Dès que les bolcheviks se furent emparés du pouvoir en novembre 1917, Lénine, suivant les leçons de son maître ès révolution, développa un gigantesque appareil de propagande qui imposa « sa » vision de l’histoire et de la révolution russe. Celle-ci était commandée par les impératifs idéologiques et politiques du parti bolchévique et de son chef, et ne tenait à peu près aucun compte des réalités historiques. Le régime léniniste ayant d’emblée interdit la presse d’opposition – y compris socialiste – et établi une stricte censure sur tous les médias dont il s’était emparé du monopole, cette vision ne rencontra qu’une très faible résistance. Elle devint bientôt vérité d’État diffusée massivement en URSS mais aussi à l’étranger, portée par les dizaines de partis communistes qui venaient d’apparaître, au début des années 1920, comme des champignons après la pluie.
Cette manière totalitaire de concevoir son histoire ne tarda pas à être imposée par Lénine puis par ses héritiers, et le principal d’entre eux Staline, à l’Internationale communiste (IC) qui transmit rapidement le virus de la légende historique à toutes ses sections nationales, les partis communistes. Alors que, dans l’ensemble, l’éthique des dirigeants ouvriers et spécialistes français les avait conduits à entretenir une vision de leur histoire qui ne s’écartait guère du récit républicain et national – comme en témoignent L’histoire de la révolution française de Jean Jaurès ou L’Encyclopédie socialiste de Compère-Morel – la création du PCF en décembre 1920 introduisit progressivement la pratique des contes et légendes bolcheviques.
Avec Staline, celle-ci atteignit, dès la fin des années 1920 et dans les années 1930, des sommets de falsifications : photos truquées et ouvrages réécrits pour en faire disparaître des acteurs historiques devenus indésirables (Trotski, puis Zinoviev, Boukharine, etc.), publication en 1938 du Précis d’histoire du parti communiste bolchevique de l’Union soviétique entièrement revu par Staline, qui établissait un récit de la révolution d’Octobre et de l’URSS largement légendaire mais devenu vérité officielle et intangible jusqu’à la mort de Staline en 1953, version obligatoire pour les communistes du monde entier. Car le dictateur totalitaire veut non seulement contrôler le présent et l’avenir, mais aussi le passé.
Stéphane Courtois, Mythes et polémiques de l’histoire
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