vendredi 4 juillet 2014

28 juin 1914 Assassinat d'un archiduc à Sarajevo

Le 28 juin 1914, l'héritier de l'empire austro-hongrois et son épouse sont assassinés à Sarajevo par un terroriste serbe, Gavrilo Princip (19 ans).
Imputé non sans raison à la Serbie par le gouvernement autrichien, l'assassinat de ces personnalités quasi-inconnues, dans une ville des Balkans dont l'immense majorité des Européens ignoraient jusqu'au nom, va servir de prétexte au déclenchement de ce qui deviendra la Première Guerre mondiale.

André Larané

Tout commence à Belgrade, capitale de la Serbie, où le chef des services de renseignements, le colonel Dragutin Dimitrievitch (« Apis ») pilote une organisation secrète terroriste, La Main noire (Crna Ruka), forte de plusieurs milliers de militants, entraînés à la guérilla et aux attentats.

Un attentat aux ramifications troubles

Elle prône l'extension de la Serbie à l'ensemble des territoires peuplés de Serbes, en Autriche-Hongrie, en Bulgarie ou dans les résidus européens de l'empire ottoman. À l'étranger, elle encourage des mouvements politiques comme le mouvement mystérieux Jeune Bosnie dont fait partie Princip. Ce mouvement milite pour le rassemblement de tous les Slaves du Sud (Serbes, Croates, Slovènes...) à l'intérieur d'une Yougoslavie. Son rêve se réalisera à la fin de la Grande Guerre... au prix de plusieurs millions de morts.
L'assassin et ses complices sont des jeunes gens originaires de Bosnie-Herzégovine. Cette ancienne province ottomane majoritairement serbe, dont Sarajevo est la capitale, était devenue un protectorat de Vienne avant d'être formellement annexée par l'Autriche-Hongrie le 5 octobre 1908, au grand mécontentement de la Serbie et des nationalistes serbes.
Pour faire avancer leur cause, Princip et cinq amis, dont un Bosniaque musulman, projettent de leur propre initiative d'assassiner un haut fonctionnaire autrichien. Mais quand ils apprennent au printemps l'arrivée à Sarajevo de l'héritier de l'empire d'Autriche, ils se disent qu'il fera encore mieux l'affaire.

Un voyage officiel ressenti comme une provocation

L'archiduc François-Ferdinand (51 ans) a décidé de visiter la Bosnie-Herzégovine en qualité d'inspecteur général des forces armées. Il participe pendant deux jours à des manœuvres militaires près de la frontière serbe. Puis, le dimanche 28 juin, il est rejoint par sa femme et prévoit d'assister avec elle à une parade à Sarajevo, capitale de la province.
Cette visite officielle, le jour de la fête nationale serbe, anniversaire de la mythique bataille de Kossovo Polié, est comprise comme une provocation par les nationalistes de la région et d'ailleurs. Belgrade ne s'est pas fait faute d'aviser Vienne du risque d'attentat de la part de la Main noire. Malgré cela, la police locale assure seule la sécurité de l'héritier du trône impérial !
À 9h35, le couple princier est accueilli par le général Oskar Potiorek, gouverneur de Bosnie, à la gare de Sarajevo. Le cortège officiel de six voitures se dirige vers l'hôtel de ville. L'atmosphère de la ville est à la liesse, démentant les inquiétudes des officiels. Il est vrai que l'immense majorité des Bosniaques n'a guère à se plaindre de la tutelle autrichienne. Leur sort est beaucoup plus enviable que celui des habitants de la Serbie.
Mais dans un café de la ville se retrouvent les six conspirateurs de Jeune Bosnie, avec pistolets, bombes... et capsules de cyanure pour se suicider dans le cas où ils seraient capturés. Ils se postent en différents endroits sur le trajet que doit emprunter le cortège. 
Le premier n'ose agir quand le cortège passe à sa hauteur. Trente mètres plus loin, sur le quai Appel, une large artère d'où chacun peut jouir du beau panorama montagneux qui entoure la ville, le second n'hésite pas et lance sa bombe. Mais elle rebondit sur la capote de la voiture de l'archiduc et blesse un officier et un garde de la voiture qui suit. Le conspirateur Gabrinovitch est arrêté. Il croque sa capsule de cyanure mais celui-ci étant éventé ne fait pas d'effet. La parade se poursuit comme si de rien n'était.
À l'hôtel de ville, le maire de la ville essuie la colère de l'archiduc. Décision est prise enfin d'interrompre les festivités de bienvenue. L'archiduc et son épouse choisissent de se rendre à l'hôpital pour visiter les blessés mais les chauffeurs ne sont pas informés du changement d'itinéraire... À 11h15, le chauffeur de la voiture de tête, qui transporte le maire adjoint de la ville, reprend le quai Appel. Conformément à ses premières instructions, il tourne brutalement à droite dans la petite rue François-Joseph, près du pont Latin (Latinski Most) sur la rivière Miljacka.  La voiture suivante, qui transporte le couple princier, le suit. Le général Potiorek apostrophe le chauffeur :« Pas par là ! Il faut continuer sur le quai ».
La voiture s'arrête et, comme elle n'a pas de marche arrière, est repoussée sur le quai par les agents. L'un des comploteurs, Princip, qui se trouve opportunément à proximité, perdu dans la foule, y voit une ultime occasion d'agir. Il sort son revolver et tire deux coups... L'archiduc est touché puis sa femme, qui s'était jetée sur lui pour le protéger.
Elle meurt sur le coup tandis que François-Ferdinand décède au bout de dix minutes. Ses derniers mots sont pour sa femme : « Sophie, Sophie, ne meurs pas. Reste en vie pour nos enfants ». C'était leur quatorzième anniversaire de mariage.


