Parcourir
un volume de près de six cents pages consacrées à Charles Maurras,
riche, dense, écrit par un homme de grande culture, avec des documents
inédits, attire à juste titre la sympathie du lecteur. Francis Venant,
dans L’AF 2000 du 5 octobre, a parfaitement rendu compte de
cet attrait, et, entrant plus profondément dans le livre, il en a mis en
lumière d’excellents aspects. Il me reste la charge redoutable d’en
montrer les côtés négatifs, sans tomber dans un esprit de dénigrement
systématique, et il convient de rendre hommage, pour commencer, à la
somme de travail fournie par l’auteur, à la sympathie intellectuelle
quil éprouve envers Maurras écrivain et artiste. Francis Venant,
d’ailleurs, à la fin de sa recension, émet de graves réserves sur les
affirmations de Stéphane Giocanti à propos de l’Action française.
Le plaisir que j’ai ressenti à la lecture du livre a été traversé, à plusieurs reprises, par un sentiment de malaise dont j’ai cherché, dans une seconde lecture, à déterminer les éléments. En voici un rapport succinct.
D’abord, si Maurras apparaît clairement comme écrivain, comme artiste, comme penseur, on voit moins bien qu’il est entré en politique « comme on entre en religion » : la vie de l’Action française représente dans ce livre comme une toile de fond brossée à grands traits, elle ne semble pas faire intimement partie de l’existence de l’homme sans lequel elle n’eût été qu’un mouvement nationaliste de plus cherchant vainement à guérir la République de ses vices congénitaux.
Un poète en prison
Ce titre du chapitre qui suit la condamnation de Maurras m’a déplu. La justice « fini » n’a pas condamné un vieux poète, les démocrates-chrétiens et les socialo-communistes qui l’inspiraient ont réglé leurs comptes avec le chef de l’Action française et le philosophe contre-révolutionnaire. Maurras sest justement écrié : « Cest la revanche de Dreyfus ! »
Parlons donc de cette Affaire . Stéphane Giocanti croit à l’innocence du capitaine. C’est son droit. Mais il croit aussi que Maurras s’est acharné à vouloir prouver la culpabilité de l’accusé parce qu’il était juif. Cest faux. L’antidreyfusisme était plus une lutte contre un parti quune hostilité à la personnalité falote dAlfred : « Mon premier et dernier avis là-dessus a été que, si par hasard Dreyfus était innocent, il fallait le nommer Maréchal de France, mais fusiller une douzaine de ses principaux défenseurs pour le triple tort qu’ils faisaient à la France, à la Paix, à la Raison. » (Au signe de Flore)
L’antisémitisme de Maurras et de l’Action française fut toujours politique ; cela na pas été compris de Stéphane Giocanti qui s’étonne quon puisse faire l’éloge funèbre du grand rabbin de Lyon, tombé au champ d’honneur et affirmer un antisémitisme politique. Il va jusqu’à parler, à propos de Maurras, « d’irrationalité xénophobe » ! Ajoutons que notre époque de langue de bois ne sait plus ni lire ni comprendre les excès calculés de la polémique classique.
Les conséquences politiques de l’Affaire sont également présentées au conditionnel : « L’Affaire aurait eu pour conséquence d’affaiblir la France. » On a dit que la cause de la guerre de 1914 était le renvoi de Delcassé après lequel l’Empire allemand a cru quil pouvait tout se permettre avec la République française. « Mais, écrit Maurras dans l’Examen de l’édition définitive de Kiel et Tanger, la capitulation d’avril 1905 résultait de l’état où les auteurs de l’affaire Dreyfus avaient jeté les forces militaires, maritimes, politiques et morales du pays légal. » (Nouvelle Librairie nationale, 1921).
Dans sa brochure sur Les Origines et la doctrine de l’Action Française, Léon de Montesquiou écrit : « L’Action française est née de l’Affaire Dreyfus… elle représente à son origine la réaction de quelques patriotes en présence de la trahison commise contre la France ». S’il était sot et criminel d’être antidreyfusard, l’AF est un non-sens.
