lundi 7 octobre 2013

Albert Camus et le refus du terrorisme

Jean Monneret, historien, spécialiste reconnu de la guerre d’Algérie, a décidé, lui aussi, d’apporter sa pierre à l’année Albert Camus en proposant un Camus et le terrorisme qui fait le point sur la position mesurée du philosophe-résistant sur le drame algérien, drame qui le touchait au plus profond de lui-même, puisqu’il appartenait de toutes ces fibres à cette terre qui l’avait vu naître, le 7 novembre 1913, dans le Constantinois.

Albert Camus, penseur grec ? Oui, si on comprend que son refus de la violence pour la violence, c’est-à-dire des « noces sanglantes du terrorisme et de la répression » n’était pas le signe, chez lui, d’une quelconque tiédeur, mais d’un rejet de ce que les Grecs nommaient l’hybris, cette démesure dans la prétention ou, en l’occurrence, dans la haine qui conduit l’homme à sa perte. Du coup, cet ancien membre éphémère du Parti communiste et vrai résistant — contrairement à Sartre, adepte de la « violence confortable » —, qui avait, très tôt, milité pour une émancipation, sans indépendance, de la population algérienne arabo-kabyle, fut, en raison de sa demande, qui échoua, en janvier 1956, d’une trêve civile à Alger, un traître aux yeux d’une gauche anticolonialiste par idéologie qui cautionnait, Sartre en tête, « le plus grave mensonge de la rébellion : la prétendue unanimité du peuple algérien à la soutenir ». Mais, traître, il le fut également aux yeux de ceux des pieds-noirs qui n’avaient pas compris la nécessité d’une évolution de leurs rapports avec la population musulmane.
Avec une mesure — toute grecque, elle aussi —, que nous avions déjà signalée, notamment dans sa Tragédie dissimulée (sur le massacre d’Oran du 5 juillet 1962), Jean Monneret, lui-même pied-noir, s’efforce de restituer toutes ses nuances à la lutte d’un homme qui avait retenu d’un père à peine connu cette leçon qu’on lui avait transmise : « Un homme ça s’empêche », qui ne fait que traduire celle de Thucydide selon laquelle il y a des choses qui ne se font pas. On connaît son refus du refus de toute morale en politique. Le théâtre en porte la marque (Les Justes). Et L’Homme révolté, publié en 1951, où Camus montre « qu’il n’y a pas de violence émancipatrice », sous peine de voir la révolte légitime sombrer dans l’autodestruction, annonce la rupture avec Sartre, l’année suivante. L’Homme révolté où figure encore cette dénonciation du meurtre de Louis XVI : « C’est un répugnant scandale d’avoir présenté comme un grand moment de notre Histoire l’assassinat public d’un homme faible et bon », Camus établissant une filiation de la terreur de 1793 à celle du bolchevisme. Jean Monneret rétablit aussi la véritable portée de cette phrase que Camus prononça à Stockholm en décembre 1957, où il était venu recevoir le prix Nobel de littérature, et qui allait faire le tour du monde, mais tronquée : « Je crois à la justice, mais je préfère ma mère à la justice ». Il a dit « quelque chose de plus précis et de plus fort : “A l’heure où nous parlons, on jette des bombes dans les tramways d’Alger. Ma mère peut se trouver dans l’un de ces tramways. Si c’est cela la justice, je préfère ma mère” ». Ce qui n’a pas du tout le même sens. En clair, contrairement à ce que proclamaient des intellectuels complices, ceux que Boutang dans le Terreur en question appellera l’année suivante « les moralistes de sac et de corde », loin d’en avoir le monopole, le FLN, organisation terroriste, souillait toute idée de justice.
C’est pourquoi il ne signera pas en 1960 le manifeste des 121 (intellectuels) soutenant la désertion (appelée « insoumission »), car il refusait de cautionner la lutte du FLN, comme d’approuver l’instrumentalisation du refus de la torture — qu’il dénonce effectivement — au profit d’un camp qui la pratiquait lui-même abondamment. Tout simplement, il refusait le simplisme d’une opposition entre Européens chrétiens et Arabes musulmans qui n’était pas celle que les militants armés de l’indépendance algérienne voulaient faire croire, car « il ne savait que trop qu’un des plateaux de la balance contenait les Pieds-Noirs et nombre de musulmans fidèles, immolés d’avance à l’ordre nouveau. » D’où le terrorisme, à la fois contre ces musulmans fidèles et contre les Français d’Algérie, ce « peuple de trop ».
Contre toutes les idéologies totalitaires, qui cherchent à instaurer un homme nouveau pour un nouvel enfer terrestre, Camus rappelle dans L’Homme révolté que « la révolte, elle, ne vise qu’au relatif et ne peut promettre qu’une dignité assortie d’une justice relative. »
Axel Tisserand - L’AF 2871
Jean Monneret, Camus et le terrorisme, Michalon Editeur, 2013, 190 pages, 16 euros.
http://www.actionfrancaise.net/craf/?Albert-Camus-et-le-refus-du

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