« On ne fait pas de l’histoire sans dates » écrivait Claude Lévi-Strauss dans la Pensée Sauvage.
L’histoire, à la
différence d’autres disciplines en science sociale, est fondée sur
l’étude du rapport entre des évènements ou des faits et la chronologie à
laquelle ils se rattachent. L’historien se doit de comprendre ces
évènements et de signifier la part de rupture et/ou de continuité
qu’il opère dans le temps – ou les temps. Car en effet, le temps en
histoire peut se décliner au pluriel selon la durée de l’objet étudié.
Depuis l’introduction à la thèse de l’historien Fernand Braudel [1], on a
tendance à le décliner en 3 temps différents, mais non moins
complémentaires quant à une étude générale d’un phénomène humain.
Ces trois temps
prennent en compte la durée, la diffusion d’un ou plusieurs évènements
ou processus social. On peut citer dans l’ordre du plus court au plus long :
- L’agitation
de surface, ou le temps politique et évènementiel au sens de la
succession ‘rapide’ d’évènement qui se déroule (depuis sa cause jusqu’à
ses conséquences) dans un temps court. C’est le temps d’une bataille, d’une élection par exemple.
- Le
temps conjoncturel : celui-ci convient plutôt à une histoire sociale,
économique, culturelle, religieuse, à une histoire des groupes plutôt
qu’à une histoire de l’individu.
- Le
temps structurel, aussi appelée « l’histoire immobile ». Ce temps
convient à l’étude des lents changements, ceux-là même qui prennent en
compte les rapports entre les hommes et leur milieu. Pour F. Braudel,
c’était le temps géologique par exemple. Ainsi, il l’associait, et
l’associe-t-on d’ailleurs encore aujourd’hui, avec la géographie. On
peut citer à titre d’exemple l’ouvrage de Christian Grataloup sur la
mondialisation, Une géohistoire de la mondialisation. Le temps long du monde (2006).
Cette conception du temps en histoire est la base pour quiconque tente de jeter un regard dans le passé et de le comprendre.
Il faut ainsi retenir
qu’en histoire, la périodisation ainsi que l’échelle d’analyse sont
primordiales. C’est ce qui rend l’histoire profonde, large voire
indéfinie, et non rectiligne. Car, il faut le dire, même s’il est plus
que fréquent de réduire l’histoire à une frise chronologique (ce qui en
soit est tout à fait correct si l’objectif est de situer
un évènement ou une période dans le temps propre au calendrier
grégorien), l’histoire enseignée et réalisée par les historiens n’est
qu’au mieux une caricature de la réalité des faits. Et cette réalité est
aussi complexe aujourd’hui qu’auparavant.
D’autres éléments et principes sont donc à prendre en compte et à rajouter à l’analyse des faits et évènements du passé, et a fortiori, au temps en général.
En effet, il convient de rappeler l’importance capitale du principe de causalité
en histoire. La causalité, sans rentrer dans des détails proprement
philosophiques et mathématiques, conduit l’historien à prendre
conscience que tout évènement étudié possède une ou plusieurs causes, et
que cet évènement conduira à une ou plusieurs conséquences dont la
portée et la finalité varieront dans la durée, dans sa ou ses temporalités, et seront dépendantes et liées à l’évènement et de sa ou ses causes.
On peut prendre l’exemple, dans l’histoire de France, de la Révolution française.
Cet évènement est depuis les travaux de l’historien François Furet et de son école délimitée entre deux dates : 1789-1799 (Penser la Révolution française,
1978). Ici, le temps évènementiel, l’agitation de surface, va de soi.
On imagine bien l’agitation lors du serment du jeu de paume le 20 juin
1789, puis les évènements de l’été, entre la nuit du 4 août et le 26
août.
La Révolution
française ne s’arrête pas à ces quelques années de la fin du XVIIIème
siècle. Depuis le lendemain de la Révolution française jusqu’à
aujourd’hui, les historiens n’ont eu de cesse de penser la Révolution
française comme objet historiographique, c’est-à-dire, comme un objet
d’étude pour l’évolution (voulue ou non) de la discipline historique.
Depuis deux siècles,
donc, c’est la question des causes de la Révolution française qui est
posée, et après coup, celles de ses conséquences.
Un peu de culture et
de mémoire des enseignements du collège et du lycée suffisent à se
souvenir que la cause n’est pas singulière mais plurielle, qu’elle ne se
limite pas qu’à cette goutte d’eau populaire révoltée contre les
décisions des Etats Généraux de 1789, mais qu’elle est plus profonde et
qu’elle renvoie à des dynamiques tant économiques et sociales, que
culturelles et sociétales.
La portée de ces évènements de 1789-1799 conduit également à une pluralité des conséquences.
Conséquences
politiques, donc dans un temps qui semble court, sur les institutions et
le fonctionnement de la France. Celles-ci vont de pair avec les
tensions frontalières, et l’émergence de Bonaparte.
Les conséquences
économiques et sociales sont un peu plus étendues dans le temps, puisque
c’est tout au long du XIXe siècle que s’établissent les nouvelles fondations de la France. La transition en la société d’Ancien Régime soumise aux trois ordres, et la société de citoyens égaux en droits, ne peut se faire en profondeur en un claquement de doigt.
Les conséquences
culturelles et religieuses sont quant à elles encore en mouvement
aujourd’hui. Pensons d’abord qu’au début du XXe siècle, il était encore
presqu’indispensable pour tout politicien de se placer publiquement par
rapport aux évènements de la Révolution française, soit pour, soit
contre. Et faut-il rajouter ces nombreux écrits, aujourd’hui, qui
traitent de la part de responsabilité qu’ont les évènements et les
acteurs contemporains, ou non, de la Révolution françaises sur la
destruction des fondations traditionnelles de la France ? Faut-il citer
Vincent Peillon ?
En somme, le temps est clairement l’acteur principal de l’histoire.
Et, non, l’histoire
n’est pas finie, comme le criaient Francis Fukuyama au lendemain de la
victoire américaine sur l’URSS, ou Philippe Muray face à la
toute-puissance galopante de l’empire du Bien.
L’histoire n’est pas
finie car il y a toujours des tensions, de l’improbabilité et du
mystère. Mais il faut l’admettre, avec ces mots de Philippe Muray, que la surface de l’histoire est épaisse et aujourd’hui fortement teintée du « règne intégral de la modernité. » [2]
[1] La Méditerranée et le monde méditerranéen à l’époque de Philippe II, 1949.
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