vendredi 3 octobre 2014

De l’ordre avant toute chose

Pourquoi j’insiste sur cette mystique de l’ordre à droite, en littérature ? D’une part, c’est un trait commun aux « Hussards » que d’avoir voulu hâter l’avènement d’un nouvel ordre. Nimier, assez vainement d’ailleurs, aspirait par exemple à un « classicisme moderne ». Et puis, plus fondamentalement, la quête de l’ordre est quand même une dimension quasi essentielle de ce qu’on pourrait appeler le « tempérament » de la droite littéraire. Je m’explique. Historiquement, la droite, marquée par l’image négative que la gauche lui a renvoyée, a développé une « volonté de désamorçage du conflit ». Dès l’origine, donc, la droite rejette les étiquettes politiques, mais aussi la politique elle-même, associée dans son imaginaire à un facteur de division. La droite, ou la hantise du conflit. 
Tout cela invite un peu à lire autrement le manifeste de La Parisienne : 
Cette revue [La Parisienne], disais-je en somme, ne se propose pas, à l’aide de petites ruses pédagogiques, de convaincre son public, de lui inculquer des vérités, de l’endoctriner ex cathedra, de l’enseigner sur les dogmes (...). [Nous recherchons] « l’esprit » [car il est] un plaisir partagé parce que l’on accepte les traits que tire l’autre. Une querelle didactique, où l’on pèse ses arguments un à un, est fermée comme une bataille d’insectes. Les adversaires n’ont rien à espérer l’un de l’autre (...). L’esprit introduit l’espoir d’une rémission dans les luttes qui, s’il les quitte, deviennent sans espoir. 
Derrière la supposée finalité séductrice de la littérature, une autre intention se précise. En prônant la « démilitantisation » dans les lettres ou, comme dans ce dernier extrait, « la rémission dans les luttes » par « l’esprit », Jacques Laurent exprimerait toute la hantise du conflit propre à « la droite ». En un sens, droites littéraire et politique partageraient une identité de représentantes de « l’ordre établi ». 
En tant que telle, et parce que plus encline au mysticisme, la « droite littéraire » se révèlerait être profondément animiste. L’ordre du monde, ses lois, relèvent en effet d’une même âme pour les « Hussards », qu’elle soit divine chez Nimier, ou naturelle chez Déon. La thématique du respect de l’ordre de la Création, dans cette rhétorique, dénote chez nos écrivains un souci de s’inscrire dans un même souffle vital. L’animisme tente ainsi de réconcilier ces consciences désespérées, partagées entre « la tentation du repli et la recherche d’une troisième voie introuvable », écartelées par l’exigence contradictoire du respect de l’ordre de la Création et la nécessaire affirmation du moi dans un ordre qui les dépasse, mais qu’elles doivent pourtant, elles, dépasser. « L’esprit », comme principe ordonnateur, s’offre alors comme la seule force susceptible de rétablir l’harmonie collective et d’apaiser le sentiment de « fragmentation du moi » qui fait tant défaut à l’écrivain de droite... une topique animiste archétypale de l’homme de droite, qui oppose au « tout politique » de la gauche sa volonté de ne pas forcer le cours des choses pour ne pas attenter à l’harmonie naturelle : la fortune, les circonstances, les faits, ou la Providence auront toujours raison de l’homme. 
Pierre Poucet, Les Hussards, cavaliers des Arts et Lettres

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