Quelques extraits d’un article sur les nouveaux programmes d’histoire de Jean-Paul Brighelli, enseignant et essayiste.
L’insistance sur les colonies (en quatrième, en
troisième, et à nouveau en première) tient davantage de l’intoxication
face aux «nouveaux publics», comme on dit quand on s’interdit de dire
«enfants issus de l’immigration», que de l’intérêt bien compris du récit
historique.
La polémique enfle à nouveau. Les programmes d’histoire sont allégés
en troisième et en terminale, et aussitôt les discours s’enflamment, les
invectives volent. Et d’un aménagement somme toute mineur, divers
polémistes tirent des conclusions radicales sur le projet global de
décérébration de nos jeunes têtes blondes (ou brunes…). Les uns se font
les propagandistes du tout-chronologique, les apologistes du «roman
national», les autres s’arc-boutent sur une conception plus critique de
l’enseignement de l’histoire. […]
Le fait même que la polémique soit si vive signifie d’abord que
l’histoire est en France un sujet sensible et qu’elle est en danger.
Tout comme le manifeste laïque de Vincent Peillon : son existence même
témoigne d’une menace. […]
L’histoire telle qu’elle s’enseignait sous Lavisse, en
pleine IIIe République triomphante, n’est plus celle de notre Ve
République pourrissante.
Un exemple – mais bien sûr, je ne le prends pas au hasard : l’enseignement de la colonisation (et de la décolonisation). Certitudes
du colonisateur qui apporte la civilisation aux barbares en 1880-1930 ;
émergence de la parole des colonisés après les années 1960 (2) et
culpabilisation rampante des anciens colonisés. […] Bien sûr, il était
intéressant d’expliquer les mécanismes de l’esclavage au XVIIIe siècle
(actuel programme de quatrième). Mais pourquoi passer sous silence
l’immense responsabilité des Arabes dans l’esclavagisme, qu’il s’agisse
de fournir des Noirs aux navires européens ou de mettre en esclavage
pour eux-mêmes des millions d’êtres humains, y compris, pour le seul
XVIIIe siècle, des centaines de milliers d’Européens ? […]
« L’histoire est le produit le plus dangereux que la chimie de l’intellect ait élaboré »,
disait avec pertinence Paul Valéry. Chacun, en fonction de ses intérêts
idéologiques, s’annexe son enseignement, en se prétendant objectif. Au
roman national a succédé le fantasme trans-national. Il est temps de
bien former les enseignants et de leur faire confiance pour narrer une
histoire qui nous a construits. […]
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