samedi 9 mai 2015

De la subversion spirituelle

Anne et Daniel Meurois-Givaudan sont des auteurs à succès. Ce couple français raconte ses découvertes au cours de « voyages dans l’astral » — rien de bien nouveau, d’ailleurs, par rapport à toute la littérature marquée par le merveilleux de lignée théosophique. Leur quatrième livre relate leur « voyage à Shambhalla ». De la bouche de « Maître Morya » (encore une vieille connaissance !), ils auraient recueilli ces troublantes informations :
« Il y a quelques décennies, nous avons missionné l’un des nôtres ici présent, afin de hâter la désagrégation du dogme catholique désormais inadapté à des millions d’hommes. Point n’est besoin que je le nomme, tout est parfaitement clair. Voilà longtemps que ces choses étaient convenues, il n’y a donc pas lieu d’en être surpris. L’effritement par l’intérieur s’est imposé comme la façon la plus sage de procéder. (…) Pour m’exprimer concrètement, la réforme du dernier concile romain n’a jamais eu en profondeur les buts allégués publiquement. Elle a achevé d’orchestrer un travail de sape. (…) Oh, mes Frères de partout, si vous voyez le christianisme s’essouffler, dans le calme de votre cœur n’émettez aucun regret, c’est afin que naisse l’aube du christisme. » (1)
Ce « travail de sape » serait-il aujourd’hui si avancé que certaines forces occultes ne verraient même plus de danger à l’avouer publiquement ? On voudrait susciter des fantasmes conspirationnistes qu’on ne s’y prendrait pas autrement ! Et c’est bien ce qui se produit, à en juger par toute une littérature émanant de cercles fondamentalistes protestants ou de milieux intégristes catholiques.
La nouvelle religiosité a un caractère spirituellement « subversif » ; mais l’approche trop littéralement conspirationniste ne constituerait-elle pas aussi un piège ? A ce sujet, il faut relire les pertinentes réflexions développées par François Maistre dans l’appendice à un autre ouvrage de Julius Evola (2) : comme l’avait déjà noté Guénon, la vision conspirationniste risque d’égarer le chercheur en entretenant des « hantises » — sans parler du réductionnisme simplificateur sur lequel cette démarche finit souvent par déboucher, au risque de discréditer même les observateurs valides qu’elle a permis de glaner. Les schémas qui prétendent, par exemple, représenter un véritable organigramme de la « conspiration du Nouvel Âge » relèvent d’une haute fantaisie et tendent à conférer à certains groupes un pouvoir qu’ils sont loin de détenir. Car l’essentiel se joue à la fois à une échelle plus vaste et à un niveau plus subtil, celui d’influences et suggestions spirituelles. L’esprit moderne engendre une mentalité en rupture avec les données traditionnelles. Quoi d’étonnant, dès lors, si les productions spirituelles de cette époque reflètent les mêmes tendances ?
On pourrait multiplier les exemples qui montreraient sur quelle confusion débouche la nouvelle religiosité, en dépit de l’indéniable sincérité de tant de ceux qui sont engagés dans ces voies. Cette confusion s’exprime notamment par l’amalgame de plus en plus fréquent de pratiques totalement différentes ou par la crédulité face à d’étranges théories. On aboutit à une véritable somme de toutes les illusions et de tous les égarements, sous des apparences parfois tentantes pour des âmes en quête de spiritualité, mais sans ancrage et critères.
« Les saints pères prophétisaient sur les derniers temps. Qu’avons-nous fait nous-mêmes ? se demandèrent-ils un jour. L’un d’eux, le grand abbé Ischyrion, répondit : « Nous avons observé les commandements de Dieu » — « Et ceux qui suivront, repartirent les autres, que feront-ils ? » Ischyrion répondit : « Ceux-là n’arriveront qu’à la moitié de ce que nous avons fait. » Les pères insistèrent encore : « Qu’en sera-t-il de ceux qui viendront après eux ? » — « Les hommes de cette époque, répondit l’abbé, ne seront guère riches en œuvres ; le temps de la grande tentation s’élèvera contre eux, et ceux qui en cet âge seront trouvés bons, seront plus grands que nous et que nos Pères. » (3)
En ce « temps de la grande tentation », il ne suffit pas d’avoir conscience du caractère problématique de la nouvelle religiosité. La seule attitude cohérente et conséquente est de se mettre en marche sur d’authentiques voies spirituelles et d’aller s’abreuver aux sources d’eau pure qui ne cesseront jamais de couler, cristallines, loin des marécages méphitiques ou mirages séducteurs du « spiritualisme ».

Notes
  1. Anne et Daniel Meurois-Givaudan, Le voyage à Shambahlla. Un pélerinage vers soi, Plazac-Rouffignac, Éd. Arista, 1986, p. 128-129
  2. François Maistre, « Léon de Poncins, un contre-révolutionnaire intégral », in Julius Evola, Écrits sur la Franc-Maçonnerie, Puiseaux, Pardès, p. 127-252 (P. 147-150).
  3. Apophtegme cité par Paul Evdokimov, Les Âges de la Vie spirituelle, 3e éd., Paris, Desclée De Brouwer, 1980, p. 171-172.

Postface de Jean-François Mayer
Un visage du monde moderne : la nouvelle religiosité
De la subversion spirituelle
Julius Evola
Masques et visages du spiritualisme contemporain, 1932
Édition Pardès p. 264-267.

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