Le Figaro Magazine - 13/06/2014
Pendant la Grande Guerre, les catholiques ont épousé les passions nationales, restant sourds aux appels à la paix du pape Benoît XV.
Le 23 décembre 1915, Le Bonnet rouge, un journal d'extrême gauche, accuse les prêtres d'être des « embusqués » qui échapperaient au front en se faisant affecter à l'arrière, notamment dans les hôpitaux où ils rivaliseraient de « zèle clérical » auprès des blessés. Le 13 février suivant, La Dépêche de Toulouse, un quotidien radical-socialiste, reprend l'accusation, mettant « au défi n'importe quel poilu de dire qu'il a vu monter la garde aux tranchées à un curé ». Ce que les catholiques nommeront la « rumeur infâme » vaudra au journal toulousain d'être condamné par la justice et de reconnaître, le 9 juillet 1916, que les prêtres ont versé leur sang « comme tout le monde ».
Xavier Boniface, un universitaire, évoque cette polémique dans un livre où il rappelle quelques chiffres : de 1914 à 1918, de 30 000 à 32 000 prêtres, religieux et séminaristes, ont été mobilisés, de même que 500 pasteurs et quelques dizaines de rabbins. 1 900 prêtres, 1 300 séminaristes et 1 500 religieux ont été tués pendant la Grande Guerre, soit en servant comme brancardiers et infirmiers, en vertu d'une loi de 1889 qui ne s'appliquait qu'aux plus âgés, soit, pour les plus jeunes, au sein des unités de combat où, le fusil à la main, ils faisaient souvent fonction d'aumôniers bénévoles.
L'engagement du clergé français dans le conflit n'est qu'une facette de cette Histoire religieuse de la Grande Guerre. L'ouvrage s'intéresse à tous les pays belligérants, comme à toutes les confessions. Réactions à l'entrée en guerre, accompagnement humain et spirituel des combattants, soutien social et caritatif à l'arrière, participation à la propagande des Etats, souvenir des morts à l'issue du conflit : cette synthèse rondement menée, la première du genre, fait le tour du facteur religieux dans la tragédie initiale du XXe siècle. L'auteur observe que les religions, tout en prônant des sentiments d'humanité à l'égard des adversaires, ont peu ou prou épousé les passions nationales. Le pape Benoît XV a longtemps lancé des appels à la paix. Ayant échoué, il s'est ensuite réfugié dans un silence blessé. Se placer en situation d'arbitre entre les nations, dans l'enfer de la Grande Guerre, tenait de la mission impossible.
Jean Sévillia
Histoire religieuse de la Grande Guerre, de Xavier Boniface, Fayard, 494 p., 26 €.
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