les habitants d’une ou plusieurs communes ont un droit acquis », mais en les rangeant dans la classe des propriétés privées, il permit leur appropriation. En effet, beaucoup d’habitants vendirent les lots dont ils avaient reçu l’usage. La vente d’une grande masse de biens communaux considérés comme des biens privés et patrimoniaux, mais propriétés des communes, amplifia ce phénomène d’appropriation privée. La grande réforme communale des années 1830 ne changea rien à cette conception. La terre, et l’usage qui lui était associé, était cessible au même titre que n’importe quelle… chose.
Ce mouvement est général à toute l’Europe et précède les révolutions industrielles en fournissant, d’une part, une nourriture que l’augmentation des rendements permet et, d’autre part, une main-d’œuvre agricole disponible pour le développement de l’industrie. A cela s’ajoute le facteur énergétique par l’invention des moteurs thermiques fonctionnant par la combustion du charbon. Et d’autres facteurs à l’origine de la Révolution industrielle.
C’est dans ce contexte que Karl Marx et d’autres ranimèrent une conception ancestrale fondée sur la res communis que deux mille ans d’appropriation privée avaient éliminée.
(A suivre)
Frédéric Malaval, Mai 2015
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