Après Urba, le Gifco, bureau d’études proche du Parti communiste français (PCF). Une dizaine d’enquêtes pénales, totalisant quarante années d’instruction, ont tourné autour de la citadelle, sans jamais pouvoir établir, à l’instar d’Urba et du PS, l’équation Gifco=PCF. « Le parti est organisé comme si la police allait débarquer le lendemain », affirme aux enquêteurs le dissident communiste toulousain Charles Llabres. Il faut dire qu’il se sait surveillé notamment par la DST, qui veut identifier les filières de « l’argent de Moscou ».
Le Gifco a été fondé après-guerre par d’anciens résistants rompus à la clandestinité, sous l’égide de Jacques Grosman, membre du PCF. Son activité consiste à jouer les intermédiaires entre les entreprises et les municipalités communistes, sous forme « d’assistance commerciale » - décidément. Le Gifco facture ses relations avec les élus. Dans la « banlieue rouge », c’est un intermédiaire obligé pour tout type de fournitures. Ses principaux clients sont Bouygues, la Lyonnaise et la Générale des eaux (CGE). « Ce n’est pas de l’achat de vote, mais du lobbying », justifiera un dirigeant poursuivi, Jean-Dominique Deschamps, directeur adjoint de la CGE : « J’avais besoin d’un messager pour expliquer que la Générale des eaux n’était pas l’ogre dépeint. » Aucune municipalité communiste n’a jamais délégué au privé ses services de distribution d’eau – question d’idéologie. Mais dans les villes non tenues par le PCF, certains de ses élus se sont parfois abstenus. Le rôle du Gifco a pu consister à calmer une minorité communiste agissante, voire le syndicat CGT des agents municipaux, toujours susceptible de se mettre en grève en cas de privatisation de financement politique. La litanie des affaires va mettre en première ligne la « bande à Léo » : des dirigeants du PR qui gravitent autour de François Léotard, et qui enchaînent les responsabilités ministérielles sous les première et deuxième cohabitations. Et surtout les fonds secrets qui vont avec.
Le 20 juillet 1995, lors d’une perquisition au siège parisien du PR, le juge d’instruction Eric Halphen découvre un coffre-fort contenant 2,4 millions de francs en liquide. Le trésorier du parti, Jean-Pierre Thomas, lui explique qu’il s’agit d’un reliquat des fonds spéciaux hérités du gouvernement Balladur, où François Léotard occupait le ministère de la Défense et Gérard Longuet le portefeuille de l’Industrie. Les billets sont mis sous scellés. Cherchant à en savoir plus, le juge Halphen se voit opposer le secret-défense. Le jour de sa perquisition, s’il avait poussé la porte du bureau de Renaud Donnedieu de Vabres, bras de François Léotard, il aurait découvert une autre montagne de billets : 5 millions de francs en liquide. Branle-bas de combat. Renaud Donnedieu de Vabres et François Léotard s’activent pour recycler ces 5 millions-là, de peur qu’on ne les saisisse à leur tour.
Juin 1996 : mallette en main, Donnedieu de Vabres se rend dans les locaux d’une curieuse banque franco-italienne, le Fondo sociale di cooperazione europa (FSCE), où Serge Hauchart, un autre collaborateur de Léotard, a ses entrées. Contre cette remise en espèces, le PR obtient un prêt bancaire du même montant. Un prêt bidon, puisqu’il n’a pas vocation à être remboursé. Cet échange de mauvais procédés (dépôt non déclaré contre prêt non remboursable) est typique d’une opération de blanchiment, visant à donner une apparence officielle – un prêt – à de l’argent non déclaré – un dépôt.
Poursuivis pour blanchiment, Léotard et Donnedieu de Vabres réfutent vivement toute accusation de recyclage « d’argent sale ». Les fonds spéciaux, de l’ordre de 400 millions de francs par an, sont alors distribués à la discrétion du gouvernement, sans contrôle parlementaire. L’essentiel est destiné à financer des opérations secrètes de la DGSE, mais un reliquat d’une cinquantaine de millions de francs est réparti par Matignon à ses ministres favoris. Sous Balladur, Léotard en était. Cet argent n’est pas sale en soi, c’est du bel et bon argent public, distribué en liasses de 500 francs directement sortis de la Banque de France. Mais son usage peut l’être. En l’occurrence, son transfert dans le coffre-fort du PR est contrainte à la loi du 19 janvier 1995, qui interdit aux partis politiques d’être financés par une personne morale. Le législateur pensait essentiellement aux entreprises, mais la loi vise également l’État, dont la mission n’est pas de financer clandestinement les partis au pouvoir. L’argent du PR est donc sale, son recyclage est du blanchiment.
François Léotard se défend en invoquant un usage courant : « Des centaines de ministres, des dizaines de Premiers ministres et quelques présidents de la République ont procédé ainsi. » Mais lui seul s’était fait prendre la main dans le sac. En février 2004, il est condamné à dix mois de prison avec sursis, une peine amnistiable dès la prochaine élection présidentielle. Renaud Donnedieu de Vabres écope d’une simple amende de 15 000 euros. Le tarif devait encourager les vocations de porteurs de valises... Pour peu, toutefois, qu’ils aient rang de ministre ou de future ministre.
Histoire secrète de la 5ème République, Renaud Lecadre
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