Maurras et l’Action française devant l’Église
Pour la condamnation de 1926, Stéphane Giocanti souligne avec raison les outrances qui discréditent le cardinal Andrieu, mais il explique en grande partie la condamnation romaine par les attaques du quotidien contre la politique de Pie XI. L’auteur ne s’avance pas trop dans ce dossier : il semble ignorer, par exemple, les raisons de la retraite du cardinal Billot, l’ancien théologien de saint Pie X, contraint à la démission et mis dans une véritable résidence surveillée par le pontife qu’il avait couronné de ses mains. Et il faut être lecteur attentif pour noter la levée de la condamnation par Pie XII sans rétractation d’erreurs doctrinales dès les premières semaines de son pontificat. Tandis que la condamnation occupe beaucoup de place, sa levée est, dans ce livre, d’une déroutante discrétion !
La guerre d’Espagne
Stéphane Giocanti se montre d’une grande prudence pour éviter les foudres du politiquement peut que détester ce lourd néologisme journalistique au sens imprécis (VI, 5). À partir d’une certaine époque, les cadres de l’AF vieillissant, Maurras le premier, le nationalisme intégral se serait sclérosé. « Les critères pour analyser et juger se renouvellent peu et parfois se répètent. » Mais on ne va pas reprocher à un penseur d’utiliser une démonstration qui a fait ses preuves ! Le Vrai ne lasse pas l’homme qui y croit et qui l’aime. Les méthodes d’analyse, d’induction et de déduction ne changent pas. Ou alors il faut se dire relativiste et, si on est cohérent, renoncer à classer, à juger.
« En 1938, Maurras a soixante-dix ans. Une société différente apparaît. C’est un contemporain de Taine et de Fachoda qui est entré dans l’ère de Citroën et de Charles Trenet. » Ce coup d’œil complice à la jeunesse et à la modernité fait pitié. Passons sur l’anglicisme : le français n’utilise pas le comparatif sans complément. Qui Stéphane Giocanti compare-t-il à Taine, l’industriel ou le chanteur de variétés ? Par une réflexion aussi indigente que floue l’auteur a voulu discréditer Maurras juste avant la guerre en lui donnant des circonstances atténuantes : le vieux monsieur septuagénaire dira des sottises en se ralliant à un maréchal presque nonagénaire. Non, et non !
Stéphane Giocanti note avec justesse que la collaboration vint d’abord de la gauche. Citons Maurras : « Les quelques malheureux qui ont trahi l’Action française pendant l’Occupation n’ont eu quà rétrograder jusqu’à leur jeunesse scolaire de la rue d’Ulm pour rejoindre ces Déat, ces Paul de Rives, ces Spinasse, ces Suarez qu’il n’avait pas été nécessaire de recatéchiser. » (Votre Bel Aujourd’hui, p. 35-36)
La France, La France seule
Mais « Maurras perd peu à peu les pouvoirs de son réalisme politique ». Sa passion résistantialiste aveugle l’auteur qui écrit une page injuste contre Xavier Vallat. Stéphane Giocanti ne comprend pas pourquoi le journal a continué à paraître pendant la guerre, il ne comprend pas l’attitude de Maurras, il ne comprend pas le Maréchal. Qu’il relise La seule France : tout est clair, évident, lumineux, parfaitement dans la logique d’Action française. Sans le Maréchal, sans l’Action française, Doriot, Déat auraient pu entraîner des masses de malheureux dans une sotte « croisade contre le bolchevisme ». Imaginons un million de Français sur le front russe, une jeunesse fauchée sous l’uniforme ennemi, la France vaincue deux fois dans le même conflit. Le clan des Yes et le clan des Ja représentaient tous deux la guerre civile ; Maurras a accompli son devoir jusque’au bout en en dénonçant les fauteurs, au péril de sa vie.
