Samedi 14 mars, Robert Ménard débaptisait à Béziers la « rue du 19 mars 1962 » pour la rebaptiser « rue du Commandant Hélie Denoix de Saint-Marc », du nom d'un des officiers insoumis d'avril 1961. La date du 19 mars 1962 est pour une partie de nos compatriotes un événement douloureux. Le gouvernement français, par l'intermédiaire de Louis Joxe, signait avec le GPRA (Gouvernement Provisoire de la République Algérienne) les Accords d'Evian. La guerre d'Algérie était finie, du moins pensait-on... L'OAS ripostera pendant un mois en menant des actions contre le GPRA, pendant que le FLN poursuivra ses exactions contre la population civile débutées le 1er novembre 1954. Des centaines de milliers d'Européens et de harkis fuient alors l'Algérie, dans l'indifférence générale, en direction de la métropole où ils sont accueillis sous les crachats des dockers de Marseille. Le 22 août 1962, Jean Bastien-Thiry et ses hommes tentaient d'assassiner le Général De Gaulle au « Petit-Clamart ». Ils s'opposaient par ce biais à sa politique en Algérie. Fait prisonnier, Jean Bastien-Thiry était fusillé le 11 mars 1963.
A moins d'avoir été, comme moi, dans un milieu qui côtoya « pieds noirs », anciens de l'OAS et anciens combattants, la guerre d'Algérie n'est pas un conflit dont parlent beaucoup les Français. Plus jeune, je ne comprenais d'ailleurs pas grand chose à cette histoire d' « Algérie française ». Les « pieds-noirs » étaient les amis de mes grand-parents ou de mes parents, mais cela n'allait pas plus loin. Quant aux appelés du contingent, ceux qui firent leur service militaire en Algérie, cette guerre n'était jamais évoquée. Je sentais simplement une sorte de ressentiment contre les Algériens, cruels et sans pitié, mais aussi pour certains contre l'OAS et les « pieds-noirs », colons jusqu'au-boutistes...
Je me souviens aussi de cette tension palpable entre petits-enfants de « pieds noirs », gauchistes fustigeant les « racistes » et les « fachos » et petits-enfants d'Algériens... En classe on entendait parler de la torture de l'Armée française, des destructions des mechtas, d'Aussaresses, de Massu... L'Armée française était dépeinte comme une armée d'occupation digne de l'Armée allemande et l'OAS comme d'abominables terroristes d'extrême-droite. On abordait assez peu la question du FLN et leurs crimes étaient souvent relativisés. De Gaulle était le grand homme, il avait fondé la Ve République et il incarnait l'autorité de l'Etat et la souveraineté nationale. Le personnage m'était assez sympathique, dans la lignée d'un Bonaparte. Le genre d'hommes qui sont les protagonistes de la grande histoire.
Aussi je ne comprenais pas pourquoi tant d'hommes et de femmes s'étaient battus pour « l'Algérie française ». Vivre sur un territoire non européen où 90% de la population était composée de Musulmans, ça me semblait relever de la folie intégrale. Passant d'une sensibilité bonapartiste à une sensibilité « néo-droitière », il me semblait parfaitement naturel que l'Algérie soit aux Algériens et la France aux Français. Refuser l'Algérie française c'était aussi refuser la France algérienne... L'anticolonialisme et ce que je nommerai plus tard l'« ethno-différentialisme » étaient une évidence. Je me suis donc assez longtemps désintéressé du sujet et je confesse même que les vieux ressentiments sur l'Algérie française avaient tendance à m'ennuyer profondément …
Ce combat pour l'Algérie me semble toujours aussi curieux. Les discours de De Gaulle parlant de « 10 millions de Français » et les Européens d'Algérie célébrant leur unité avec les autochtones me font penser aujourd'hui à des diatribes dignes d'associations anti-racistes de gauche. Il y a toujours eu un rapport curieux au colonies dans les milieux nationalistes. Qu'on en juge les nord-africains engagés (et morts) lors du 6 février 1934, l'ancrage du PPF en Algérie, la fierté coloniale multi-ethnique de Vichy ou les combats de l'OAS pour « l'Algérie française », tout cela me semble assez étranger à mon combat européen...
