vendredi 9 mai 2014

Notre combat pour l’histoire (NRH)

On se souvient des propositions délirantes présentées dans le « rapport sur l’intégration » mis en ligne sur le site de l’Hôtel Matignon en novembre dernier. La vigueur des réactions suscitées par la publication de ces projets a conduit nos actuels dirigeants à affirmer « qu’il ne s’agissait pas là de la position du gouvernement », pendant que le ministre de l’Intérieur jugeait « inacceptables » certaines des idées avancées. Trois mois plus tard – et alors que l’opinion se mobilise contre la diffusion dès l’école primaire, sous prétexte de « lutte contre les stéréotypes », de l’idéologie du genre – quarante-quatre propositions visant à « lutter contre les discriminations » témoignent de la volonté gouvernementale de relancer sous une forme différente les projets écartés en novembre.
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Ancien membre du collège du Haut Conseil à l’intégration et spécialiste de la laïcité, Malika Sorel-Sutter a commenté ce nouvel avatar des tentatives de « construction d’un homme nouveau » dans un entretien donné au Figaro. Sa conclusion est sans appel puisqu’il s’agit, selon elle, « de rééduquer les Français en leur inculquant la bien-pensance identifiée comme la pensée juste […] Nous sommes confrontés à une volonté de changer le peuple au travers du changement en profondeur de tout son référentiel culturel ».La promotion des langues d’origine des étrangers venus s’installer sur le sol français, la prise en compte de leurs diverses spécificités, la valorisation de leur apport supposé à la société d’accueil, la mise en avant des figures issues de l’immigration doivent aboutir à une coexistence heureuse au sein de la société harmonieusement cosmopolite que la « nouvelle classe mondiale » appelle de ses vœux.La mise en œuvre de l’amnésie collective et le déracinement culturel des populations autochtones – ces fameux « Français de souche » dont la seule mention peut se transformer en délit, comme vient de l’expérimenter Alain Finkielkraut – apparaissent donc désormais indispensables à l’avènement du « citoyen du monde » rêvé par les utopistes, un « homme nouveau », certes différent de celui imaginé par les grands totalitarismes du siècle dernier, mais tout aussi étranger aux réalités du sang, du sol et de la mémoire.
Dans le programme orwellien dont nous constatons la mise en œuvre progressive, l’histoire tient évidemment une place de choix car « qui contrôle le passé commande le présent ». La disparition des nations historiques et des identités spécifiques est programmée au nom de l’avènement d’une globalisation fondée sur la satisfaction élémentaire des aspirations de l’individu-consommateur. Le « sans-frontiérisme » généralisé qui en découle implique l’oubli d’un passé naturellement générateur d’identités collectives et porteur de représentations du monde particulières. Le triomphe incontrôlé de la technique et la réduction aux normes de la marchandise de toute l’activité humaine ne peuvent s’accommoder du maintien d’une mémoire susceptible de soutenir la résistance au grand désordre en cours d’instauration.
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C’est dire l’importance du combat pour l’enseignement et la transmission de l’histoire, seule en mesure de fournir les points de repère nécessaires et d’alimenter un imaginaire collectif permettant aux jeunes générations de s’inscrire dans la durée pour y trouver modèles et références. Au moment où semblent s’annoncer les « années décisives » qui décideront sans doute de l’établissement d’un nouvel ordre du monde, c’est en renouant le fil du temps qui a vu l’ascension multiséculaire de nos nations européennes, puis l’immense tragédie qui a failli les emporter, que les jeunes gens d’aujourd’hui seront en mesure de relever les défis des temps difficiles qui s’annoncent. Plus que jamais le message que nous a laissé Nietzsche, selon lequel « l’avenir appartiendra à ceux qui auront la mémoire la plus longue » demeure d’une brûlante actualité.
Éditorial de Philippe Conrad dans La Nouvelle Revue d’ Histoire

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