Critique de Présent sur la nouvelle parution de Xavier Martin.
A l’école de la République, les écoliers apprennent que l’humanisme des Lumières est un progrès, qu’il représente le franchissement décisif d’une marche, qu’il est la conception la plus haute qu’on puisse avoir de l’Homme. En une dizaine d’ouvrages, le Pr Xavier Martin a montré qu’abondent les textes du XVIIIe siècle qui disent autre chose, voire le contraire.
Des textes signés des auteurs prestigieux, Voltaire. Rousseau, Diderot, ou des multiples auteurs secondaires en qui s’exprime l’esprit du temps. Ils invitent à réexaminer en profondeur la nature et la réalité de cet « humanisme » éclairé. L’homme des droits de l’homme et sa compagne(2001), Nature humaine et Révolution française (2002),Voltaire méconnu (2007). ont dévoilé des « aspects cachés de l’humanisme des Lumières » qu’on peut résumer en un réductionnisme radical. Il baigne le XVIIIe siècle, passe par la Révolution et atteint le XIXe siècle (S’approprier l’homme, un thème obsessionnel de la Révolution, 2013 ; Mythologie du Code Napoléon, 2003). Xavier Martin a relevé une tournure omniprésente chez les philosophes : Ie « ne. que. », expression syntaxique de ce réductionnisme.
Une pensée nominaliste
Il est une autre tournure que le nouvel ouvrage du Pr Martin met en évidence dans les écrits philosophiques : l’incise « qu’on appelle. ». « L’animal appelé homme », écrit Voltaire. L’homme est une convention. Nous sommes là au coeur des Lumières, à l’articulation idéologique où naît le sous-homme et cette articulation est nominaliste. « Ce type de pensée réduit à néant la notion de genre, la notion d’espèces, commodités d’ordre mental et rien de plus. » Dès lors que l’homme n’est pas clairement reconnu comme espèce, qu’est-il ? La notion est mouvante.
La frontière avec l’animal n’existe plus. L’homme et l’animal se distinguent par un plus ou moins, plus ou moins de sensibilité, plus ou moins d’intelligence. Sont appelés hommes, c’est-à-dire appartiennent à l’humanité, ceux que les philosophes estiment répondre aux critères qu’ils ont eux-mêmes fixés.
La nature humaine étant ainsi faite, ils se prennent comme critères : une élite masculine, européenne et pensante. Conséquence, un mépris – une haine – pour les ethnies exotiques, les femmes et le peuple.
Les citations pleuvent, se recoupent et forment un constat accablant.
Les peuples lointains, soit les Africains et les Lapons, sont assimilés à des bêtes, au mieux des animaux nobles, souvent des animaux très inférieurs. L’animal auquel on compare volontiers l’Africain est l’orang-outan. La conviction que l’homme noir « est tout autant ou davantage parent du singe que de l’homme blanc », écrit Xavier Martin, cette conviction « plus ou moins sourde ou explicite, conceptuellement assez confuse et tâtonnante, mais accueillie diffusément comme scientifique, est dominante dans l’opinion dite éclairée. » Pour Voltaire, le physique nègre est l’occasion de rire de la Genèse, son obsession : « une plaisante image de l’Etre éternel qu’un nez noir épaté avec peu ou point d’intelligence ! ».
La frontière avec l’animal n’existe plus. L’homme et l’animal se distinguent par un plus ou moins, plus ou moins de sensibilité, plus ou moins d’intelligence. Sont appelés hommes, c’est-à-dire appartiennent à l’humanité, ceux que les philosophes estiment répondre aux critères qu’ils ont eux-mêmes fixés.
La nature humaine étant ainsi faite, ils se prennent comme critères : une élite masculine, européenne et pensante. Conséquence, un mépris – une haine – pour les ethnies exotiques, les femmes et le peuple.
Les citations pleuvent, se recoupent et forment un constat accablant.