Nous sommes fiers d’être d’Action française, nous sommes fiers des hommes qui nous ont précédés au sein de ce mouvement de salut public, nous sommes fiers de notre Maître, Charles Maurras qui est non seulement un des plus grands de nos prosateurs et de nos poètes, mais aussi et surtout « le plus Français des Français ».
Gérard Baudin L’Action Française 2000 du 19 octobre au 1er novembre 2006
* Stéphane Giocanti : Maurras, le chaos et l’ordre. Éd Flammarion, 580 pages, 27 euros.
Le plaisir que j’ai ressenti à la lecture du livre a été traversé, à plusieurs reprises, par un sentiment de malaise dont j’ai cherché, dans une seconde lecture, à déterminer les éléments. En voici un rapport succinct.
D’abord, si Maurras apparaît clairement comme écrivain, comme artiste, comme penseur, on voit moins bien qu’il est entré en politique « comme on entre en religion » : la vie de l’Action française représente dans ce livre comme une toile de fond brossée à grands traits, elle ne semble pas faire intimement partie de l’existence de l’homme sans lequel elle n’eût été qu’un mouvement nationaliste de plus cherchant vainement à guérir la République de ses vices congénitaux.
Un poète en prison
Ce titre du chapitre qui suit la condamnation de Maurras m’a déplu. La justice « fini » n’a pas condamné un vieux poète, les démocrates-chrétiens et les socialo-communistes qui l’inspiraient ont réglé leurs comptes avec le chef de l’Action française et le philosophe contre-révolutionnaire. Maurras sest justement écrié : « Cest la revanche de Dreyfus ! »
Parlons donc de cette Affaire . Stéphane Giocanti croit à l’innocence du capitaine. C’est son droit. Mais il croit aussi que Maurras s’est acharné à vouloir prouver la culpabilité de l’accusé parce qu’il était juif. Cest faux. L’antidreyfusisme était plus une lutte contre un parti quune hostilité à la personnalité falote dAlfred : « Mon premier et dernier avis là-dessus a été que, si par hasard Dreyfus était innocent, il fallait le nommer Maréchal de France, mais fusiller une douzaine de ses principaux défenseurs pour le triple tort qu’ils faisaient à la France, à la Paix, à la Raison. » (Au signe de Flore)
L’antisémitisme de Maurras et de l’Action française fut toujours politique ; cela na pas été compris de Stéphane Giocanti qui s’étonne quon puisse faire l’éloge funèbre du grand rabbin de Lyon, tombé au champ d’honneur et affirmer un antisémitisme politique. Il va jusqu’à parler, à propos de Maurras, « d’irrationalité xénophobe » ! Ajoutons que notre époque de langue de bois ne sait plus ni lire ni comprendre les excès calculés de la polémique classique.
Les conséquences politiques de l’Affaire sont également présentées au conditionnel : « L’Affaire aurait eu pour conséquence d’affaiblir la France. » On a dit que la cause de la guerre de 1914 était le renvoi de Delcassé après lequel l’Empire allemand a cru quil pouvait tout se permettre avec la République française. « Mais, écrit Maurras dans l’Examen de l’édition définitive de Kiel et Tanger, la capitulation d’avril 1905 résultait de l’état où les auteurs de l’affaire Dreyfus avaient jeté les forces militaires, maritimes, politiques et morales du pays légal. » (Nouvelle Librairie nationale, 1921).
Dans sa brochure sur Les Origines et la doctrine de l’Action Française, Léon de Montesquiou écrit : « L’Action française est née de l’Affaire Dreyfus… elle représente à son origine la réaction de quelques patriotes en présence de la trahison commise contre la France ». S’il était sot et criminel d’être antidreyfusard, l’AF est un non-sens.
