Dans son nouveau livre, Les Vingt Jours de Fontainebleau
(Perrin, 296 p., 23 €), Thierry Lentz s’appuie sur des sources inédites
ou négligées, pour démonter le mythe qui, depuis deux siècles, présente
l’Empereur comme étant un homme presque contraint par la force à signer
l’acte de renonciation au trône. Il confirme aussi la tentative de
suicide de Napoléon et révèle le véritable texte des célèbres Adieux de
Fontainebleau où l’Empereur appelle ses grognards à se rallier… à Louis
XVIII !
Avec des hommes tels que vous, notre cause n’était pas
perdue. Mais la guerre était interminable ; c’eût été une guerre civile,
et la France n’en serait devenue que plus malheureuse. J’ai donc
sacrifié tous nos intérêts à ceux de la patrie ; je pars.
Vous, mes amis, continuez de servir la France. Son bonheur était mon unique pensée ; il sera toujours l’objet de mes vœux !
Vous, mes amis, continuez de servir la France. Son bonheur était mon unique pensée ; il sera toujours l’objet de mes vœux !
La plupart des napoléonistes considèrent cet épisode comme
l’aboutissement d’une «abominable conjuration», premier pas vers la
«trahison» collective des maréchaux. Ces «brumairiens de Fontainebleau»
auraient extorqué l’abdication par la contrainte avant de contribuer à
abattre pour de bon l’Empereur dans les jours suivants. […]
Cette «grande scène» des maréchaux est entrée dans l’histoire obligée
de «l’agonie de Fontainebleau». Les historiens la répètent sans
hésiter, rarement au conditionnel. Il y a pourtant peu de doutes qu’elle
ne se soit pas déroulée de cette façon, et en tout cas pas sur ce ton.
Si l’on en croit les seuls témoins ayant laissé des Mémoires, Fain,
Macdonald et Caulaincourt, il y eut bien un débat entre Napoléon et ses
lieutenants, mais à aucun moment ceux-ci ne se montrèrent irrespectueux
et encore moins menaçants. Les mots durs prêtés à Ney et à Lefebvre ne
furent pas prononcés.
(…) Que se passa-t-il (réellement) le 4 avril 1814, à la fin de la revue quotidienne ?
Ce 4 avril, les maréchaux voulaient dire à Napoléon qu’il ne leur
paraissait possible ni de marcher sur Paris ni même de renverser la
situation militaire. (…) Conscient de l’état d’esprit des maréchaux,
l’Empereur agit en ce début d’après-midi comme s’il voulait les
reprendre en main et les remettre en rang derrière lui. Il entreprit de
leur démontrer que les exigences et menaces des Alliés, désormais
dirigées contre sa seule personne, cachaient une autre réalité: c’est à
la France qu’ils en voulaient et leur seul moyen de parvenir à leurs
fins était d’éliminer sans combattre la dernière résistance, en divisant
l’état-major impérial à défaut d’avoir vaincu l’armée. Sans rejeter
formellement l’hypothèse d’une abdication en faveur du roi de Rome,
Napoléon déclara ne l’envisager qu’après avoir remporté une grande
victoire. L’offensive militaire restait un préalable à la recherche
d’une solution politique puisque les Alliés n’accepteraient de revenir à
la table des négociations avec lui que lorsque la bataille pour Paris
serait gagnée et le gouvernement provisoire discrédité ou en fuite. Les
maréchaux exposèrent pour leur part que, sur le plan militaire, face à
des forces cinq à six fois supérieures, cette option était suicidaire.
Elle pourrait en outre déboucher, sinon sur une guerre civile, au moins
sur des affrontements entre Français et des destructions dans la
capitale. Lorsqu’il prit la parole, Ney avança ces arguments
incontestables et ajouta qu’il considérait comme un malheur de n’avoir
pas conclu la paix plus tôt. Selon lui, il n’y avait qu’une solution
pour s’en sortir: l’abdication. S’il est hors de doute que le «brave des
braves» ne cacha ni son appréciation de la situation ni sa lassitude,
un de ses récents biographes estime toutefois qu’il craignait tant
l’Empereur «qu’il demeure improbable qu’il ait pu le rabrouer violemment
et encore moins l’insulter». S’il lui parla fermement, il ne haussa pas
le ton ni ne menaça. […]
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