Mais en regardant des reportages et en me penchant plus sur le sujet, j'aborde les choses de façon un peu différente. Ce que cache la guerre d'Algérie et ce qui fait l'intérêt profond de ce sujet c'est qu'il a engendré autant la République algérienne que la Ve République française. Les deux républiques sont donc « liées » par les mêmes événements. Elles sont sœurs. Derrière la guerre d'Algérie il y a le coup d'Etat militaire de mai 1958 qui porta De Gaulle au pouvoir, il y a aussi la mise en place du FLN qui règne toujours sans partage sur ce pays... Rétablir la vérité sur la guerre d'Algérie, ce n'est pas seulement rappeler que, même au sein de la gauche française de Mitterand et Mendès-France, on défendait « l'Algérie française ». C'est également expliquer à nos compatriotes que la Ve République est née dans le sang des Européens d'Algérie, dans le sang des harkis, mais aussi dans le sang des nationalistes algériens dont les descendants sont parfois nos compatriotes en raison des vagues migratoires.
En ce mois de Mars qui marque de nombreux anniversaires douloureux en lien avec ce conflit, les jeunes générations feraient bien de découvrir réellement qui était le Général De Gaulle de cette période, ce "grand patriote" qui a trahi les officiers qui l'ont propulsé au pouvoir (Salan, Jouhaud, Lagaillarde, ...), qui a abandonné des centaines de milliers d'Européens et de harkis aux bouchers du FLN, qui n'a pas hésité à employer une partie de l'Armée pour faire tirer sur des Français qui se révoltaient contre ses décisions iniques et contre leur abandon par leur propre pays. La guerre d'Algérie, c'est le viol de Lucrèce qui n'a jamais été puni.
Les jeunes générations du FN doivent comprendre que derrière l'ascension du FN, il y a une sorte de revanche historique contre les barbouzeries gaullistes par toute une partie de l’électorat, principalement dans le sud de la France. Si De Gaulle a créé la Ve République sur le sang des "pieds-noirs", n'est-ce pas au parti co-fondé entre autre par les anciens de l'OAS de mettre à genoux, même symboliquement, la Ve République ? L'histoire aime bien les clins d’œil.
Bien sûr, Florian Philippot et le FNJ ne doivent pas entendre grand'chose à tout cela, intoxiqués qu'ils sont par la propagande gaullo-communiste qui a réécrit l'histoire en sa faveur. Du côte algérien, c'est aussi l'histoire d'une révolution confisquée, de la corruption, du manque de perspective de la jeunesse, du revanchisme anti-français toujours présent et de l'identité kabyle malmenée. Nombreux furent les kabyles qui participèrent à la lutte pour l'indépendance nationale, mais ils furent pour beaucoup écartés du pouvoir et soumis à une politique très forte d'arabisation. Si les Français doivent en finir avec le compromis gaullo-communiste, les algériens doivent en finir avec le FLN. Et alors seulement, une page sera tournée.
Comme se le demandait Michel de Jaeghere, rédacteur en chef du Figaro Histoire : « La guerre d'Algérie est-elle terminée ? ». La réponse est non, comme en atteste souvent les manifestations des Français d'origine algérienne, première communauté d'origine étrangère installée dans notre pays. Il est donc temps d'y mettre un terme pour que les deux rives de la Méditerranée puissent enfin se retrouver et coopérer face aux défis qui nous attendent : l'islamisme radical et la poussée démographique de l'Afrique sub-saharienne. C'est probablement la plaie purulente de la guerre d'Algérie, qui incombe en partie au général De Gaulle, qui a contribué à l'hostilité entre Français et Algériens. Une hostilité qui sert objectivement les intérêts de périls mortels pour nos deux peuples...
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