mercredi 19 février 2014

Les Français, leur histoire et la république

Parmi toutes les nations du monde, la France présente le spectacle unique d’un peuple qui a pris son propre passé en aversion. On dirait une population d’esclaves qui vient de renvoyer ses maîtres et qui ne veut plus se souvenir du temps de sa servitude… Je ne crois pas que les luttes de la fin du XVIIIe siècle et la mauvaise littérature du nôtre suffisent pour expliquer une aussi étrange répulsion. On ne peut haïr à tel point que ce qu’on ignore, et la principale raison d’un état d’esprit si peu naturel, c’est que l’imagination du peuple a gardé le souvenir amplifié des crimes et des misères du temps passé, sans qu’on ait pris soin de lui en rappeler les bienfaits et les grandeurs.
Michel Bréal
Quelques mots sur l’Instruction publique en France (1873)
L’auteur de ces lignes n’était pas un penseur politique mais un professeur et un savant. Linguiste, professeur de grammaire comparée, Michel Bréal (1832-1915) enseigna à l’École pratique des Hautes Études et au Collège de France. Fondateur de la sémantique, étude de la signification des structures linguistiques, il inventa le mot avec son Essai de sémantique paru en 1897. Il fut inspecteur de l’enseignement supérieur. Ajoutons pour la petite histoire que Michel Bréal suggéra au baron Pierre de Coubertin, en 1894, d’introduire le marathon dans les premiers Jeux Olympiques modernes en 1896.
Le professeur, l’érudit, qui n’était pas un rat de bibliothèque et qui était libre de préjugés idéologiques, avait été effrayé, au lendemain de la guerre de 1870, de constater la désaffection des Français pour leur passé, et il y voyait une des causes de nos malheurs.
Un mal français
Cet état d’esprit ne datait pas de la Révolution, puisque, au-delà des philosophes des “Lumières”, on considérait au XVIe siècle les écrivains des siècles passés comme des barbares et que sévissait à l’époque classique – XVIIe et XVIIIe siècles – une profonde inintelligence du Moyen Âge dans les milieux les plus instruits. Voilà un défaut national. Mais tant qu’il ne touchait que les Lettres et les Arts, ce travers gaulois ne présentait aucun danger. La Révolution et son fils spirituel, le romantisme républicain, l’utilisèrent pour leur propagande et en firent un dangereux venin mettant en cause l’existence même du pays en minant ses forces morales.
L’école de la République contre la France
La IIIe République transforma cette haine du passé en un moyen de s’attacher les enfants qui crurent que la Révolution leur avait épargné la vie atroce que rois, seigneurs et hommes d’Église avaient infligée à leurs ancêtres. Il faut lire à ce propos Les préjugés ennemis de l’histoire de France de Louis Dimier. Le développement des principes démocratiques qu’on trouve chez Michelet et Hugo menait logiquement à la ruine de l’idée de patrie : expulsion des religieux, séparation de l’Église et de l’État, affaire Dreyfus, propagande antimilitariste, désagrégation par étapes de l’enseignement traditionnel, attirance pour la lutte des classes et sympathies pour l’Internationale sortirent de cette haine du passé. Certes, on exhuma le patriotisme du placard où on l’avait relégué, en 1914, puis en 1939, mais il fut affublé d’oripeaux démocratiques : « En vous battant pour la France, vous combattez en fait pour l’humanité, et cette guerre sera la dernière ! »
Guerre civile et capitulation
On pourrait prolonger la démonstration historique jusqu’à l’envoi par le gouvernement de notre porte-avions pour figurer aux cérémonies qui célébrèrent, l’an dernier en Grande-Bretagne, notre désastre naval de Trafalgar. Il n’y a que la République française pour fêter officiellement les défaites du pays. Mieux encore, ceux qui avaient tenu à la seule France pendant la Deuxième Guerre mondiale sont assimilés à des traîtres car le patriotisme démocratique avait déserté la patrie et s’était envolé pour l’Angleterre. Tout ce qui a pu faire la grandeur du pays, comme l’épopée coloniale qui fut civilisatrice, est systématiquement sali aux yeux d’une jeunesse qui, de repentance républicaine en repentance républicaine, finit par avoir honte de son pays et par penser que le patriotisme et le nationalisme constituent de criminels obstacles au bonheur de l’humanité.
Charles Maurras a intitulé justement l’un de ses livres paru en 1916 Quand les Français ne s’aimaient pas, mais il ajouta Chronique d’une renaissance (1895-1905) car l’Action française s’était donné pour tâche de réconcilier avec la France les Français égarés par la République.
Gérard Baudin L’Action Française 2000 du 18 au 31 octobre 2007

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