Ce 20 octobre à Pékin, John Erling correspondant de Die Welt s'interrogeait gravement : "La Chine accomplit-elle le premier pas vers l'État de droit ?" Cette très bonne question mérite d’être posée en regard des événements de Hongkong. Et, à sa manière, au bout de trois jours de délibérations du comité central du parti communiste, le président Xi Jin-ping répondait solennellement le 23 octobre. Ce pays de parti unique, de direction centralisée de peuples beaucoup plus divers qu'on ne se l'imagine vu de Paris ou de Washington, ce pays au drapeau rouge de Mao Tsé-toung et du bain de sang qu'on ose encore appeler "révolution culturelle" vivra désormais sous le régime de "l'État socialiste de droit".
Ce concept mérite d'être revisité, à la sauce dialectique.
Quand on sait ce que "socialiste" veut dire dans le contexte, "socialisme de marché", cet oxymoron, cette contradiction dans les termes, cette synthèse dialectique pourrait faire sourire. Si tout appartient à l'État, par exemple, si tout dépend de l'impulsion de l'État, y compris le niveau de vie – extraordinairement inégal – des individus, y compris leur "droit" d'effectuer un service militaire c’est-à-dire le droit de porter les armes, privilège héréditaire des fils d'apparatchiks – que veut dire "État de droit" ?
Si cet État propriétaire du corps de ses citoyens s'arroge le droit de pratiquer impunément, tranquillement, – quoique de manière hypocrite, jamais avouée mais parfaitement démontrée – le trafic d'organes, comme on fait commerce des pièces détachées – que veut dire "État de droit" ?
Le virage de la Chine avait été conduit par Deng Xiao-ping de 1978 à 1992 sur la base, certes, dès la mort du Grand Timonnier d'une première défaite politique, des gauchistes : celle de la "Bande des Quatre". La liquidation, par Hua, des anciens partisans extrêmes de la Révolution culturelle, débarrassa le pays de l'hystérique et encombrante veuve du dictateur Jian Qing.
Hua Guo-feng, successeur immédiat de Mao s'accrochait cependant encore à son héritage. Il dogmatisait ainsi en février 1977 : "quelles que soient les politiques soutenues par Mao, et quelles que soient les consignes données par Mao, elles devraient toujours être mises en application."
Rappelons qu'aucun marxiste n'a jamais raisonné comme de la sorte. Au contraire la prétention de tous les régimes communistes, y compris les plus rigides, consistait à un renouvellement de ligne en fonction des époques.
Même les régimes les plus tyranniques, qui ne changeaient pas de dirigeants proposaient régulièrement une nouvelle ligne, – comme Lénine avec sa NEP, comme Staline avec le premier plan quinquennal et la dékoulakisation de 1928 à 1932, ou son ordre opérationnel de 1937 lançant la Grande Terreur. Mao lui-même lancera des mots d'ordres successifs comme les Cent Fleurs en 1956, le Grand Bon en avant de 1958 à 1960, ou enfin son abominable Révolution culturelle décidée en 1966 contre l'équipe qui avait pris le contrôle du pouvoir.
La fixité dogmatique d'un Hua Guo-feng ne pouvait pas se maintenir.
C'est donc très logiquement que Deng Xiao-ping, marxiste de toujours, dès juillet 1977 et dans le cadre d'une session plénière du dixième Congrès du Comité central du Parti communiste reviendra au pouvoir pour proposer et incarner une nouvelle ligne qui se présentera, dès lors, comme "le socialisme de marché". Socialisme veut dire, dans ce vocabulaire, ce que nous appelons "communisme". Nous employons ce terme à tort sans doute puisque le "communisme" ne devait intervenir que dans une société d'abondance, autant dire jamais. On ne doit jamais l'oublier
L'ascension de Deng ne s'arrête pas en si bon chemin. Dès août 1977, il est vice-président du Comité central chargé du développement économique. En 1981 il devient président de la Commission militaire. Et en 1982 il formule, dans le cadre du XIIe congrès du parti, sa thèse : "Combiner la vérité universelle du marxisme avec la pratique de notre pays, suivre notre propre voie et édifier un socialisme à la chinoise".
Le parti communiste est toujours demeuré le parti unique, redistribuant autoritairement les fruits d'un développement économique. Celui-ci est assuré par l'ouverture au capital privé, y compris japonais ou chinois de l'extérieur, et il s'est accéléré par une sous-traitance gigantesque des besoins occidentaux ainsi que par la contrefaçon : "peu importe qu'un chat soit blanc ou gris pourvu qu'il attrape les souris".
Militant communiste depuis sa jeunesse, membre du gouvernement central dès la conquête du pouvoir et la fondation de la Chine communiste de 1949, Deng n'a jamais changé sur le fond, seulement sur la forme. La lecture de ses discours, une fois surmontés leurs effets soporifiques, ne laisse aucun doute. Ils comprennent aussi, sous le masque de l'ancien sentiment d'humiliation, une pointe d'annonce d'un "chauvinisme de grande puissance" qu'on ne devrait jamais sous-estimer. Les Russes auraient tort de ne pas y prendre garde.
Pour le moment Xi Jin-ping ne fait que renouveler la même réalité Celle-ci, 35 ans après la "nouvelle ligne" de Deng, n'a pas bougé d'un pouce. Les bases totalitaires du système communiste chinois restent inchangées. Peut-être dans l'avenir les méthodes policières évolueront-elles un peu, peut-être les arrestations et détentions arbitraires seront-elles mieux réglementées.
Ce n'est pas cela l'état de droit, au sens occidental du terme.
Les principes chinois demeurent. On doit les savoir antérieurs au communisme. La question essentielle pour un Chinois relève du code pénal et des "cinq châtiments cruels". Le droit de propriété, la liberté des contrats, etc. cela l'intéresse beaucoup moins.
Ne nous trompons pas non plus quand, en Chine, comme dans tous les régimes socialistes d'ailleurs, on parle de "lutte contre la corruption". Sous ce qui ne doit être reçu que comme un slogan, on peut aboutir à des choses très contradictoires, dont certaines attentent tout simplement aux libertés.
Pour le moment nous nous trouvons à nouveau devant la même machine. Elle vise, comme par le passé, à détruire encore plus la famille, la culture, les traditions et l'âme même de ce pays.
De ce point de vue, le véritable ancêtre de la dialectique marxiste et post-maoïste, reste le Philosophe qui écrivit : "la seule chose qui ne change pas c'est le changement".
JG Malliarakis
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