lundi 1 septembre 2014

Cinquante ans après, réflexions sur l’OAS par Dominique Venner

Le temps galope plus vite que ne l’imaginait Alexandre Dumas quand il écrivait une suite aux Trois Mousquetaires. Ce n’est pas « vingt ans après », mais cinquante ans après 1962 que d’anciens acteurs ou témoins se retrouvent par historiens interposés pour évoquer leurs souvenirs et réfléchir sur ce qui fut l’un des derniers drames vécus par la France en Algérie avant qu’elle ne sorte de l’Histoire.
Le 15 juin 2012, La Nouvelle Revue d’Histoire (NRH) mettra en vente un très riche numéro hors série (n° 4) consacré à “L’Algérie. Histoire d’une terre tragique”. Une histoire que nous revisiterons dans sa longue durée (2000 ans), depuis la conquête romaine jusqu’à la fin de la présence française. Une part notable sera consacrée à la guerre d’Algérie (1954-1962) en montrant ses origines depuis 1942 (débarquement anglo-américain, puis épisode gaulliste de 1943-1945). Il n’est pas possible, en effet, de comprendre et d’interpréter les événements récents si l’on ignore les longues plages historiques qui les ont précédés.
En préparant ce numéro hors série de la NRH avec plusieurs de nos collaborateurs spécialisés, notamment Philippe Conrad, Bernard Lugan, Yann Le Bohec, Jean Monneret ou Péroncel-Hugoz, je réfléchissais pour ma part à ce que fut l’OAS et sa véritable signification. C’est le résultat très condensé de ces réflexions que je présente ici. Il n’engage que moi et intéressera d’abord ceux qui n’étaient pas encore nés à cette époque, mais ont parfois recueilli des souvenirs brûlants au sein de leur famille.
Qu’est-ce que l’OAS ? Ce fut d’abord une appellation qui rappelait l’époque de la Résistance dont plusieurs de ses futurs inspirateurs avaient gardé la nostalgie : “Organisation Armée Secrète”. Une appellation fort peu politique et dépourvue de signification idéologique. Elle correspond assez bien à ce que fut cette “organisation” assez peu organisée, dont on peut retenir trois composantes et plusieurs significations.
L’OAS fut d’abord le mouvement de résistance des Européens d’Algérie (à l’époque, on ne disait pas “pieds noirs”) après l’échec du putsch des généraux du 22 avril 1961. Ces Français se sentaient trompés et abandonnés, menacés dans leur existence. Ils pressentaient qu’ils seraient contraints de fuir leur pays sous le coup d’une épuration ethnique voulue par le FLN algérien avec la complicité de l’Etat français. Celui-ci déchaina en effet toutes ses forces contre les victimes de sa politique avant et après les “accords” d’Évian (18 mars 1962). Il brisa par la force la révolte de Bab el-Oued (quartier européen et populaire d’Alger) comme l’armée soviétique à Budapest en 1956. Il fit tirer sur la foule désarmée devant la Poste d’Alger, le 26 mars 1962 (63 morts). Il assista passivement aux enlèvements et égorgements d’Européens par le FLN et aux massacres d’Oran (5 juillet 1962). Il ne fit rien pour aider et accueillir le flot des rapatriés qui cherchèrent refuge en France à partir de juillet 1962. Il laissa massacrer les harkis en leur retirant la nationalité française, tout en interdisant à l’armée de les secourir. Dans son livre “Un Silence d’État”, s’appuyant sur les archives officielles, l’historien Jean-Jacques Jordi (Editions Soteca, 2011) a apporté la preuve que les violences de l’OAS ont été des ripostes désespérées aux violences visant les Européens, et ne peuvent en aucun cas justifier celles de l’État français ou du FLN. L’historien Jean Monneret a apporté des preuves identiques concernant les massacres d’Oran (“La tragédie dissimulée, Oran, 5 juillet 1962”, Michalon, 2012).
En ce temps-là, il y avait en Algérie un peu plus d’un million de Français ou assimilés, présents depuis plusieurs générations. Ils n’étaient en rien responsables du sort cruel qui s’abattait sur eux. Dans leur révolte désespérée, concentrée principalement à Alger et Oran, ils trouvèrent le soutien d’un nombre important d’officiers, parmi lesquels le général Salan et le fameux lieutenant Roger Degueldre (fusillé le 6 juillet 1962), organisateur à Alger des “commandos Delta”. Cela introduit à la deuxième composante de l’OAS qui était militaire.
