Pour Tolkien, se plonger dans la faërie nous projette dans un monde d’une réalité plus vive qui, libéré de sa dépendance servile à l’égard de l’éphémère et de l’insignifiance du monde « réel »
Qu’un groupe d’universitaires puisse se réunir et parler sérieusement de dragons peut apparaître comme un nouvel exemple de leur incapacité à concevoir le réel ! Mais ce n’est pas du tout la manière dont Tolkien conçoit les choses. Dans son essai Du conte de fées (p. 39), il s’emploie à les défendre contre la fausse conception que s’en fait le monde actuel. L’homme moderne ne veut y voir que d’absurdes petites créatures, faites uniquement pour amuser les enfants. Il tente de leur rendre, ainsi qu’au monde de la faërie, tout le pouvoir que leur donnait le monde moyenâgeux. A la fin de l’essai, Tolkien répond directement à l’accusation faite au roman médiéval de constituer une fuite, en posant la question suivante : « Quelles sont, s’il y en a, les valeurs et les fonctions des contes de fées aujourd’hui ? » Il affirme que les produits de la technologie moderne ne sont pas plus « réels » que les royaumes imaginaires : « L’idée que les automobiles sont plus ‘vivantes’ que, mettons les centaures ou les dragons, est curieuse ; qu’elles soient plus ‘réelles’ que, disons, les chevaux est pathétiquement absurde. Qu’une cheminée d’usine est donc réelle, qu’elle est étonnamment vivante en comparaison d’un orme, cette pauvre chose désuète, ce rêve immatériel d’un maniaque de l’évasion ! » (Du conte de fées).
Pour lui, se plonger dans la faërie nous projette dans un monde d’une réalité plus vive qui, libéré de sa dépendance servile à l’égard de l’éphémère et de l’insignifiance du monde « réel », redonne à notre environnement platement familier son véritable éclat, un monde qui détient les vérités essentielles. C’est précisément parce que le monde moderne est si déplorable et que les canons du réalisme sont si restrictifs que nous avons désespérément besoin d’une vision romanesque pour nous restituer notre sens du permanent et du fondamental.
C’est avec ces étranges conceptions que le professeur Tolkien va élaborer, tout au long de sa vie, sa propre mythologie : Le Silmarillion, et pendant seize ans, la surprenante épopée du Seigneur des Anneaux.
François-Marin Fleutot, Les mythes du Seigneur des Anneaux
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