La Chine fête les 120 ans de Mao. Le régime maoïste imposé
par Mao Zedong et ses alliés, loin de libérer la Chine pour l’amener
vers un socialisme utopique, plongea l’Empire du Milieu dans l’un des
totalitarismes les plus impitoyables et sanglants du XXème siècle. Les
historiens estiment qu’il fut responsable de dizaine de millions de
morts. Frank Dikötter, historien néerlandais spécialiste de l’histoire
chinoise, revient sur le fonctionnement de cette dictature implacable.
Votre précédent livre, «la Grande Famine de Mao», est le récit
accablant de l’une des plus terribles catastrophes de l’histoire
humaine: la famine déclenchée par Mao à la suite du Grand Bond en avant.
Selon vos calculs, elle a coûté la vie à 45 millions de personnes. Dans
votre dernier ouvrage, «la Tragédie de la libération. Une histoire de
la révolution chinoise. 1945-1957», vous vous penchez sur la période
précédente, celle de la prise du pouvoir par les communistes en 1949.
Et, là encore, vous décrivez une décennie extrêmement sombre –
contrairement aux idées reçues.
Ces idées reçues sont encore très présentes. Les débuts de la
République populaire continuent d’être loués comme un «âge d’or» au
cours duquel le régime communiste aurait remis sur pied un pays à
vau-l’eau et initié de merveilleuses réformes; c’est plus tard que les
choses se seraient gâtées, avec la fuite dans l’utopie du Grand Bond en
avant à la fin des années 1950, puis de la Révolution culturelle dans
les années 1960.
Or il suffit de se plonger dans les archives du PC chinois,
accessibles depuis quelques années, pour comprendre à quel point cette
image idyllique est fausse. Celles que j’ai consultées pour la période
1945-1957 montrent qu’au coeur de l’action de Mao et de ses amis on
trouve une véritable politique de la violence – la violence extrême
comme méthode de conquête du pouvoir, puis de consolidation d’un système
totalitaire.
Cette violence extrême est à l’oeuvre dans plusieurs épisodes
horrifiants de la guerre civile que vous décrivez, avec les troupes
communistes n’hésitant pas à sacrifier des centaines de milliers de
civils. Pourtant l’inhumanité n’était probablement pas réservée à un
seul camp ?
Les nationalistes du Kuomintang n’étaient certes pas des enfants de
choeur, ils ont eux aussi commis des crimes horribles. Mais je pense que
l’APL (Armée populaire de Libération) a été encore plus impitoyable.
Par exemple, lors du siège de Changchun en 1948 en Mandchourie, les
généraux de Mao ont imposé un blocus total, empêchant la population
civile d’en sortir. Le but était de transformer Changchun en «ville de
mort» afin d’affaiblir la résistance des forces nationalistes. […]
La dékoulakisation soviétique a été elle aussi sanglante. Y a-t-il une différence ?
Oui, une différence capitale. Staline avait confié la mission de
liquider les koulaks à ses services de sécurité. Mao, lui, fait exécuter
son projet par les gens eux-mêmes, les obligeant à se salir
irrémédiablement les mains. Or il s’agit d’une société où la vengeance
joue un grand rôle. Tous les participants aux séances d’accusation
vivent dans la hantise d’une punition de la part des victimes.
S’enclenche ainsi un terrifiant cercle vicieux qui pousse les paysans à
réclamer «préventivement» la tête des familiers des victimes, puis des
proches de ces derniers, et ainsi de suite. […]
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