mardi 7 octobre 2014

Chronique de livre: Régine Pernoud, Pour en finir avec le Moyen Âge

Il est peu d’époques qui échappent à une relecture et une réécriture par les vainqueurs… Celle nommée « Moyen Âge » ne fait pas exception : entre images de famine, épidémie de peste, populations misérables et seigneurs cruels, le « Moyen Âge » nous est présenté, par les penseurs officiels, comme une période sombre et misérable, à mille lieues de notre époque contemporaine, si enviable en comparaison.

Et si, au contraire, ce Moyen Âge, s’étendant sur mille ans, ne peut se résumer en quelques lignes, -si peu flatteuses- des manuels de vulgarisation ? S’il ne fut pas l’âge sombre que l’histoire officielle veut bien nous décrire ? Si ces populations ne furent, finalement, pas si éloignées de nous ?

Régine Pernoud (1909-1998), médiéviste, conservateur honoraire aux Archives nationales pendant près de trente ans, contribua, tout comme les renommés Jaques Heers et Jacques Le Goff, à redonner ses lettres de noblesse à cette époque si décriée ; Pour en finir avec le Moyen Âge, avec son titre provocateur, reprend une à une toutes les idées reçues et les démonte brillamment : entre écriture fluide et accessible et références pointues, elle met à mal l’image du serf tourmenté par un seigneur cruel, de la femme ne possédant pas d’âme, de la population illettrée et veule, de la terrible et meurtrière Inquisition… Si ce petit ouvrage n’est pas récent (il fut publié initialement en 1975), il n’en demeure pas moins toujours d’actualité : en effet, si depuis ce livre et les travaux d’autres historiens les programmes scolaires ont évolués, les poncifs restent les mêmes, notamment à travers les discours culturels, et les films.

Cinématographie : entre cruauté et misère

Niveau cinématographique, il est vrai que les films traitant de l’âge médiéval en donnent souvent une vision peu ragoutante, mais généralement totalement fantaisiste : à l’instar du fameux Le Nom de la rose, sorti en 1986, avec sa population débile et mourant de faim, ses moines cupides et dégénérés et son livre empoisonné (près de cinq millions d’entrées en France, tout de même), nous trouvons, plus récemment, la série Inquisitio, diffusée sur France 2 durant l’été 2012.

De quoi traite la série Inquisitio ? Comme son nom l’indique, de l’Inquisition : en 1370, alors que Clément VII, à Avignon, et Urbain VI, à Rome, se disputent la place de souverain pontife, Guillermo Barnal, grand Inquisiteur et borgne, se trouve chargé d’une mission à Carpentras. Il y rencontre alors un médecin juif, occupé à trouver un vaccin contre la peste. Entre les scènes de tortures et de viols, Sainte Catherine de Sienne, représentée comme une névrosée aux pulsions meurtrières, répand la peste à des fins politiques…

L’inquisition médiévale possède une légende noire, qui contribue à faire passer le Moyen Âge pour une période sombre, et l’imagination populaire n’a pas attenduInquisito pour cela. Régine Pernoud cite dans le chapitre VII de Pour en finir avec le Moyen Âge une anecdote personnelle révélatrice, et toujours d’actualité : la réaction de son assistante aux Archives Nationales, quand l’historienne lui remet le passage du Trésor de Brunetto Latini, traitant de la rotondité de la Terre :

« Tiens ! me dit-elle, très étonnée, je croyais que Galilée avait été brûlé vif au Moyen Âge pour avoir dit que la terre était ronde. »

Outre le fait que Galilée ne fut pas brûlé vif, que la rotondité de la terre était connue depuis quatre siècle, et que cette histoire se déroula pendant la période classique, et certainement pas durant l’époque médiévale, les idées reçues sur l’Inquisition médiévale sont légions, malgré les travaux d’historiens sérieux. Les procès de sorciers et de sorcières (il y a d’ailleurs une sorcière, rousse de surcroit, dans Inquisitio) ? « On sait, ou plutôt on sait mal, que, s’il y a toujours eu des sorciers, des sorcières, et plus encore des histoires de sorciers et de sorcières, les premiers procès mentionnés expressément dans des textes n’ont lieu qu’au XIVème siècle dans la région toulousaine […] avec le XVIIème siècle –siècle de la Raison- le nombre des procès en sorcellerie s’enfle dans des proportions insensées. […] Voilà ce qui devrait faire réfléchir ceux qui ont tendance à accoler inconsidérément l’adjectif médiéval au terme obscurantisme. » explique Régine Pernoud. « Les bûchers, allumés par milliers ? « Les peines généralement appliquées sont l’emmurement, c’est-à-dire la prison (on distingue le « mur étroit » qui est la prison proprement dite, et le « mur large » qui est une résidence surveillée) ou, plus souvent encore, la condamnation à des pèlerinages ou au port d’une croix d’étoffe cousue sur les vêtements. » Et si l’historienne n’oublie pas de parler des condamnations au feu et du trop grand zèle de l’inquisiteur Robert le Bougre, nous sommes bien loin de la série Inquisitio, dont France 2, a, -oh, joie !- commandé une deuxième saison.

Problème : combien de nos compatriotes n’ont, pour seule source d’information et de culture, que la télévision ? Qui, débâtant d’un sujet historique avec un Français lambda, ne s’est pas entendu répondre : « Si si, c’est vrai, je l’ai vu à la télé ! », en justification d’un mensonge historique énorme ? Mensonges historiques, qui, en plus d’être diffusé via des films fantaisistes, le sont aussi par la classe dirigeante actuelle.

