Si la France a soutenu l’Algérie, n’est-ce pas parce qu’elle y trouvait son intérêt et voulait en profiter ? Car, c’est là que se situe le cœur même de la contre-histoire coloniale : la France a abusivement de sa situation de colonisateur pour asservir les populations et prendre les richesses du pays. De fait, si l’on en croit le très vendeur discours de Jules Ferry aux parlementaires français (1885) à l’heure de lancer la paix dans l’extension de la colonisation, c’est la vérité. Ferry se fait l’avocat de ces terres nouvelles, riches en matières premières, en produits agricoles, offrant tous les débouchés possibles à une industrie française en pleine extension.
Et la France manque, en effet, cruellement de matières premières : houille, laine, coton, bois, soie... « Ces produits – rappelle Daniel Lefeuvre, auteur du très éclairant Pour en finir avec la repentance coloniale – comptent pour plus de la moitié des importations de matières premières de 1885 à 1953, le pétrole s’ajoutant ensuite à cette liste ». De quoi alimenter l’argumentaire de ceux qui voient dans la colonisation la mère de tous les maux. Sauf que ce ne sont pas les colonies qui fourniront le charbon de l’industrie française, mais l’Angleterre, l’Allemagne, la Belgique. Le coton viendra bien pour partie de l’Algérie, mais un coton subventionné. Peu importe s’il avait pu assurer à la métropole ses besoins textiles. Mais, même subventionnée, cette culture ne prospérera jamais suffisamment pour assurer une autonomie industrielle. Le problème sera le même avec le coton africain, au point que la France se trouvera dans une situation difficile lors de la guerre de Sécession américaine. L’or blanc existait bel et bien, mais ailleurs que dans cet Eldorado tant vanté par Jules Ferry... La laine, la soie connaîtront, quant à elles, trop de maladies pour excéder une importation vers la métropole de plus de 5% au plus fort des années s’étalant de 1890 à 1958. Restent donc le caoutchouc et le bois qui tiendront toutes leurs promesses, notamment en Indochine. Peut-on, dès lors, parler sérieusement de pillage des terres coloniales d’Afrique noire et d’Afrique du Nord ?
Voilà qui est bel et bon pour la question des matières premières, on l’a vu, à peu près inexistantes.
Mais, qu’en est-il des productions agricoles ? « Blé, riz, raisins frais et secs, olives, liège, dattes, citrons, oranges, figues, bananes, chanvre qui serait d’un si grand secours pour la marine, coton, mûrier, indigo, tabac, aussi bon que celui de Virginie et de La Havane, abricots, prunes, pommes, poires, coings, melons, pastèques, haricots, fèves, pistaches, térébinthe, mangues, goyaves... figurent dans cette évocation du paradis terrestre. » Le rapport de la société d’horticulture de 1832 est une véritable publicité pour l’agriculture coloniale. Et, de fait, ce sont bien ces produits qui vont faire l’objet de l’essentiel des importations vers la métropole, avec le bois et le caoutchouc. La question est de savoir si la France y avait intérêt. Un intérêt économique...
Si l’on en croit le rapport du ministère des Finances de 1961, certainement pas. Car non seulement ces denrées pouvaient être achetées n’importe où dans le monde, mais elles pouvaient surtout l’être à moindre coût ! Le lien colonial, selon le rapport Debré de 1961, « a pour conséquence de faire payer par la France la plupart des exportations algériennes à des prix de soutien sensiblement supérieurs aux cours internationaux ». Pour être clair, ces cultures étaient non seulement subventionnées mais également achetées à un prix bien plus élevé que le cours normal. Au vu de ces tarifs, jamais l’Algérie n’aurait pu écouler ses productions, les autres marchés lui étant, bien évidemment, fermés...
A l’inverse, il est certain que la France saura utiliser ses colonies pour réguler ses exportations, comme le démontre Jacques Marseille dans Empire colonial et capitalisme français. Mais, ce même auteur précise que le solde des importations obligatoires était tel que, de toute façon, la métropole était perdante. Ainsi, « les déficits commerciaux cumulés s’élèvent à 44 milliards de francs-or, soit trois fois le montant total des aides accordées à la France par les Etats-Unis entre 1945 et 1955 ».
Pillage des colonies : vraiment ? Alors que la France subventionne, importe à un coût prohibitif, et investit des millions ? Car les écoles, les hôpitaux, les routes, les barrages sont financés par la métropole : des investissements qui serviront de tremplins aux économies locales à l’heure de l’indépendance.
Alix Ducret, Mythes et polémiques de l’histoire
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