Maurras et l’Action française devant l’Église
Pour la condamnation de 1926, Stéphane Giocanti souligne avec raison les outrances qui discréditent le cardinal Andrieu, mais il explique en grande partie la condamnation romaine par les attaques du quotidien contre la politique de Pie XI. L’auteur ne s’avance pas trop dans ce dossier : il semble ignorer, par exemple, les raisons de la retraite du cardinal Billot, l’ancien théologien de saint Pie X, contraint à la démission et mis dans une véritable résidence surveillée par le pontife qu’il avait couronné de ses mains. Et il faut être lecteur attentif pour noter la levée de la condamnation par Pie XII sans rétractation d’erreurs doctrinales dès les premières semaines de son pontificat. Tandis que la condamnation occupe beaucoup de place, sa levée est, dans ce livre, d’une déroutante discrétion !
La guerre d’Espagne
Stéphane Giocanti se montre d’une grande prudence pour éviter les foudres du politiquement peut que détester ce lourd néologisme journalistique au sens imprécis (VI, 5). À partir d’une certaine époque, les cadres de l’AF vieillissant, Maurras le premier, le nationalisme intégral se serait sclérosé. « Les critères pour analyser et juger se renouvellent peu et parfois se répètent. » Mais on ne va pas reprocher à un penseur d’utiliser une démonstration qui a fait ses preuves ! Le Vrai ne lasse pas l’homme qui y croit et qui l’aime. Les méthodes d’analyse, d’induction et de déduction ne changent pas. Ou alors il faut se dire relativiste et, si on est cohérent, renoncer à classer, à juger.
« En 1938, Maurras a soixante-dix ans. Une société différente apparaît. C’est un contemporain de Taine et de Fachoda qui est entré dans l’ère de Citroën et de Charles Trenet. » Ce coup d’œil complice à la jeunesse et à la modernité fait pitié. Passons sur l’anglicisme : le français n’utilise pas le comparatif sans complément. Qui Stéphane Giocanti compare-t-il à Taine, l’industriel ou le chanteur de variétés ? Par une réflexion aussi indigente que floue l’auteur a voulu discréditer Maurras juste avant la guerre en lui donnant des circonstances atténuantes : le vieux monsieur septuagénaire dira des sottises en se ralliant à un maréchal presque nonagénaire. Non, et non !
Stéphane Giocanti note avec justesse que la collaboration vint d’abord de la gauche. Citons Maurras : « Les quelques malheureux qui ont trahi l’Action française pendant l’Occupation n’ont eu quà rétrograder jusqu’à leur jeunesse scolaire de la rue d’Ulm pour rejoindre ces Déat, ces Paul de Rives, ces Spinasse, ces Suarez qu’il n’avait pas été nécessaire de recatéchiser. » (Votre Bel Aujourd’hui, p. 35-36)
La France, La France seule
Mais « Maurras perd peu à peu les pouvoirs de son réalisme politique ». Sa passion résistantialiste aveugle l’auteur qui écrit une page injuste contre Xavier Vallat. Stéphane Giocanti ne comprend pas pourquoi le journal a continué à paraître pendant la guerre, il ne comprend pas l’attitude de Maurras, il ne comprend pas le Maréchal. Qu’il relise La seule France : tout est clair, évident, lumineux, parfaitement dans la logique d’Action française. Sans le Maréchal, sans l’Action française, Doriot, Déat auraient pu entraîner des masses de malheureux dans une sotte « croisade contre le bolchevisme ». Imaginons un million de Français sur le front russe, une jeunesse fauchée sous l’uniforme ennemi, la France vaincue deux fois dans le même conflit. Le clan des Yes et le clan des Ja représentaient tous deux la guerre civile ; Maurras a accompli son devoir jusque’au bout en en dénonçant les fauteurs, au péril de sa vie.
Nous sommes fiers d’être d’Action française, nous sommes fiers des hommes qui nous ont précédés au sein de ce mouvement de salut public, nous sommes fiers de notre Maître, Charles Maurras qui est non seulement un des plus grands de nos prosateurs et de nos poètes, mais aussi et surtout « le plus Français des Français ».
Gérard Baudin L’Action Française 2000 du 19 octobre au 1er novembre 2006
* Stéphane Giocanti : Maurras, le chaos et l’ordre. Éd Flammarion, 580 pages, 27 euros.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire