lundi 11 août 2014

Bainville : l’homme et l’héritage

Bainville se servait de l’histoire comme le biotope du politique.
Heureuse et salutaire initiative que cette réédition du remarquable travail de Christophe Dickès, issu de sa thèse de doctorat d’histoire soutenue en 2004, et consacrée à Jacques Bainville. On connaît l’ouvrage de Dominique Decherf, Bainville, l’Intelligence de l’histoire et l’opus de Dickès vient avantageusement compléter la mince bibliothèque universitaire bainvillienne. 
La politique par l’histoire
Dès la première page de son introduction, l’auteur marque sa surprise de « voir la pauvreté de la littérature sur cet homme et son oeuvre », précisant que « depuis sa mort en 1936, on recense en effet moins d’une dizaine d’étudiants ou d’universitaires français qui se sont penchés sur ses écrits ». Il est vrai qu’à côté du méridional Maurras, son maître, Bainville, plus septentrional par ses origines lorraines, s’est toujours montré plus discret au sein de la jeune et remuante Action française du début du XXe siècle. À travers son objet d’étude, Dickès nous donne à revisiter toute l’histoire européenne de 1815 à l’avènement d’Hitler, indiquant par là combien Bainville se faisait fort de scruter les moindres événements politiques, économiques et sociaux en vue d’en dévoiler les ressorts les plus intimes. Véritable horloger suisse dans le domaine de la géopolitique, Bainville se servait de l’histoire moins comme d’un éclairage (posture classique de l’historien qui cherchera avant tout à collecter une somme sur telle époque ou tel personnage) que comme le biotope du politique par excellence.
L’homme Bainville
L’homme étant, selon Aristote, un animal politique, c’est tout naturellement que Bainville lui consacrera une place centrale dans l’observation des faits sociaux : « L’homme, à toutes les époques et dans tous les siècles, se ressemble, il a les mêmes passions, il raisonne et il se comporte de la manière dans les mêmes cas. C’est le point capital. Hors de là, il n’y a qu’erreur et fantaisie. » Serait-il alors impropre de considérer Jacques Bainville comme le précurseur de l’anthropologie politique, voire, plus largement, de la science politique moderne, dans la mesure où, s’inspirant de Sainte-Beuve, Bainville imprimera à son oeuvre une rigueur autant qu’une consistance scientifique ? Mais l’apport de la thèse de Dickès consiste surtout à extraire Bainville du mouvement royaliste d’Action française dont il était l’un des animateurs brillants, pour en retenir l’homme Bainville, le penseur autonome, spécialiste pointu de l’Allemagne (polyglotte, il parle l’allemand, l’anglais et comprend l’espagnol), diplomate, économiste averti, chroniqueur au Capital (on lui prête d’ailleurs cette formule selon laquelle, s’il s’était appliqué à lui-même ses propres conseils boursiers, il aurait fait fortune). Bainville croyait en la réconciliation franco-allemande, au lendemain de la défaite de 1870, ce qui suffit à relativiser la germanophobie qu’on lui accole trop souvent sans discernement, laquelle était d’ailleurs caractéristique de l’intransigeance de Maurras sur cette question.
Bainville, l’héritage
Mais Bainville, grâce à cette méthode que Maurras baptisera l’empirisme organisateur, restera pour ses terribles Conséquences politiques de la paix, ouvrage prophétique dans lequel il entrevoit avec une lucidité froide, la Seconde Guerre mondiale et le réveil d’une Allemagne devenue nationale-socialiste à cause de son unification retrouvée.
Christophe Dickès révèle également un Bainville inattendu, en proie à des états d’âme qui le conduiront à un nihilisme, lequel était « une tentation et non un absolu ». Sa fidélité à ses amis de l’Action française l’empêchera sûrement d’embrasser une carrière que le "Tout-Paris", avec lequel il entretenait d’étroites relations, s’empressait pourtant à lui offrir sur un plateau, ce au gré des opportunités. Dans le fond, et c’est ce qui le rend profondément attachant y compris, probablement, pour ses propres ennemis, « Bainville, par-delà son analyse, laisse en effet une grande part à la puissance des sentiments, lui qui était considéré à tort par ses contemporains comme un homme froid ». Tombée dans l’oubli après guerre, son oeuvre connaît un regain au lendemain de la chute du mur de Berlin. Et s’il est un homme encore actuel, c’est par sa méthode, mêlant observation des faits, prise en compte du principe de causalité, connaissance de l’histoire et de la psychologie humaine. À l’heure où, dans notre vieille Europe, les nations sont en pleine décomposition (alors que d’autres, dans cette même vieille Europe, montrent qu’elles ne veulent pas sombrer dans le maelström babélien), il est opportun de se demander pourquoi celles-ci sont pourtant plus que vitales à la survie de l’Europe. Il est primordial pour nos gouvernants de plonger dans notre histoire pour y trouver la bonne réponse, car, comme le disait Bainville, « un homme politique qui ne connaît pas son histoire est comme le médecin qui n’est jamais allé dans un hôpital ».
ARISTIDE LEUCATE L’Action Française 2000 du 1 er août au 3 sptembre 2008
aleucate@yahoo.fr
* Christophe Dickès : Jacques Bainville. Les lois de la politique étrangère. Bernard Giovanangeli éditeur, 2008, 23 euros.

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