Georges Orwell (de son vrai nom Eric Blair) fut un homme engagé qui échappa pourtant à tout dogmatisme. Quand la majorité des intellectuels de son époque succomberont aux sirènes du totalitarisme, lui, restera un esprit libre (chose qui ne lui fut pas pardonnée). Socialiste convaincu, ses positions politiques s’inspirent plus de son expérience de l’existence que de lectures théoriques.
Quand pensée et action s’unissent
Né au Bengale en 1903, sa famille fait partie de ses fonctionnaires zélés qui firent la grandeur de l’empire Britannique. Envoyé suivre ses études en Angleterre, il retourne aux Indes pour devenir officier de police en Birmanie. Au bout de cinq ans de service, il rentre en Europe dégoûté à jamais de l’impérialisme. Lui qui avait déjà montré, pendant sa scolarité, son aversion pour toute forme d’injustice, réprouve l’étroitesse d’esprit de la petite caste coloniale et la misère dans laquelle elle maintient les peuples colonisés. Renonçant à toute forme de carrière, il veut se consacrer à l’écriture et se tourne vers le journalisme. Collaborant à la presse de gauche et libertaire, on l’envoie dans les bassins houillers du Nord de l’Angleterre pour faire un reportage sur les conditions de vies des mineurs. Il vécut ainsi plusieurs mois avec les ouvriers de Wigan et Sheffield dans la grisaille du pays houiller. `C’est une révélation pour lui, il tirera de son expérience son style saisissant de vérité et ses convictions socialistes. Il observe la dignité et la solidarité quotidiennes des travailleurs, ce « Common decency », cette civilité de tous les jours des humbles. Hautement moral, ce sentiment d’entraide rejette l’égoïsme du capitalisme marchand. Poursuivant sa vie de journaliste sans le sou pendant les années 30, il connaît la galère et se retrouve au bord de la misère. Il fréquentera même les hospices pour vagabond et multipliera les petits boulots pour survivre.
La Catalogne libre : le rêve en arme
Quand en 1936, la guerre civile éclate en Espagne, il se précipite à Barcelone pour s’engager dans les rangs républicains. Il se retrouve dans une capitale catalane en pleine ébullition révolutionnaire. Orwell rejoignit les miliciens du POUM (Parti Ouvrier d’Unification Marxiste), il mit à contribution sa formation militaire britannique et forma les jeunes miliciens espagnols sans expérience, à la caserne Lénine. Avec eux, il monta vers les tranchées du front d’Aragon. Quand il descend pour une brève permission après un hiver en enfer, il découvre Barcelone plongé dans des combats fratricides entre d’un coté les milices du POUM et de la CNT-FAI anarchistes et les communistes soutenus par les agents soviétiques que Staline a envoyés en masse en Espagne.
Dégoûté, il remonte pourtant en première ligne pour fuir cette atmosphère étouffante. Le 20 Mai, Orwell est grièvement blessé d’une balle qui lui traverse la gorge. En convalescence, il apprend l’écrasement du POUM par les staliniens. Les responsables de l’organisation sont kidnappés et exécutés clandestinement par les communistes, les miliciens sont désarmés et versés dans la nouvelle armée républicaine dirigée par le Parti Communiste. Orwell doit quitter en secret l’Espagne pour échapper aux agents staliniens à sa poursuite. Pourtant, si l’aventure finit mal, il restera porteur d’un rêve d’émancipation de la Catalogne Libre.
Un homme libre contre le totalitarisme
A partir de son retour, son refus de tous les totalitarismes sera absolu et il les combattra par tous les moyens. Le Pacte germano-soviétique est pour lui la confirmation de la convergence des forces autoritaires. Il rejoint le camp des démocraties, avec le sentiment clair qu’entre deux maux, il faut choisir le moindre. Si le gouvernement de son pays était loin d’être parfait, la vieille tradition de liberté individuelle anglo-saxonne présentait infiniment plus de garanties pour son indépendance de pensée que les dictatures nazies ou soviétiques.
Durant la guerre, il met sa plume au service des alliés, il est annonceur à la BBC et couvrira comme reporter les derniers combats sur le front Ouest. Il écrit pendant cette période, la Ferme des Animaux, critique du stalinisme et dénonciation de la trahison par les communistes des révolutions russe et espagnole. Le livre ne trouvera pas d’éditeur sous la pression des autorités anglaises qui ne veulent pas froisser la susceptibilité du petit père des peuples qui est encore un allié des démocraties. Quand débutera la guerre froide, les choses vont bien changer, puisque le livre sera récupéré pour servir la propagande anti-communiste la plus primaire (La CIA financera même les adaptations cinématographiques de la ferme et de 1984). Ayant perdu sa femme, Orwell va se retirer dans une petite Île, au large de l’Écosse. Vivant la vie paysanne et élevant son fils adoptif, il réalise son rêve d’un retour à la terre hors des tumultes du monde moderne. Quand la maladie le rattrape, il s’épuise à boucler son dernier livre, 1984. Endurant stoïquement les pires souffrances, il termine son œuvre majeure avant de mourir de la tuberculose, le 21 janvier 1950.
L’autre socialisme
Orwell ne s’est jamais gêné pour attaquer dans ses écrits les intellectuels de gauche qui prônaient, dans leurs confortables salons, la dictature du prolétariat,mais qui pour rien au monde n’auraient pu supporter de vivre à leurs côtés. Cette « gauche tapette », comme il l’aimait l’appeler sur un ton moqueur, faisait fuir par ses discours vains et creux ceux que le socialisme aurait pu attirer. L’auteur de 1984 avait une vision concrète et pratique du socialisme : « Si quelqu’un commençait par demander qu’est-ce que l’homme ? Quels sont ses besoins ? Quelle est pour lui la meilleure façon de se réaliser ? on découvrirait que le fait d’avoir le pouvoir d’éviter tout travail et de vivre de la naissance à la mort dans la lumière électrique en écoutant de la musique en boîte, n’est nullement une raison de vivre de cette manière. L’homme a besoin de chaleur, de loisir de confort et de sécurité : il a aussi besoin de solitude, d’un travail créateur et du sens du merveilleux. S’il reconnaissait cela, il pourrait utiliser les produits de la science et de l’industrie en fondant toujours ses choix sur ce même critère : est-ce que cela me rend plus humain ou moins humain ».
Un socialisme qui chercherait, à défaut de pouvoir parfaire la société humaine, à la rendre meilleure ne serait-ce qu’en réduisant l’injustice et les inégalités, une société décente basée sur la recherche du bien commun. Orwell savait que si cette société n’arriver pas, l’humanité se verrait plonger dans la barbarie sans fin : « Si vous désirez une image de l’avenir, imaginez une botte piétinant un visage humain éternellement » écrivait-il dans 1984. Il plaçait ses espoirs dans la prise de conscience des masses populaires, qui tôt au tard, se dresseront contre l’oppression.
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