La période révolutionnaire fait l’objet de mémoires et d’analyses contradictoires. Le discours dominant, l’historiographie républicaine, produit évidemment un récit hagiographique de cette période, à tel point que certains de nos contemporains en viennent à considérer, consciemment ou non, que la France est née en 1789. Les épisodes les plus sanglants, les fautes, et les crimes de la Révolution étaient jusqu’à peu traités soit par euphémismes soit attribués à la seule Convention. Ainsi, la troisième république s’est-elle affirmée comme l’héritière de 1789, en rejetant l’héritage de 1793 comme si l’esprit de la première était dissociable de celui de la seconde. Si les études universitaires ont permis de prendre un recul croissant vis-à-vis des évènements révolutionnaires, la Révolution reste cependant l’objet de débats passionnels et idéologiques. Le cas de la Vendée est dans ce domaine significatif. La mémoire vendéenne dérange, fait tâche, jure avec l’enthousiasme qui entoure généralement les commémorations de la prise de la Bastille, épiphénomène devenu fête nationale… Elle reste malgré tout vivace dans les milieux catholiques et nationaux, et en Vendée même évidemment. Les soulèvements vendéens symbolisent la révolte d’un bon sens populaire, une union des ordres de la société d’Ancien Régime face à la subversion républicaine, face à l’Etat parisien, pour la défense d’un mode de vie. Malgré tout, la mémoire vendéenne parvient à égaler en excès la mémoire républicaine. En ce mois d’Août, mois au cours duquel, en 1793, la Convention a proclamé la destruction de la Vendée en rébellion face à la levée en masse de 300 000 hommes par le gouvernement révolutionnaire, il nous a paru opportun d’effectuer un retour sur ce qui apparait avoir été avant toutes choses une effroyable guerre civile dont les lignes de fractures se prolongent jusqu’à nous.
Le contexte : la Convention et sa politique de Terreur/La Vendée avant la guerre civile
Le 10 Mars 1793, la Convention décrète la levée en masse de 300 000 hommes, afin de lutter contre les armées de l’Europe coalisée contre la République française. Dès le lendemain ont lieu les premiers heurts entre les gardes nationaux et des paysans réfractaires à cette levée en masse (en Bretagne, dans les Mauges). Jusqu’ici indifférents à l’agitation parisienne, ces paysans refusent de verser leur sang, et de priver leurs communautés des bras nécessaires aux travaux des champs, pour une cause qu’ils estiment ne pas être la leur.
La Vendée, quant à elle encore désignée sous le nom de « Bas Poitou » est une terre à part. Les paysans s’y caractérisent en effet par une religiosité pieuse et observant strictement le dogme catholique. Cette religiosité est héritée des disciples du père Louis-Marie Grignion de Monfort (mort en 1716), qui ont donné un nouvel élan aux pratiques religieuses dans ces régions quand celles-ci régressaient dans une bonne partie de la France.
Ce sont ces mêmes paysans, agités suite à l’exécution du roi Louis XVI et aux mesures antireligieuses des révolutionnaires parisiens, qui s’en prennent, le 10 mars 1793, jour de la levée en masse, aux autorités municipales. Ce soulèvement spontané couvre toute la zone du sud de la Loire qui sera connue par la suite comme la « Vendée militaire ». Le lendemain, le 11 mars, les insurgés marchent sur Machecoul, le plus gros bourg de l’endroit, où se trouvent la garde nationale et la commission de recrutement. Une altercation se produit à l’entrée de Machecoul : la foule, armée de fourches fait face à plusieurs centaines de gendarmes et de gardes nationaux. Ces derniers reculent malgré tout et refluent dans l’intérieur du bourg poursuivis par la foule. Plusieurs sont massacrés avec quelques bourgeois républicains notoires et un curé jureur (c’est-à-dire ayant approuvé la constitution civile du clergé).
Le 12 mars, les autorités nantaises exigent que les coupables se rendent. Les insurgés constituent un Comité royal et proclament : « Le peuple du Pays de Retz […] déclare […] qu’il ne reconnaît et ne reconnaîtra jamais que le Roy de France pour son seul et légitime souverain [...] qu’il ne reconnaît plus la prétendue Convention nationale, ni les départements, ni les districts» (1).
Dès le 11 Mars, la Convention créé un tribunal révolutionnaire, flanqué de « comités de surveillance » destinés à l’alimenter. Le 19 Mars 1793, la convention décrète la peine de mort pour les rebelles pris les armes à la main. Ces mesures précèdent l’ouverture de la politique de la Terreur par la Convention, le 5 septembre 1793. Cette politique se met en place progressivement par la suite. Elle vise, selon l’historien François Furet, à « organiser, systématiser et accélérer la répression des adversaires intérieurs de la République, entreprendre la punition expéditive de ‘tous les traitres’ ». Il s’agit donc de la mise en place d’une répression légale, institutionnelle, contre les ennemis de la république naissante. Elle répond à la pression intérieure mais aussi au sentiment d’encerclement provoqué par le déclenchement de la guerre européenne le 20 avril 1792. La façade ouest du territoire est soumise au blocus des anglais, les Autrichiens, Prussiens, Italiens et Espagnols progressent aux frontières, les fédéralistes Girondins voient leur rébellion prendre de l’ampleur, et le soulèvement vendéen fini par atteindre la Loire et Nantes. Les procédures de condamnation sont facilitées et accélérées par la loi du 22 prairial an II (10 Juin 1794) (l’acte d’accusation peut être fondé sur de simples dénonciations, et peut aller de l’incivisme à complot avec les ennemis de la république).
