mardi 17 février 2015

Un jour, un texte! Les Français dans la guerre, un adversaire chevaleresque par E. UDET (17)

« La civilisation française, héritière de la civilisation hellénique, a travaillé pendant des siècles pour former des hommes libres, c’est-à-dire pleinement responsables de leurs actes: la France refuse d’entrer dans le Paradis des Robots. » Georges Bernanos, La France contre les robots.
Notre premier ministre a déclaré que la France est en guerre. Mais l’ennemi est chez nous, au sein même de la population française. Il ne s’agit plus d’envoyer des professionnels, formés et aguerris combattre loin de nos terres, mais de se battre contre un ennemi sournois et impitoyable, qui use pour ses attaques de toutes nos libertés et des droits des citoyens français. Avant de faire une telle déclaration, encore eût-il fallu cultiver au sein du peuple françaisles valeurs qui font la force morale des nations. Cette nouvelle rubrique sur la guerre a pour objet de proposer des textes pour aider tout un chacun à réfléchir sur des sujets précis et si possible, d’actualité, elle est un peu modifiée pour montrer : les Français dans la guerre, uadversaire chevaleresque par E. UDET (17)
E. Udet, pilote allemand, illustre par ce récit l’esprit chevaleresque de la guerre des Airs.
Je décolle de bonne heure pour avoir le soleil dans le dos. Un coup d’ascenseur : je monte plus haut que jamais. L’altimètre marque 5 000.
A l’ouest un point se déplace à grande vitesse et grossit à mesure qu’il se rapproche. Un Spad ! un avion de chasse ennemi : un solitaire comme moi à la recherche d’une proie. Je me carre sur mon siège : un combat se prépare.
Nous nous affrontons à la même altitude ; nous nous croisons de très près en vrombissant. La chasse commence.
Celui qui a le premier l’adversaire dans le dos est perdu : le monoplace à mitrailleuse incorporée ne peut tirer que vers l’avant ; à l’arrière, il est sans défense.
Parfois nous passons si près l’un de l’autre que je peux nettement reconnaître un visage étroit et pâle sous le casque de cuir. Sur le fuselage entre les deux ailes, un mot en lettres noires. Lorsque pour la cinquième fois, l’avion passe près de moi, si près que les hélices me secouent en tous sens, je peux reconnaître : "Vieux". C’est le signe de Guynemer.
Oui, il n’y en a qu’un à voler sur ce front, c’est Guynemer qui a déjà abattu trente Allemands. Je sais que c’est un combat à mort qui va se livrer.
J’amorce un demi-looping pour tomber sur lui comme un caillou. Il a tout de suite saisi et se met à son tour en position de looping.
Je tente un tonneau, Guynemer me suit. Pendant quelques secondes, il est prêt de m’avoir. Une grêle d’acier crépite à travers la voilure de droite...
J’essaie tout : courses serrées, tonneaux, glissades du côté, mais, vif comme l’éclair, il saisit tous mes mouvements et réagit tout aussi vite à chacun d’eux. Je remarque peu à peu qu’il m’est supérieur. Non seulement la machine est meilleure, mais celui qui la mène en sait plus. Pourtant je continue le combat.
Encore un virage. Un instant, il se trouve dans ma ligne de mire. J’appuie sur le manche à balai. La mitrailleuse ne répond pas... Enrayage ! De la main gauche, je continue à tenir le manche, de l’autre j’essaie de tirer. En vain. L’enrayage persiste.
Un instant je pense amorcer la descente en piqué. Solution sans issue en face d’un tel adversaire, il me prendrait tout de suite par derrière et il me descendrait.
Pendant huit minutes nous tournoyons à la poursuite l’un de l’autre, ce sont les huit minutes les plus longues de ma vie.
Maintenant il me passe au-dessus, couché sur le dos. J’ai lâché un instant le manche et tape des deux poings sur la mitrailleuse : un moyen primitif qui peut parfois servir.
Guynemer a remarqué ce mouvement, il l’a certainement vu, et maintenant, je sais ce qui m’attend. Il passe à nouveau presque couché sur le dos tout près de moi : il lève la main, me fait un petit signe, plonge en piqué vers l’ouest et rejoint le front.
Je rentre à la maison, abasourdi.
Certains disent que Guynemer a eu lui-même un enrayage. D’autres affirment qu’il craignait que je ne me jette sur son avion par désespoir. Mais je ne le crois pas. Je crois qu’il existe encore aujourd’hui un reste bien vivant de l’héroïsme chevaleresque des anciens temps.
Et c’est pourquoi, je dépose cette tardive couronne sur la tombe inconnue de Guynemer.
E. Udet
Extrait de : « Mein Fliegerleben » (Ma vie d’aviateur).
Cité dans : « Bilder und Stimmen“, classe de Seconde et Première.
Ed. Belin, sous le titre : « Ein Ritterlicher Gegner » (« Un adversaire chevaleresque). – 1964
Lois Spalwer  http://lesalonbeige.blogs.com/my_weblog/web.html

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