La mort tragique de François-Ferdinand de Habsbourg et de son épouse Sophie Chotek, duchesse de Hohenberg, émeut l'opinion publique occidentale, même si les victimes n'étaient guère connues et encore moins populaires.

La situation dérape

Par contre, les nationalistes serbes et même certains Hongrois cachent mal leur jubilation. Les uns et les autres en voulaient à l'archiduc de projeter d'émanciper les Slaves d'Autriche-Hongrie au risque de mettre à bas les privilèges de la noblesse magyare et de ruiner le projet de « Grande Serbie ».
À Belgrade, l'annonce de l'attentat relance les festivités liées à la commémoration de la bataille de Kossovo Polié. À Budapest, on se réjouit tout bas du mauvais sort fait à l'archiduc. Plus loin dans la mer du Nord, le Kaiser Guillaume II apprend la nouvelle de l'attentat alors qu'il est en croisière. Il rentre immédiatement à Berlin. Rien de tel à Paris ou plutôt à Longchamp où le président de la République française assiste au Grand Prix. Il attend la fin des courses pour en étudier les implications. À Vienne, l'empereur François-Joseph 1er ne montre guère plus d'émotion. Il est vrai qu'il appréciait son neveu et son épouse moins que quiconque.
L'archiduc François-Ferdinand est enterré à Vienne en catimini, selon le protocole inhérent à un inspecteur général des forces armées !
L'enquête montre très vite que Princip a fomenté son attentat avec six complices. Ces derniers seront exécutés mais lui-même, qui n'a pas atteint l'âge de 20 ans requis pour être exécuté, sera condamné à 20 ans de prison. Il mourra quatre ans plus tard victime de la tuberculose !Pendant ce temps, la police fait son travail. L'assassin a été arrêté aussitôt après l'attentat et a rejoint en prison son ami Gabrinovitch ainsi que plusieurs suspects.
En attendant, dès le 2 juillet 1914, trois membres du groupe assassin ont avoué avoir reçu leurs armes de Serbie avec la complicité de gardes-frontières.
Des indices convergents conduisent les enquêteurs à soupçonner des membres de la police serbe et des services secrets d'avoir participé à l'organisation du complot.
Il apparaît dès lors raisonnable à la plupart des chancelleries européennes - à l'exclusion notable de Saint-Pétersbourg - que Vienne exerce son droit de suite contre la Serbie et punisse celle-ci pour son implication dans le terrorisme bosniaque. Personne en Europe n'imagine que puisse déraper un conflit local entre le prestigieux empire des Habsbourg et la Serbie archaïque, que l'on qualifierait aujourd'hui, à juste titre, d'« État-voyou ».
Le comte Berchtold, ministre austro-hongrois des Affaires étrangères, est lui-même impatient d'en finir avec l'agitation serbe. Le 4 juillet, sitôt acquises les preuves de l'implication serbe dans l'attentat de Sarajevo, il envoie un émissaire à Berlin solliciter l'appui de l'empereur allemand Guillaume II...
Mais le vieil empereur François-Joseph 1er (84 ans) et le comte Tisza, Premier ministre hongrois, ne veulent à aucun prix de complications. Ils craignent avec quelque raison qu'une intervention contre la Serbie n'entraîne l'intervention du tsar de Russie aux côtés de Belgrade.
La dynastie des Habsbourg a tout à y perdre de même que les Hongrois de l'empire, qui doivent faire face aux revendications des autres minorités : Tchèques, Polonais, Serbes, Italiens, Roumains... Le comte Tisza, soucieux de ses seuls intérêts, veut avant toute chose s'assurer que la Roumanie du roi Carol ne basculera pas du côté des Serbes et des Russes, ce qui pourrait entraîner un soulèvement des Roumains de la province hongroise de Transylvanie !
Pour ces raisons, c'est seulement quatre semaines après l'attentat que Vienne se décidera à envoyer un ultimatum à Belgrade, quand l'émotion sera retombée et que les Russes auront pris activement fait et cause pour les Serbes.

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