Les peuples lointains, soit les Africains et les Lapons, sont assimilés à des bêtes, au mieux des animaux nobles, souvent des animaux très inférieurs. L’animal auquel on compare volontiers l’Africain est l’orang-outan. La conviction que l’homme noir « est tout autant ou davantage parent du singe que de l’homme blanc », écrit Xavier Martin, cette conviction « plus ou moins sourde ou explicite, conceptuellement assez confuse et tâtonnante, mais accueillie diffusément comme scientifique, est dominante dans l’opinion dite éclairée. » Pour Voltaire, le physique nègre est l’occasion de rire de la Genèse, son obsession : « une plaisante image de l’Etre éternel qu’un nez noir épaté avec peu ou point d’intelligence ! ».
La femelle
Dans l’ontologie plutôt imprécise que dessine la nouvelle philosophie, les femmes sont radicalement séparées des hommes et inférieures.
Les philosophes les pensent constitutivement mal organisées pour penser. Si une femme fait profession de penser, les philosophes la tolèrent en regrettant qu’elle ne soit pas un homme. Ils le lui disent et elle est supposée en être flattée. Fleurit l’épithète « femelle ». Espèce femelle, auteur femelle, moine femelle, le qualificatif méprisant aura largement cours également sous la Révolution.
Ce mépris s’accompagne d’une réification : la femme est un objet de consommation. Dans cette perspective, le viol devient un acte bénin. Il est même envisagé par les philosophes que l’homme soit la vraie victime du viol qu’il commet, victime qu’il est de la ruse féminine qui feint de résister. Voltaire, Diderot tiennent à l’affirmer, à le démontrer, et surtout Rousseau, « indéniable virtuose de la pensée retorse » qui « donne ici largement sa mesure », Benjamin Constant parlera, lui, de« galanteries trop vives ». Le mode de défense choisi par les amis de DSK lors de l’affaire Nafissatou Diallo aurait paru naturel, voire scientifiquement étayé, aux philosophes. D’autant qu’il s’agissait d’une femme noire, cumul de deux « infériorités ».
Auxquelles s’y ajoute une troisième : l’origine plébéienne.
« Vous savez qui je suis ? »
Voltaire situe le peuple quelque part « entre l’homme et la bête ».
Rousseau parle de « populace abrutie et stupide », D’Holbach d’une « populace imbécile ». Pour d’Alembert le peuple est un « animal imbécile » et il s’agit de haïr « le gros du genre humain comme il le mérite ». Cela jure avec la réputation de ces auteurs ? C’est un très mince échantillon d’une considérable production « démophobe » qui nous ramène, sans surprise, à l’animalisation :« C’est une très grande question de savoir jusqu’à quel degré le peuple, c’est-à- dire neuf parts du genre humain sur dix, doit être traité comme des singes », écrit Voltaire.
Ce mépris global se détaille suivant les métiers. Le manouvrier, l’artisan, l’agriculteur sont gens peu estimables, mais je les surestime : choses et bêtes peu estimables.
Par ce biais, Voltaire trouve une fois de plus moyen d’attaquer le catholicisme. Jésus n’est pas seulement né « dans un village de juif, d’une race de voleurs et de prostituées » – antisémitisme ordinaire chez les philosophes – il est fils de charpentier, comble de l’infamie !
Les philosophes les pensent constitutivement mal organisées pour penser. Si une femme fait profession de penser, les philosophes la tolèrent en regrettant qu’elle ne soit pas un homme. Ils le lui disent et elle est supposée en être flattée. Fleurit l’épithète « femelle ». Espèce femelle, auteur femelle, moine femelle, le qualificatif méprisant aura largement cours également sous la Révolution.
Ce mépris s’accompagne d’une réification : la femme est un objet de consommation. Dans cette perspective, le viol devient un acte bénin. Il est même envisagé par les philosophes que l’homme soit la vraie victime du viol qu’il commet, victime qu’il est de la ruse féminine qui feint de résister. Voltaire, Diderot tiennent à l’affirmer, à le démontrer, et surtout Rousseau, « indéniable virtuose de la pensée retorse » qui « donne ici largement sa mesure », Benjamin Constant parlera, lui, de« galanteries trop vives ». Le mode de défense choisi par les amis de DSK lors de l’affaire Nafissatou Diallo aurait paru naturel, voire scientifiquement étayé, aux philosophes. D’autant qu’il s’agissait d’une femme noire, cumul de deux « infériorités ».
