lundi 2 juin 2014

Saint Louis, roi de France et prince de la paix

Il est dommage que nos gouvernants se soient si peu intéressés au huit-centième anniversaire de la naissance de saint Louis, car - sans faire d'anachronisme - son exemple aurait pu les inspirer à l'approche des élections européennes. Il montre comment on peut être intransigeant sur la souveraineté nationale et apparaître comme un prince de la paix en Europe.
À l'origine, rien n'était écrit : la régence de sa mère, Blanche de Castille, fut au contraire marquée par les révoltes des féodaux. À cette occasion se manifesta l'alliance du peuple et du roi : en 1227, le jeune Louis, apprenant que les barons projettent de l'enlever, est contraint de se réfugier au château de Montlhéry. Le peuple de Paris, informé par Blanche de Castille, se mobilise, s'arme, accourt à Montlhéry et, dans l'enthousiasme, escorte son roi jusqu'à Paris.
Justice pour tous
Pourtant ce peuple pourrait se plaindre. L'administration du royaume n'est pas exempte d'abus commis par les officiers publics. À Paris même, la prévôté, devenue une charge vénale pendant la minorité du roi, est tombée entre les mains d'un bourgeois sans scrupules. Or, du prévôt de Paris dépendent la police, la justice et la perception des impôts. « À cause des grandes injustices et des grandes rapines qui étaient faites en la prévôté, le menu peuple n'osait demeurer en la terre du roi, mais allait demeurer en autres prévôtés et en autres seigneuries », écrit Joinville dans sa Vie de saint Louis. De retour de la croisade, en 1254 Louis IX fait appel pour occuper la charge de prévôt dans sa capitale à un ancien croisé, par ailleurs ancien prévôt d'Orléans, Etienne Boileau; et l'on voit, rapporte Joinville, « la terre du roi commencer à s'amender, le peuple y venir pour la bonne justice qu'on y faisait ». C'est à cet homme d'une probité irréprochable que les corporations parisiennes devront le Livre des métiers, qui codifie leurs règlements et garantit la loyauté des rapports commerciaux. Le roi interdit en outre la spéculation par accaparement sur les matières premières et les marchandises, la surproduction, l'usure.
Ce qui est valable pour Paris l'est pour le reste du royaume : en 1247, Louis IX lance dans tout le royaume une « Grande enquête royale », conduite par des enquêteurs pour recevoir les plaintes des populations contre les spoliations commises par les prévôts, baillis, sergents royaux, sous son règne ou celui de ses prédécesseurs ; en décembre 1254, il publie une Grande ordonnance codifiant le rôle des baillis et sénéchaux (qui, comme les prévôts, sont désormais nommés et rémunérés par le roi), qui sont chargés d'encaisser les recettes royales, déjuger en appel, de transmettre les ordres royaux et de lever l'ost. Il est interdit aux officiers royaux de recevoir des présents des justiciables ou des administrés, aux baillis d'en offrir aux auditeurs des comptes, aux membres du conseil royal ou aux enquêteurs envoyés dans les baillages et sénéchaussées pour les contrôler, aux agents du roi d'acquérir des terres et de marier leurs enfants dans leur juridiction. '"
Un grand réformateur
Ce saint roi est, dans son devoir d'Etat, un grand réformateur que pousse un souci constant de la justice et de la charité. Il dote la royauté des outils indispensables à l'accomplissement de ses tâches régaliennes, en matière de justice, mais aussi monétaire avec la création du gros tournois, monnaie d'argent qui a cours dans tout le royaume, à l'inverse des monnaies seigneuriales. Sous son règne apparaissent, issues de la cour du roi (Curia régis), à côté du Conseil du roi, la « Curia in parlamanto », qui donnera le Parlement, et la « Curia in compotis », qui deviendra la Cour des comptes.
Equilibre politique
Mais sa charité ne l'empêche pas d'être sourcilleux sur le chapitre de ses prérogatives et de ses droits lorsque les intérêts de la France sont en cause. Le roi Henri ni d'Angleterre, qui s'allie contre le roi de France avec de grands vassaux turbulents, l'apprend à ses dépens les 21 et 23 juillet 1242, aux batailles de Taillebourg et de Saintes. Les papes Grégoire IX, puis Innocent IV, aux ambitions théocratiques, le vérifient aussi : non seulement le roi de France refuse d'épouser la querelle qui les oppose à l'Empereur du Saint-Empire, Frédéric II, mais il refuse d'admettre que « c'est dans l'Eglise que sont déposés les deux glaives, emblème des deux pouvoirs », le spirituel et le temporel, comme le prétend Innocent IV dans une Encyclique de septembre 1245. Saint Louis refuse ainsi de profiter du différend entre le pape et l'Empereur pour agrandir ses territoires ou même, comme le lui suggère Grégoire IX, installer son propre frère sur le trône impérial. Au temporel, l'Empereur, comme le roi de France, est maître chez lui, répond le prince chrétien. Voilà qui pourrait plaire même à nos modernes laïcards !
De même, il ne profite pas de sa victoire sur Henri ni pour bouter complètement l'Anglais hors de France, mais préfère recevoir son hommage et l'avoir pour vassal. Question de justice, toujours. Louis IX agrandit le pré carré, mais n'a rien d'un faiseur d'empire : son royaume suffit à ce sage. Le saint roi en a retiré un prestige qui a fait de lui un arbitre entre les princes européens et le premier souverain de son temps. Au demeurant, il a laissé la France territorialement plus grande et la royauté beaucoup plus forte qu'il ne les avait trouvées. Il fut à n'en pas douter l'un des plus grands constructeurs de notre pays : nos européistes y auront sans doute vu une circonstance aggravante.
Hervé Bizien Monde&Vie mai 2014
I. Cf. Le Roman de Saint Louis, Philippe deVilliers.Albin Michel. 

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