Dominique Ponchardier va prendre la tête du groupe parallèle d’action anti-OAS. Auteur de romans d’espionnage à succès, c’est lui qui a popularisé le mot « barbouze »... dans son sens initial d’agent secret. Toujours aussi imaginatif, l’ancien numéro un du service d’ordre du RPF baptise le nouveau-né « Talion ». Romantisme encore : ses membres prêteront serment de fidélité sur son vieux Colt du temps de la Résistance ! Mais il faut tenir compte des réalités matérielles : le Talion est entretenu par les fonds secrets de la Délégation générale du gouvernement en Algérie.
L’architecte au sommet, mais en toute discrétion, de l’opération n’est en effet autre qu’Alexandre Sanguinetti, le « Monsieur anti-OAS » du ministère de l’Intérieur. En tout, le Talion va mobiliser trois cents hommes. Certains arborent un passé honorable, tels Hettore Lobianco, rescapé des Brigades internationales de la guerre d’Espagne puis résistant-déporté ; Marcel Hongrois, ex-para de la France libre ; ou Jacques Andréi, déporté lui aussi par les nazis. D’autres, un casier judiciaire plus ou moins vierge. Mais qu’importe le flacon... Un maître de l’aïkido, Jim Alcheik, recrute par exemple dans sa salle parisienne d’arts martiaux. Bien payés mais mal informés des risques courus, une vingtaine de ses élèves asiatiques prennent ainsi la route d’Alger où ils seront accueillis par Goulay et Bitterlin. Et aussi par les hommes de l’ennemi numéro deux, Degueldre...
Massacre à la mitrailleuse
Degueldre, le chef des commandos Delta, a en effet des antennes partout : à la Délégation générale ; dans la police ; à la DST qui l’instrumentalisera en deux occasions pour « liquider » deux agents secrets britanniques du MI6 impliqués dans l’aide au FLN, James Mason et Alfred Fox ; dans l’armée ; au SDECE.
L’arrivée des barbouzes ne le surprend donc pas. En revanche, elle l’irrite. Aussi décide-t-il de veiller personnellement à leur destinée, ce qui vaut condamnation à mort de sa part : « Je déclare la guerre ouverte contre les barbouzes. » Le 12 décembre, la voiture de Goulay et de Bitterlin est criblée de quarante balles. Grièvement blessé, le premier est acheminé immédiatement à Marseille, Charles Pasqua, militant gaulliste très impliqué dans la lutte anti-OAS (et futur ministre de l’Intérieur), le réceptionne à Marignane et le conduit à l’hôpital de la Timone – où le maire socialiste de la cité phocéenne, Gaston Defferre, le fera admettre et protéger par des hommes en arme, preuve que les « barbouzes gaullistes » peuvent, si les circonstances l’exigent, se colorer de rose.
Dans la nuit du 31 décembre 1961 au 1er janvier 1962, Degueldre monte une attaque de grand style avec tirs au lance-roquettes antichar, à la mitrailleuse et jets de grenades contre la villa de la rue Faidherbe, un des quartiers généraux algérois des barbouzes. La fusillade fait un blessé parmi les occupants, mais le lendemain, un des Vietnamiens experts en arts martiaux tue à main nue un de ses assaillants de la veille venu constater les dégâts. Le coup d’envoi d’une véritable psychose des « barbouzes viets »...
Le 29 janvier, du matériel d’imprimerie piégé par les hommes de Degueldre et/ou des officiers sympathisants OAS du SDECE réduit en cendres la deuxième villa barbouze, rue Fabre, tuant dix-neuf de ses vingt-six occupants. Réfugiés à l’hôpital Radjah, une somptueuse demeure mauresque, une vingtaine de rescapés repoussent une nouvelle attaque le 13 février : trois morts côté OAS. Le 18, des tireurs venus à bord de véhicules blindés militaires arrosent l’hôtel au bazooka et au fusil-mitrailleur, contraignant ses occupants à la fuite. Le lendemain, quatre barbouzes venues chercher à l’hôpital un de leurs camarades vietnamiens blessés tombent dans une embuscade : criblés de balles par les commandos Delta, les hommes de Bitterlin vont être brûlés par des habitants du quartier qui arrosent leur 403 d’essence...
Les barbouzes, de leur côté, ne sont pas restées inactives. Enlèvements de membres supposés de l’OAS (par exemple le technicien radio Alexandre Tisslenkoff, qui se plaindra d’avoir été torturé) ; échanges de renseignements avec le SM et la Mission C ; contre-attentats comme celui du Grand Rocher, un café-restaurant fréquenté par des activistes, qui fera une dizaine de blessés, ou contre les domiciles de trois chefs OAS d’Aïn-Taya ; tirs à vue pour dégager les villas et l’hôtel Radjah assiégés : leurs actions se multiplient. La plus atroce d’entre elles : l’enlèvement le 27 février 1962 puis l’assassinat de Camille Petitjean, ingénieur chez Berliet et adjoint au chef des renseignements opérationnels de l’OAS. Torturé sans pitié par des Vietnamiens – on lui aurait aspergé le visage de gouttelettes d’acide – le malheureux meurt sans avoir parlé. Ses restes seront découverts dans un terrain vague...
En mars, les barbouzes, décimées, doivent quitter l’Algérie. Le début d’une crise de conscience pour leur chef, Bitterlin, qui, amer, écrira : « A quelques exceptions près, tous ceux qui avait été des nôtres ou qui nous avaient approchés furent traînés dans la boue par leurs ennemis et reniés par leurs amis ».
Roger Faligot, Jean Guisnel, Histoire secrète de la Ve République
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