Une guerre civile
La constitution d’un comité royaliste marque le début des guerres de Vendée. Les insurgés sont en grande majorité des paysans, des artisans pour la moitié, les autres étant des laboureurs ou des travailleurs de la terre. Ils se choisissent des chefs issus de leurs rangs : Jacques Cathelineau (colporteur voiturier), Stofflet (garde-chasse). Ils manquent malgré tout d’expérience militaire. Ainsi ont-ils cherché des chefs plus expérimentés : d’Elbée, lieutenant de cavalerie, Charette, ancien officier de marine, Bonchamps, d’Autichamp, Lescure, Sapinaud, Talmond… Ces aristocrates se montrent dans un premier temps assez réticents à prendre la tête d’une armée de paysans. Ils prennent toutefois assez vite leurs responsabilités. Parmi ces nobles, Henri du Vergier, comte de La Roche Jaquelein, âgé de seulement 20 ans, est le plus hardi : «Allons chercher l’ennemi : si je recule, tuez-moi ; si j’avance, suivez-moi ; si je meurs, vengez-moi» (2).
Les insurgés, armés de faux et de fourches, chassent les «Bleus» (soldats de la république) et rétablissent le culte catholique dans leurs villages. S’en suit une guerre civile extrêmement brutale. Le 19 mars, une colonne républicaine de 3000 hommes commandée par le général Marcé est mise en déroute par les insurgés à Pont-Charrault. La Convention prend dans la foulée un décret punissant de mort le port la cocarde blanche du roi. Le 23 mars, une bande d’insurgés vendéens tentent d’investir Pornic mais est repoussée par les républicains et 300 d’entre eux sont faits prisonniers et exécutés sans procès. Apprenant la nouvelle, les insurgés de Machecoul exécutent leurs propres prisonniers. Le 27 mars, Pornic est prise par les Vendéens conduits par Charrette. 30 prisonniers capturés lors des combats passent devant un tribunal «royaliste» à Machecoul et sont condamnés à mort, avec quelques dizaines de républicains locaux. Les condamnés sont liés deux à deux par une corde, agenouillés près d’une fosse et fusillés. Cet épisode prendra le nom des «chapelets de Machecoul». La guerre civile s’étend. Le 22 avril, Pornic est reprise par les républicains.
Les insurgés parviennent à se fournir en fusils et en canons dans les villes de la région (Bressuire, Cholet, Saumur…). Ils finissent par constituer une «armée catholique et royale» d’environ 40.000 hommes indisciplinés et sans expérience militaire à l’exception d’une dizaine de milliers d’anciens soldats. C’est de plus une armée instable, la plupart de ses membres n’hésite pas à rentrer chez elle sans avoir reçu d’ordre. Néanmoins, elle parvient à remporter un certain nombre de succès, et à conquérir Angers le 18 juin. L’armée des « bleus » qui lui fait face est composée de 40.000 à 70.000 volontaires n’ayant dans l’ensemble pas plus d’expérience militaire. Le 29 Juin, le général en chef vendéen Cathelineau échoue devant Nantes, blessé, il meurt le 14 juillet 1793 et D’Elbée le remplace comme généralissime.
Aout 1793 : la destruction systématique
Le 1er Aout, suite au rapport effectué par Barère, appelant à la destruction de « l’inexplicable Vendée », la Convention décide d’adopter une motion qui frappe de destruction et de déportation les populations insurgées (3). La mise en œuvre de ce plan est confiée au général François Westermann. Dans les faits, les exécutants (Carrier, Francastel, Hertz, Merlin de Thionville), généraux, et commissions militaires procèdent de manière brutale et expéditive : fusillades en masse, noyades (les fameuses noyades de Nantes). Gracchus Babeuf déclarera que ce « système de dépopulation » fut la volonté et l’œuvre de Robespierre (ce qui est très simpliste et permet de dédouaner certains autres responsables).
Le 14 août, les insurgés vendéens défont les républicains à Luçon, entrainant le soulèvement de plus de cent villages de l’Ouest. A la fin du mois d’Août, 20.000 insurgés prennent le contrôle de la région en excluant ou massacrant les républicains et menacent la capitale. Devant la menace, la Convention envoie 100.000 hommes en Vendée sous les ordres de Kléber et Haxo. Parmi eux se trouvent les «Mayençais», des soldats d’élite ayant combattu sur le Rhin. Entre le 19 et le 22 septembre, les vendéens remportent encore cinq victoires en cinq jours (Torfou, le Pont-Barré, Montaigu, Clisson et Saint-Fulgent). Les républicains sont en déroute. Des dissensions entre les chefs vendéens provoquent toutefois la première défaite grave de la révolte, le 17 octobre 1793 à Cholet.
À suivre
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