Les puissants du jour s'efforcent volontiers de gommer les aspects de l'Histoire qu'ils jugent dérangeants. Une très vaste entreprise s'attache, et de longue date, à réhabiliter en particulier Staline. Le but de cette opération de prétendue "réconciliation avec l'Histoire", – c'est-à-dire de négation de l'Histoire, – ne doit pas être laissé de côté : elle tend à blanchir la classe des privilégiés, bénéficiaires du régime communiste, devenus accapareurs des richesses frauduleusement privatisées du pays après 1991.
Malheureusement, pour les peuples dont les dirigeants trafiquent la vérité, celle-ci trouve toujours, à leurs dépens, les voies de sa propre revanche. (1)⇓
En occident, on s'emploie à faire rétrospectivement de Staline un allié plus présentable que le criminel paranoïaque décrit par le Rapport Khrouchtchev de 1956.
En son temps on le présentait comme le "coryphée des Sciences et des Arts". Aujourd'hui, on n'oserait plus, ou pas encore, lui attribuer la création musicale ou l'activité scientifique de son pays. À l'usage des Russes, on s'attache donc à le présenter :
1° comme un grand chef de guerre, premier mensonge ;
2° comme l'artisan de l'industrialisation, deuxième mensonge ;
3° et, suprême argument mythique, comme le grand dirigeant qui aurait vaincu le "fascisme" – ce que répètent encore à l'envi les agents d'une certaine propagande.
Tout ceci revient d'abord à nier les échecs flagrants du stalinisme en tant que tel : sur le terrain de l'industrialisation comme de l'agriculture ; mais aussi sur le terrain stratégique. L'aveuglement du dictateur soviétique, l'impréparation de son armée, l'épuration sanglante et cynique de son État-Major entre 1938 et 1941 ont entraîné lors de l'attaque du 22 juin 1941 des conséquences impardonnables.
La même opération frauduleuse de réhabilitation tend dès lors à entourer aussi d'un rideau de fumée le contexte abominable de l'URSS des années 1930.
Pour répondre à cette campagne tendant à réhabiliter la période communiste, une nouvelle édition des révélations exceptionnelles apportées par Krivitsky en 1939 s'imposait.
Il existe certes plusieurs sortes de témoignages éclairants sur la réalité historique de l'URSS. L'œuvre immense et puissante d'Alexandre Soljenitsyne, par exemple, nous montre le système répressif et concentrationnaire, vu d'en bas, du point de vue des "zeks" réduits en quasi-esclavage dans le Goulag, mais aussi des ingénieurs captifs dans le Premier Cercle, ou des innombrables vies brisées comme celle d'Ivan Denissovitch. Dès le milieu des années 1920, les descriptions du régime répressif ou de la dérive dictatoriale à l'époque même de Lénine auraient pu, et donc auraient dû, éclairer les Occidentaux.
C'est en 1935 que Boris Souvarine publie son fondamental "Staline" auquel, lors de sa réédition 40 ans plus tard, il juge inutile de rajouter une page.
L'angle d'observation complémentaire que dévoile Krivitsky, cet "homme qui en savait trop", se révèle pourtant irremplaçable : il s'agit du témoignage d'un important officier de Renseignement militaire responsable de l'Europe occidentale.
Né en 1899 dans une ville de la Galicie, partie de l'Empire austro-hongrois, il s'était engagé, sous le nom de Walter Krivitsky, dans l'Armée Rouge. Il la servit jusqu'en 1938, sans jamais appartenir à la terrible police politique. Sous les noms successifs de Tchéka, Guépéou, puis NKVD cette abominable organisation totalitaire développait progressivement son emprise et son étau au service du maître du Kremlin.
Après avoir cherché quelque temps à surmonter ses désillusions, le général Krivitsky n'accepta pas l'alliance qui se dessinait entre l'URSS et l'hitlérisme. Cette opération à laquelle le dictateur croyait dur comme fer, se révéla catastrophique.
Krivitsky rompit avec Moscou en 1938. Son livre fut écrit et publié aux États-Unis en octobre 1939 au moment du pacte Staline-Ribbentrop. (2)⇓ Il en explique largement la mise en place. Une traduction française parut en 1940 alors que la France vivait les premiers mois de la guerre, que l'Europe orientale subissait le partage et que la Finlande résistait victorieusement à son agresseur.
Les révélations qu'il contient ne mettent pas seulement en cause les crimes, les reniements de l'idéal et les trahisons du régime. Ils en éclairent le mécanisme et l'abominable logique, implacable, totalitaire, paranoïaque.
En particulier le rôle du stalinisme dans la guerre d'Espagne, et l'imposture du soi-disant mot d'ordre "antifasciste", y sont mis en lumière.
C'est seulement en 1979, qu'à Paris on voulut le rééditer. (3)⇓ À cette époque Brejnev avait entrepris la lente réhabilitation de Staline. Et les réseaux communistes s'employèrent à étouffer la publication des révélations antistaliniennes du général Krivitsky, datant pourtant de l'avant-guerre.
Quelque temps après la publication de son livre, en août 1940, Trotski venait d'être assassiné au Mexique. Willi Münzenberg avait été liquidé en France pendant l'été. De ce jour Walter Krivitsky, principal transfuge issu du Renseignement militaire, traqué depuis des mois, sut qu'il figurait désormais au premier rang des cibles désignées aux tueurs du NKVD. En février 1941, âgé de 52 ans, il était trouvé mort "mystérieusement" dans un hôtel de Washington.
À notre époque, où une certaine propagande s'emploie à gommer cette période de l'Histoire la redécouverte de ce témoignage capital, vivant et réaliste, nous semble donc nécessaire à la cause de la vérité et de la liberté. (4)⇓
Apostilles
- La même négation des abominations de la Révolution a parcouru l'historiographie française, au cours du XIXe siècle. Or, en réhabilitant les crimes jacobins, sous prétexte de "patriotisme", on a enfoncé la France dans la décadence et le conformisme "républicains" dont elle mourut longtemps à petit feu, et depuis une trentaine d'années à grands pas. ⇑
- cf. les documents et les cartes que j'ai rassemblés et publiés sous le titre"L'Alliance Staline-Hitler".
- aux éditions Champ Libre. Cette maison d'extrême gauche non stalinienne avait été fondée par Gérard Lebovici lui-même proche du situationniste Guy Debord. Disparues en 1991, leur fond est partiellement continué par les éditions Ivrea. Celles-ci diffusent encore le livre de Souvarine. Voici comment Champ libre présentait l'aventure qui lui survint alors : Ce livre a été aussitôt saisi à la demande d'une maison d'édition dite "La Pensée sauvage" qui prétendait mensongèrement avoir acquis chez un éditeur américain les droits du même livre dans l'intention de le publier à très bref délai. Cette intention prétendue n'ayant été suivie d'aucun effet pendant deux ans, on se trouve obligé de conclure que l'intervention policière, et la longue obstruction judiciaire, dont les éditions dites de "La Pensée sauvage" ont pris la responsabilité – sans détenir le moindre droit et sans rien vouloir faire de leur imposture – n'étaient objectivement destinées qu'à couvrir les crimes de la politique stalinienne, en empêchant le public français de prendre connaissance de cet important document. Avis aux amateurs : le gibier qui se dit sauvage est très souvent, dès l'origine, apprivoisé. ⇑
- on peut commander ce livre :
- sur la page catalogue des Éditions du Trident
-ou en téléchargeant et en imprimant la plus récente circulaire de nouveautés de l'éditeur. ⇑
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