La femme au temps des cathédrales

pernoud 2.jpgEn 1990, Laurent Fabius, alors président de l’Assemblée nationale (mais certainement pas médiéviste…), déclare :

« Les docteurs de l’église ont discutés pendant des siècles pour savoir si les femmes avaient une âme. »

Ce grand classique du bobard historique résume assez bien l’image qu’ont la plupart des gens de la femme médiévale : considérée comme impure et monstrueuse parce que femme, battue, enfermée (dans des tours ou des cages, au choix), humiliée en permanence, n’ayant aucun droit… Difficile d’imaginer une autre vie pour les femmes de l’âge médiéval, quand un personnage politique important (et donc, sensé être cultivé) affirme que ces femmes étaient considérées pire que des animaux !

Régine Pernoud écrivit beaucoup sur la femme médiévale ; on lui doit, entre autre, un ouvrage intitulé La femme au temps des Cathédrales, présentant la vie de la femme à travers tout le Moyen Âge, des biographies de Blanche de Castille, Jeanne d’Arc, Aliénor d’Aquitaine...

Alors, quel fut le statut de la femme au temps des cathédrales ? « N’est-il pas surprenant, en effet, de penser qu’aux temps féodaux, la reine est couronnée comme le roi, généralement à Reims […], mais toujours par les mains de l’archevêque de Reims ? Autrement dit, on attribue au couronnement de la reine autant de valeur qu’à celui du roi. » note la médiéviste dans Pour en finir avec le Moyen Âge. Et si la reine, (jusqu’à Marie de Médicis) est couronnée au même titre que son époux, qu’en est-il des autres femmes, celles qui ne sont pas nobles ? «On voit par exemple les femmes voter comme les hommes dans les assemblées urbaines ou celle des communes rurales. […]Lorsque les textes permettent de différencier l’origine des votes, on s’aperçoit que, dans des régions aussi différentes que les communes béarnaises, certains villages de Champagne ou certaines villes de l’Est comme Pont-à-Mousson, ou encore en Touraine lors des états généraux de 1308, les femmes sont explicitement nommées parmi les votants, sans que ce soit présenté d’ailleurs comme un usage particulier à la localité.[…]Dans les actes notariés il est très fréquent de voir une femme mariée agir par elle-même, ouvrir par exemple une boutique ou un commerce, et cela sans être obligée de produire une autorisation maritale. Enfin, les rôles de la taille (nous dirions les registres du percepteur), lorsqu’ils ont été conservés comme c’est le cas pour Paris à la fin du XIIIème siècle, montrent une foule de femmes exerçant des métiers : maîtresse d’école, médecin, apothicaire, plâtrière, teinturière, copiste, miniaturiste, religieuse, etc. » Encore une fois, la réalité est bien différente des idées reçues, et la femme n’était pas plus enfermée dans une cage que toute la période médiévale fut parsemée de bûchers à sorcières ! Elle travaillait, votait, était majeure à douze ans (contre quatorze ans pour les garçons), si elle était noble elle gérait son domaine… Du moins jusqu’à la fin de l’âge médiéval.

Régine Pernoud souligne que durant le Bas Moyen Âge (la toute fin de la période médiévale), avec l’engouement pour le droit Romain, les droits des femmes s’amenuisent : « C’est, comme toujours, dans l’histoire du droit qu’il faut chercher les faits et leur signification, autrement dit la raison de ce déclin devenu, avec le XIXème siècle, disparition totale du rôle de la femme, en France surtout. Son influence diminue parallèlement à la montée du droit romain dans les études de juristes, puis dans les institutions, et enfin dans les mœurs. C’est un effacement progressif dont on suit très bien, en France du moins, les principales étapes. »

Pour ce qui est de l’âme des femmes, si l’historienne souligne « nous n’irons pas non plus discuter les sottises évidentes qui ont été proférées dans ce sens », elle déclare, avec beaucoup d’humour : « Ainsi, pendant des siècles, on aurait baptisé, confessé et admis à l’Eucharistie des êtres sans âme ! […] Etrange que les premiers martyrs honorés comme des saints aient été des femmes et non des hommes : sainte Agnès, sainte Cécile, sainte Agathe et tant d’autres. Triste, vraiment, que sainte Blandine ou sainte Geneviève aient été dépourvues d’âmes immortelles. […] Enfin, qui croire, ceux qui reprochent à l’église médiévale, justement, le culte de la Vierge Marie, ou ceux qui estiment que la Vierge était alors considérée comme une créature sans âme ? »

L’Histoire n’est pas une science sans fondement, elle est une science ardue ne permettant pas l’à peu près, ni les développements hasardeux. Elle comporte des données immuables, qui ne dépendent pas de nous, et que nous devons accepter. Les (trop) nombreux et lassants poncifs sur le Moyen Âge nous présentent une Histoire fausse et caricaturale, en totale contradiction avec le vrai Moyen Âge, présents sont nos yeux : les voutes gothiques, fièrement dressées depuis près d’un millénaire, les enluminures d’une finesse extraordinaire, les chasses délicatement ciselées…

Afin d’y remédier, l’ouvrage de Régine Pernoud est un indispensable pour (re)découvrir le temps des cathédrales.

Marie/C.N.C

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