Recension : Tamara GRIESSER-PECAR, Die Mission Sixtus : Österreichs Friedensversuch im Ersten Weltkrieg, Amalthea, Wien / München, 1988, 414 p.
La guerre sévissait depuis deux ans déjà, lorsque l'Empereur et l'Impératrice d'Autriche-Hongrie décidèrent, en décembre 1916, de mener des négociations secrètes extraordinaires. Par l'intermédiaire des Princes Sixte etXavier de Bourbon-Parme, de leur propre chef et sans en avertir l'allié allemand, l'Empereur Charles et l'Impératrice Zita, prirent des contacts secrets avec les autorités politiques des puissances de l'Entente, la France et la Grande-Bretagne. Leur objectif : obtenir la paix, tant qu'il y avait encore quelque chose à sauver. En effet, le couple impérial était parfaitement conscient de la volonté française d'éclater l'ensemble austro-hongrois en plusieurs petites nations aisément contrôlables, qu'on pourrait téléguider depuis Paris contre Berlin et Vienne. Par la paix anticipée qu'ils espéraient obtenir, ils voulaient éviter un sort funeste à l'œuvre politique pluriséculaire de leurs ancêtres. Les tractations auront quelque chose de tragique : les intermédiaires de l'Empereur étaient tous deux officiers de l'armée belge, en guerre contre l'Allemagne, alliée de l'Autriche-Hongrie. Les négociations, menées sans que Berlin le sache, finiront par être connues de tous et faire passer Charles de Habsbourg pour un traître qui complotait dans le dos de l'Allemagne.
Les Allemands d'Autriche lui en voudront cruellement. Mais l'intérêt du livre de Tamara Griesser-Pecar ne réside pas seulement dans la narration détaillée de cette affaire, mais aussi dans l'analyse du rôle de l'Italie dans l'échec des négociations secrètes. En plein milieu de celles-ci, l'Italie essuie un cuisant échec militaire, ce qui renforce la position de l'Autriche et déforce celle des Alliés, qui avaient escompté des victoires italiennes pour faire fléchir Vienne. Les Autrichiens avaient le dessus et pouvaient demander des conditions de paix honorables, d'autant plus que des unités françaises s'étaient mutinées après les offensives inutiles de George Nivelle. Des grèves secouent la France et les ouvrières descendent dans les rues en criant : « Nous voulons nos maris ! ».
Deux projets différents animaient alors la diplomatie française : 1) celui de maintenir l'Autriche-Hongrie telle quelle, afin de faire contre-poids à la Prusse et de ne pas créer le chaos en Europe Centrale et 2) celui d'éliminer l'Empire des Habsbourgs, de le morceler et d'instaurer des régimes d'idéologie républicaine et illuministe en Europe Centrale. La deuxième solution finira par l'emporter. Dans ce contexte, le Prince Sixte arrive à Paris et explique que l'Italie est prête à faire une paix séparée à condition que l'Autriche cède le Trentin italophone (pas le Sud-Tyrol germanophone), avec pour compensation, l'ensemble ou une partie de la Somalie. La France et l'Angleterre ont donc intérêt, elles aussi, à signer une paix séparée avec l'Autriche. Lloyd George était favorable au projet, car les événements de Russie laissaient entrevoir la cessation des hostilités entre Russes et Allemands, le Prince Lwow ayant contacté les autorités du Reich en ce sens. De ce fait, l'Italie et la Russie risquaient de quitter l'Entente et de laisser Français et Britanniques seuls face aux armées allemandes et austro-hongroises. Poincaré et Ribot rétorquent que ni les intérêts serbes ni les intérêts roumains ni la question polonaise n'ont été pris en compte par le vieux monarque autrichien. Les Français se montrent très réticents à l'endroit du projet visant à coupler la rétrocession du Trentin à l'Italie et la récupération de l'Alsace-Lorraine. En effet, si l'Italie reçoit le Trentin, elle cessera de se battre et l'Entente aurait perdu un allié qui mobilisait plusieurs divisions austro-hongroises qui auraient pu intervenir sur le front russe ou sur le front de Salonique et barrer le route aux alliés franco-britanniques.
Les Alliés occidentaux se rendaient compte que l'Italie jouait son jeu seule mais que son poids militaire était tel qu'ils ne pouvaient la négliger. Le 3 juin 1917 : coup de théâtre ! L'Italie proclame qu'elle entend exercer un protectorat sur l'Albanie, coupant de la sorte l'accès de la Serbie à la mer. Le petit royaume slave des Balkans ipso facto ne pouvait plus acquérir un accès à l'Adriatique qu'en grignotant le territoire austro-hongrois, situation inacceptable pour Vienne. Au même moment, les Slovènes, Croates et Serbes à l'intérieur de la monarchie souhaitent constituer un royaume constitutionnel séparé selon le modèle hongrois.
Les contradictions internes de la monarchie la fragilise et la ténacité du Ministre italien Sonnino, imposant aux Alliés ses vues sur l'Albanie malgré les revers militaires italiens, négociant avec les Anglais et les Français un partage des Iles de l'Égée et du territoire turc, fait échouer les pourparlers entre Sixte et les autorités anglaises et françaises. De plus, les propositions de paix italiennes ne venaient ni de Sonnino ni du Roi d'Italie, ce qui réduisait considérablement les chances de l'Empereur autrichien et des frères de Bourbon-Parme. Le livre de Tamara Griesser-Pecar est une enquête très serrée qui nous permet de saisir la vision européenne et pacifiste, éloignée des engouements idéologiques générateurs de carnages abominables, des Bourbon-Parme et des Habsbourgs. Albert Ier y avait pleinement souscrit. La réussite de leurs projets aurait évité la Seconde Guerre mondiale et la partition de l'Europe à Yalta
► Robert Steuckers, Orientations n°11, 1989. [version légèrement remaniée]
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