Auxquelles s’y ajoute une troisième : l’origine plébéienne.
« Vous savez qui je suis ? »
Voltaire situe le peuple quelque part « entre l’homme et la bête ».
Rousseau parle de « populace abrutie et stupide », D’Holbach d’une « populace imbécile ». Pour d’Alembert le peuple est un « animal imbécile » et il s’agit de haïr « le gros du genre humain comme il le mérite ». Cela jure avec la réputation de ces auteurs ? C’est un très mince échantillon d’une considérable production « démophobe » qui nous ramène, sans surprise, à l’animalisation :« C’est une très grande question de savoir jusqu’à quel degré le peuple, c’est-à- dire neuf parts du genre humain sur dix, doit être traité comme des singes », écrit Voltaire.
Ce mépris global se détaille suivant les métiers. Le manouvrier, l’artisan, l’agriculteur sont gens peu estimables, mais je les surestime : choses et bêtes peu estimables.
Par ce biais, Voltaire trouve une fois de plus moyen d’attaquer le catholicisme. Jésus n’est pas seulement né « dans un village de juif, d’une race de voleurs et de prostituées » – antisémitisme ordinaire chez les philosophes – il est fils de charpentier, comble de l’infamie !
La voie souterraine des idées
Tout cela mène Xavier Martin à exprimer des « perplexités » dans le dernier chapitre. Comment les publications universitaires, spécialisées, peuvent-elles affirmer l’humanisme des Lumières, sinon au prix de mensonges par omission ou d’atténuations péniblement menées, de caviardage des textes ?
Comment les spécialistes peuvent-ils utiliser le concept d’ »anti-Lumières » pour désigner des auteurs dont la pensée serait à l’opposé des Lumières (en gros : une pensée raciste et sous-humanisante, qui nie l’unité fondamentale du genre humain), alors que manifestement ces auteurs (Jules Soury, Georges Vacher de Lapouge.) se rattachent aux philosophes du XVIIIe par un cordon ombilical ?
Sans cacher que l’analyse d’un tel dossier est délicate et que le risque de l’anachronisme existe, l’auteur observe les tenants et les aboutissants de la philosophie des Lumières, son cheminement à travers les théories racialistes du XlXe siècle jusqu’aux idées nazies. Toutes ont comme autre point commun, et cela ne surprend pas, une haine viscérale du christianisme.
« L’image de l’homme comme transcendé religieusement s’est dissipée, effectivement, lors de son immersion dans l’animalité, conçue comme un progrès par les innovateurs affranchis des essences donc du donné humain, au siècle des Lumières. Et l’humanité en est devenue friable et soluble ; on a pu la nier chez certains humains. » Des Lumières aux camps de concentration ? L’itinéraire est de plus en plus précisément balisé, n’en déplaise à l’histoire officielle.
Comment les spécialistes peuvent-ils utiliser le concept d’ »anti-Lumières » pour désigner des auteurs dont la pensée serait à l’opposé des Lumières (en gros : une pensée raciste et sous-humanisante, qui nie l’unité fondamentale du genre humain), alors que manifestement ces auteurs (Jules Soury, Georges Vacher de Lapouge.) se rattachent aux philosophes du XVIIIe par un cordon ombilical ?
Sans cacher que l’analyse d’un tel dossier est délicate et que le risque de l’anachronisme existe, l’auteur observe les tenants et les aboutissants de la philosophie des Lumières, son cheminement à travers les théories racialistes du XlXe siècle jusqu’aux idées nazies. Toutes ont comme autre point commun, et cela ne surprend pas, une haine viscérale du christianisme.
« L’image de l’homme comme transcendé religieusement s’est dissipée, effectivement, lors de son immersion dans l’animalité, conçue comme un progrès par les innovateurs affranchis des essences donc du donné humain, au siècle des Lumières. Et l’humanité en est devenue friable et soluble ; on a pu la nier chez certains humains. » Des Lumières aux camps de concentration ? L’itinéraire est de plus en plus précisément balisé, n’en déplaise à l’histoire officielle.
Xavier Martin, Naissance du sous-homme au coeur des Lumières – Les races, les femmes, le peuple, Paris, DMM, 2014, 440 p.
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