Bernard Antony, fondateur et président du Centre Charlier, de Chrétienté-Solidarité et de l'AGRIF (Alliance générale contre le racisme et pour le respect de l'identité française et chrétienne) est un infatigable militant politique depuis ses jeunes années, mais aussi un penseur de la politique, auteur de très nombreux ouvrages très documentés sur l'actualité, le judaïsme, l'islam, la franc-maçonnerie... Homme libre et indépendant, cet ancien député européen du Front national, aujourd'hui sans étiquette politique mais toujours davantage au service du pays réel, de la liberté, des chrétientés persécutées, s'appuie sur la longue tradition, vivante, du mouvement national.
Jeanne Smits : La distinction entre « droite » et « gauche » a-t-elle encore un sens aujourd'hui ?
Bernard Antony : Elle a un sens très fondé qui s'ordonne autour de quelques mots : Décalogue, écologie humaine, humilité, soumission au réel...
Certes, il y a bien eu des chasses-croisés entre la « droite » et la « gauche » depuis que ces notions sont passées de la révélation religieuse (« à la droite du Père » ou à la gauche, avec les « maudits ») au positionnement politique dans le système démocratique. Ainsi la gauche a été originellement, jacobinement nationaliste et colonialiste, et même raciste et antisémite alors que surgissait parallèlement une droite authentique affirmant progressivement son identité dans un positionnement de Contre-Révolution à la fois morale et sociale ; hors de l'idéologie ramenant la conceptualisation de la nation aux deux idoles fondatrices de la Révolution : l'État et l'individu ; autrement dit, Le zéro et l'infini comme l'exprime magnifiquement par son titre le grand livre d'Arthur Koestler.
Et ce n'est pas, tant s'en faut, la gauche qui a eu le monopole du combat pour la justice sociale après le déboisement juridique révolutionnaire et post-révolutionnaire de tout ce qui était protection de l'ouvrier par l'inique loi Le Chapelier et les décrets d’Allarde.
Ce n'est que leur ignorance qui excuse les déclarations de certains grands responsables politiques nationalistes se plaçant dans le sillage d'une gauche bien à tort considérée par eux comme historiquement détentrice de la légitimité du combat social. À moins qu'ils ne soient eux-mêmes véritablement socialistes et de gauche.
En fait, au-delà des variations circonstancielles, il y a une cohérence très fondée dans ce qui sépare la gauche de la droite véritable, « la droite de conviction ».
Ce qui sous-tend la doctrine et les applications concrètes de cette droite par rapport à la gauche tient dans sa soumission au réel, dans sa considération réaliste et scientifique de la nature humaine, du respect de la vie, et somme toute, de là sagesse du Décalogue. Aux antipodes de l'orgueil commun à un Marx, à un Nietzsche, à un Jaurès, à un Sartre selon lequel l'homme est « créé créateur ».
Dans le même ordre d'idées, qu'en est-il du nationalisme aujourd'hui? Est-il la véritable urgence ?
La nation doit être défendue comme la réalité protectrice et bienfaisante qu'elle doit être, non comme une idole exclusive. Le nationalisme n'a de légitimité que s'il est un patriotisme « en alerte » face aux menaces pesant sur notre patrie, nos valeurs et nos libertés. Il peut être perverti s'il se mue en repliement autarcique ou en déni de ce qui peut et doit encore unir les patries de la vieille Europe.
La véritable urgence, c'est de retrouver le sens du respect de la vie, de la dignité humaine, de la défense du vrai, du beau, du bien face aux entreprises de dialectisation, de déstructuration, de désintégration de la personne humaine et de la société. Le combat pour la nation n'a de sens que s'il est un combat pour la double bienfaisance si bien exaltée par la philosophe Simone Weil si chère à Gustave Thibon : l'enracinement et l'universel. Autrement dit, le contraire du cosmopolitisme désintégrateur.
Face à une entreprise mondiale de déni nihiliste de ce qui fait « l'humain », il est évident que les combats de reconquête et de reconstruction ne peuvent qu' avoir une nécessaire dimension de solidarité chrétienne et humaine. Nous ne nous sauverons pas tout seuls.
Vous êtes l'auteur d'un remarquable Jean Jaurès, le mythe et la réalité. Voilà un personnage qu'une grande partie de la classe politique, droite et gauche confondues, tend à s'approprier aujourd'hui. Où est la méprise ?
Elle réside principalement dans l'ignorance de la réalité du personnage, de ses idées, de son utopie. Le plus consternant, c'est de lire dans certains hebdomadaires de droite ou dans l'ouvrage d'un jauressophile de droite l'affirmation d'un « Jaurès chrétien » (sic !), sous le prétexte qu'il n'était pas matérialiste comme Marx. D était en effet vaguement spiritualiste, panthéiste, gnostique, kabbaliste, c'est-à-dire tout sauf catholique et même tout sauf chrétien dans une constante volonté haineuse d'éliminer toute trace de dogme chrétien dans la conscience humaine, notamment par l'école. Un Jaurès certes bonhomme à ses heures, mais sur le fond fanatiquement avec Combes et Ferry, et que veulent continuer un Peillon et un Hamon dans le vieux projet de « substitution de religion ».
Enfin, un Jaurès «prophète», mais c'est vraiment se moquer du monde ! Trois jours avant la déclaration de guerre de l'Allemagne, et la veille de son malheureux assassinat, il prophétisait encore l’anti-militarisme massif des socialistes et syndicalistes de ce pays qui feraient échec à la guerre !
En fait par essai de récupération politicienne de cet incontestable tribun génial, on ressasse sans cesse à droite quelques inusables citations de début de carrière en faveur du patronat. On évite tout de même d'en faire autant avec ses propos bien plus nombreux, férocement antisémites, de la même époque, dans la plus parfaite continuité de Voltaire, Proudhon, Marx et Engels et, en fait, de toute la gauche au XIXe siècle.
Vous avez été le premier à dénoncer en ces termes le « génocide français ». Comment espérer le vaincre aujourd'hui ? « Politique d'abord », est-ce toujours la bonne réponse ?
« Politique d'abord » de Charles Maurras, c'est une direction d'action légitime et compréhensible alors que demeure une société encore debout mais menacée et autour et au sein de laquelle il faut mettre en place des politiques de protection.
Aujourd'hui, c'est «médecine d'abord » qu'il faut dire, c'est-à-dire d'abord le diagnostic d'un génocide non pas seulement politique mais simultanément spirituel, culturel, intellectuel et moral, et démographique.
C'est de la réanimation en tous ces domaines qu'il nous faut. Il faudra bien sûr des lois mais surtout un esprit nouveau pour des lois nouvelles, l'enjeu est métaphysique : il faut avec Chesterton « revenir au surnaturel » pour éliminer ce qui détruit le « naturel ».
Propos recueillis par Jeanne Smits
monde&vie juillet 2014
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