Avant, pendant et après le putsch des généraux, de nombreux officiers (Godard, Gardes, Argoud) acceptèrent de tous sacrifier (carrière, confort, liberté), par sens de l’honneur et leur idée du devoir. L’histoire de la France, n’a connu aucune révolte militaire d’une telle ampleur impliquant nombre de généraux (Salan, Jouhaud, Gardy, Vannuxem, Faure) sans compter ceux du putsch (Challe et Zeller). Au total, les juridictions spéciales mises en place par de Gaulle ont prononcé contre des militaires trois condamnations à mort suivies d’exécutions, 170 condamnations à des peines criminelles et 324 condamnations à la prison pour “activités subversives”. Par ailleurs, dans la seule année 1961, 1300 officiers démissionnèrent. En tout, de 1963 à 1967, 7172 officiers choisirent de quitter l’armée. On n’avait jamais vu cela ! Cette révolte est d’autant plus surprenante qu’elle fut dirigée contre un officier célèbre (il est vrai plus politique que militaire), porté au pouvoir en mai 1958 par les siens dans le but de sauver l’Algérie française. Les généraux et officiers qui rejoignirent l’OAS en 1961 considéraient le général de Gaulle comme un traître à la promesse de Mai 58 et aux engagements solennels pris à l’égard des populations d’Algérie (notamment les Musulmans). Ils voyaient en lui un traître à l’idée qu’ils se faisaient de la France, et un traître également à l’image idéale du général rebelle de Juin 1940. Je renvoie sur ces différents points à mon essai détaillé, “De Gaulle, la grandeur et le néant” (Le Rocher, 2008).
La troisième composante de la grande révolte fut plus idéologique. Elle a concerné principalement la France métropolitaine. L’OAS y reçut le soutien d’une fraction de la droite nationale issue parfois du gaullisme et de la Résistance (Soustelle, Bidault) et d’intellectuels brillants (Raoul Girardet, Roger Nimier, Jacques Laurent, Philippe Héduy ou Jules Monnerot). Elle mobilisa des militants idéalistes, souvent très jeunes, assez fous pour se lancer dans une aventure où jamais un esprit censé ne se serait embarqué. C’est aussi en métropole que naquit le seul projet stratégique cohérent, conçu par le lieutenant-colonel Bastien Thiry (fusillé le 11 mars 1963). Pour combattre la politique algérienne du général de Gaulle, il pensait logiquement qu’il fallait frapper à la tête. Tel fut le but de divers attentats manqués, notamment celui du Petit-Clamart, le 22 août 1962. En raison de sa date (postérieure à l’indépendance de l’Algérie), cet ultime attentat se voulait plus un geste de vengeance ou de justice qu’un acte politique.
Résistance sans idéologie, sans buts politiques ni stratégie bien définie, sans véritable chef (le général Salan n’était qu’un chef nominal), l’OAS ne pouvait qu’échouer alors que se liguait contre elle le mouvement universel de la décolonisation, le recul historique d’une Europe culpabilisée, la lassitude ou l’hostilité de l’opinion française, la volonté implacable et méprisante du général de Gaulle devant qui les amateurs naïfs et désespérés de la révolte n’étaient pas de taille. Certainement, il fallait trouver des solutions au drame algérien, mais concernant l’abandon pur et simple adopté en catastrophe par le général de Gaulle, il n’était pas possible d’agir de façon plus désastreuse pour l’avenir, indigne et cruelle à l’encontre de nos compatriotes. Comme tant d’autres mouvements clandestins, l’OAS ne fut pas à l’abri de querelles internes qui prirent un tour tragique quand furent exécutés à Alger les deux dirigeants du “Front nationaliste”, Michel Leroy et René Villard (19 janvier 1962) qui reprochaient à l’Organisation son absence de stratégie politique. Il reste qu’en dépit de l’échec, subsiste le souvenir d’hommes de droiture et de courage que la postérité, parfois honore, comme cela fut le cas récemment pour le commandant Denoix de Saint-Marc ou pour le commandant Guillaume, dont le souvenir altier imprègne Le Crabe-Tambour, film unanimement admiré de Pierre Schoendoerffer.
Au regard de l’histoire, cette révolte de la population européenne d’Algérie (et d’une partie de l’Armée) contre les forces d’un État trahissant sa fonction protectrice, peut être regardée comme une anticipation. Oui, une sorte d’anticipation extrême et inaboutie des “populismes” qui naîtront ultérieurement dans une Europe soumise par les oligarchies dirigeantes à de catastrophiques invasions migratoires de peuples inassimilables porteurs d’une religion politique conquérante. Inversement, au plan des idées, il faut bien voir que cette révolte n’a apporté que confusion, hormis la “critique positive” qui en fut faite.
 Dominique Venner
Notes
Brève bibliographie :
  1. Anonyme, Pour une critique positive, Prison de la Santé, 1962.
  2. Michèle Cointet, De Gaulle et l’Algérie française, Tempus-Perrin, 2012.
  3. Olivier Dard, Voyage au cœur de l’OAS, Perrin, 2005.
  4. Jean Ferrandi. Six cents jours avec Salan et l’OAS. Fayard, Paris 1969.
  5. Georges Fleury, Histoire secrète de l’OAS, Grasset, 2002.
  6. Bertrand Le Gendre, entretiens avec Jean-Jacques Susini, Confessions du n°2 de l’OAS, Les Arènes, 2012.
  7. Claude Micheletti, Fors l’honneur. La guérilla OAS à Oran, Curutchet, 2002.
  8. Pierre Sergent, Ma peau au bout de mes idées, La Table Ronde, 2 vol., 1967-1968.
  9. Dominique Venner, Le Cœur rebelle, Belles Lettres, 1994.

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