mercredi 14 janvier 2015

Un jour, un texte ! Le soldat et sa famille par Hélie DENOIX de SAINT-MARC

« La civilisation française, héritière de la civilisation hellénique, a travaillé pendant des siècles pour former des hommes libres, c'est-à-dire pleinement responsables de leurs actes: la France refuse d'entrer dans le Paradis des Robots. »
Georges Bernanos, La France contre les robots
Cette nouvelle rubrique a pour objet de proposer des textes pour aider tout un chacun à réfléchir sur des sujets précis et si possible, d'actualité, aujourd'hui, à l'heure où le pouvoir politique incapable de gouverner le pays, déclenche une guerre tous les 6 mois, tout en coupant à l'armée française ses moyens: le soldat et sa famille (14)
« Ma femme et mes filles… »
(Commandant Hélie Denoix de Saint-Marc)
La femme dont je partage la vie depuis quarante ans a représenté la cristallisation de cette quête de vérité et l'accomplissement de ma fascination pour les femmes. Notre union est une réussite, dans la mesure des réussites humaines. Beaucoup de choses nous distinguent. Elle m'a donné ce que je n'avais pas ou ce que j'avais perdu : le sens du bonheur et de l'insouciance. Peut-être lui ai-je apporté ce qu'elle n'avait pas ou pas encore : la gravité et une certaine persévérance.
L'intimité avec autrui n'est jamais un équilibre parfait. Il faut, pour irradier la vie ensemble, une lumière qui vient de l'accord entre les rêves de chacun. La confiance est, comme au combat, la clé de tout. Si l'amour se nourrit de mystère, il résiste rarement au mensonge. La familiarité avec le danger rend plus transparent. Elle induit une certaine vérité intérieure, qui aide peut-être à se trouver l'un et l'autre.
J'ai essayé de lui donner le meilleur. Je n'y ai pas toujours réussi. Sa jeunesse en Algérie avait été lumineuse. Elle avait épousé un jeune commandant. Deux enfants étaient nés. D'une certaine manière, tout lui souriait : elle n'avait que vingt-cinq ans le jour où je suis entré à la prison de la Santé...
Pendant mes années de détention, elle a dû vivre chez ses parents, avec nos enfants. Ma solde était supprimée. Elle m'a connu prisonnier politique puis ancien détenu sans papiers et sans chéquier, ce qui n'était pas un statut social particulièrement enviable. Elle a toujours été à mes côtés, infiniment vivante. Son sourire et son courage sont pour moi semblables à deux sentinelles qui veillent sur ma route en ces derniers tournants et la protègent.
C'est avec une grande réticence que j'évoque ces souvenirs intimes mais, au-delà de ma propre aventure, ils éclairent une autre dimension des femmes : leur capacité à durer, à endurer, à construire, à dilater les sentiments, tout en changeant perpétuellement. Elles nous enracinent dans l'existence.
Quatre filles ont éclairé la seconde partie de ma vie. Le destin m'a fait un cadeau en peuplant notre maison de ces femmes dont j'avais été privé. J'ai tout aimé d'elles. Leur présence a apaisé bien des angoisses et plus d'un cauchemar.
Mes filles me trouvent souvent absent, lointain. Elles m'imaginent enfermé dans le souvenir des aventures que j'ai vécues. Elles se trompent. Je suis bien plus proche d'elles qu'elles ne l'imaginent. Je suis l'une des sources de leur existence. Je suis une part de ce qu'elles vivent, un morceau de leur bonheur, un accent de leur rire, mais aussi un chapitre de leurs souffrances et une présence dans leurs épreuves. Chaque jour, une ombre les accompagne, se réjouit pour elles ou pleure en silence. Seules la pudeur et cette émotion que l'on craint et qui monte parfois sans prévenir avec le poids des ans me retiennent de le leur dire.
Hélie Denoix de Saint-Marc
Extrait de : « Les Sentinelles du soir ».
Éditions Les Arènes - 1999.
Lois Spalwer  http://lesalonbeige.blogs.com/my_weblog/web.html

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