Le 4 septembre, la foule envahit la salle des séances du Corps législatif.
Le 4 septembre 1870, plus ou moins spontanément, une
multitude de Parisiens envahit au matin la Chambre des députés. L’Empire
vit ses dernières heures : Gambetta et Favre, entraînant à leur suite
la foule, proclament la République à l’Hôtel de ville. Le baron Eugène
Eschassériaux est témoin de cette scène. Bonapartiste, député de la
Charente-Inférieure (actuelles Charentes-Maritimes) de 1848 à 1892 sans
interruption (jamais battu aux élections), il se distinguera plus tard
comme l’un des piliers du parti de l’Appel au peuple (impérialistes) et
restera fidèle jusqu’à sa mort à la dynastie déchue.
Eugène Eschassériaux
(entre 1852 et 1857).
« [...] Gambetta venait de prendre la parole, lorsqu’un garçon le
demanda de la part de M. Hébert, questeur. C’était pour le prier
d’empêcher l’envahissement, s’il le pouvait par ses conseils. Au bout de
quelques instants, on nous annonce que la Chambre est envahie. A ce
moment, nous assistons à l’appel aux armes fait à un bataillon qui nous
gardait dans la cour. Les soldats disséminés dans les cours s’élancent
sur leurs fusils en faisceaux et leurs sacs. Gambetta revint et ressort
aussitôt. Nous déclarons que, sans nous préoccuper de l’envahissement de
la salle des séances nous devons rester à notre poste et délibérer.
Mais l’émotion gagne le bureau ; on n’écoute pas un orateur, on regarde
le bataillon qui entre sous le bureau pour prendre l’escalier et
pénétrer dans la salle des Quatre Colonnes. Nous sortons alors du
bureau. Je pénètre alors dans la salle des Quatre Colonnes, d’où
j’aperçois à travers la porte la salle des Pas perdus envahie, des
têtes, des bras en l’air, des bayonnettes, des chapeaux et un bruit très
grand. [...]
Nous assistâmes pendant une heure à des divagations
politiques, économiques, sociales de la part de la foule d’envahisseurs,
de nature à faire douter la raison et à mettre Paris en-dessous du
dernier des villages et au niveau d’une maison de fous. Il n’y a
pas de stupidités, d’insanités qui ne soient sorties de ces têtes de
gens armés et plus ou moins équipés en gardes nationaux. Pour eux les
députés de la droite étaient des monstres, des voleurs, des brigands,
des pillards emportant chaque soir chez eux une partie du trésor public.
[Pour eux,] Les candidats officiels avaient été désignés sans élection
par les préfets corrompus. D’autres protestaient contre le 2 Décembre,
ne faisant pas attention qu’ils faisaient la même chose, au nom du
désordre, quand l’ennemi est aux portes. Pour eux Paris est tout, les
départements rien. Paris doit imposer la loi, et dans Paris les
faubourgs, le peuple.
On peut se demander dans quel milieu vivent de pareils hommes ; dans
quelles ténèbres, dans quelle fournaise de passions aveugles et brutales
ces gens passent-ils leur vie ? Ces hommes ne parlent pas notre langue,
ne nous comprennent pas, et cependant ils vivent à quelques pas de
nous. [...]
Ainsi a fini l’Empire [...]. L’Empire aurait pu être sauvé après
Sedan, par l’abdication de l’Empereur, si l’Impératrice et le ministère
Palikao avaient transféré derrière la Loire, à Tours, le siège du
gouvernement, en justifiant hautement le patriotisme de cette résolution
par la nécessité de la défense nationale. C’eut été imiter les Valois
pendant la ligue. Cette mesure de salut a été prise, quelques semaines
après la chute de l’Empire, par les gens du 4 septembre. Elle s’imposait
du jour où l’on a prévu le siège de Paris qui allait isoler le
gouvernement du reste de la France et briser par cet isolement tous les
moyens de défense. L’Impératrice et le ministère ont sacrifié au préjugé
de croire que Paris est la France et surtout la peur de mécontenter les
Parisiens. Les pouvoirs publics transférés à Tours eussent été libres, à
l’abri des craintes de l’émeute, d’assurer la défense et de traiter de
la paix sans cession de territoire. C’est ce qui aurait dû être fait au
lendemain de Sedan. [...] »
ESCHASSÉRIAUX Eugène (baron), Mémoires d’un grand notable bonapartiste, 1823-1906, présentés par François Pairault, Saintonge, éd. des Sires de Pons, 2000.
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