Nombreux
sont ceux qui semblent croire que, parce qu’une intervention militaire
est faite sous un drapeau, elle est le fait d’une nation, d’un peuple
tout entier dans son unanimité.
Les événements géopolitiques des dernières décennies font affirmer
par de nombreux médias, dans des articles se voulant subversifs, que
l’interventionnisme américain est le reflet même de l’esprit
impérialiste qui lui est inhérent, dans un pays où règne l’hyper
rationalisme et un capitalisme sauvage. La culture américaine est ainsi
résumée à un matérialisme inhumain et un fondamentalisme religieux, qui
ensemble partent à la conquête du monde, motivés par un prosélytisme
destructeur.
Les allocutions et publications officielles des élites politiques
américaines tendent d’ailleurs à confirmer cette identité profondément
belliciste, en s’acharnant à attacher à la fois l’intérêt du peuple et
sa tradition à un hégémonisme mondial. L’impérialisme sur le monde est
présenté comme une obligation, un principe inaliénable de la nation
américaine. Condoleeza Rice avait ainsi placé la suprématie militaire
américaine et la diffusion du libre échange dans le monde comme les deux
premiers axes de « l’intérêt national ». Georges W Bush avait déclaré, en 2003, que Dieu [lui] avait dit : « Georges, va mettre fin à la tyrannie en Irak… ». Son Secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld avait la même année affirmé que la guerre en Irak était une « croisade chrétienne ». On a comme exemple plus récent, le brûlot du conservateur Dinesh D’souza , intitulé, Obama, Unmaking the American Dream. On comprend dans cet ouvrage que pour l’auteur l’American Dream se résume à des standards matériels de vie supérieurs aux autres pays, et à une hégémonie politique et économique sur le monde…
Or, un aperçu des réalités historiques nous rappelle que l’ingérence
belliciste américaine n’est en aucun cas en phase avec les valeurs
originelles de cette nation, et n’est pas la conséquence d’un héritage
national. Nous le rappellerons par un bref retour sur les origines
économiques, sociopolitiques et religieuses, et par cela diplomatique
des États-Unis au XIXème siècle et au début du XXème. Par la suite, nous
démontrerons que la période de transition, de 1914 à 1945, entamée par
le président Wilson pour aboutir sur une Amérique « gendarme du monde »
très interventionniste, ne s’est pas faite sans une multitude de
tentatives de résistance isolationniste et pacifiste, des volontés de « retour aux sources »
et de sauvegarde de l’intérêt du peuple américain, dont l’écho nous
parvient jusqu’à aujourd’hui avec les prises de position de Ron Paul.
Nous pourrons ainsi conclure que le bellicisme américain n’est en
rien un fait national, inhérent aux valeurs traditionnelles économiques,
politiques ou religieuses du pays, mais bien une manipulation
oligarchique, un détournement du patriotisme traditionnel du travailleur
américain dans un intérêt contraire à celui de ce dernier. Nous
pourrons alors affirmer l’existence d’une instrumentalisation de la
Nation et de ses symboles dans les événements politiques internationaux
d’aujourd’hui, à la lumière d’une actualité riche en exemples concrets.
La littérature géopolitique admet que les États-Unis étaient
diplomatiquement très isolationnistes depuis leur création jusqu’au
milieu du XXème siècle. Les faits marquants les plus souvent nommés pour
illustrer cette position sont l’entrée tardive du pays dans la première
guerre mondiale, et sa critique relative du colonialisme européen. Le
bellicisme impérialiste américain actuel est en contradiction avec ce
passé. Si pour autant ce bellicisme est inhérent à son héritage
traditionnel, comme certains l’affirment ou le sous-entendent
aujourd’hui, il faudrait alors rechercher dans sa structuration
politique, économique ou religieuse les germes d’une volonté hégémonique
en devenir. Tentons l’expérience.
Sur le plan politique tout d’abord, il serait difficile de concevoir
qu’un pays soit par nature expansionniste et interventionniste lorsqu’il
présente dans sa tradition la décentralisation du pouvoir économique et
politique. En effet, l’État Fédéral, rappelons-le, a vu son existence
même fortement défié, au travers d’une guerre civile de 1861 à 1865. Si
la guerre de sécession voit la victoire du Nord, la tradition d’un État
central faible reste un élément fondamentale de la tradition américaine.
Si, à partir de la seconde guerre mondiale, l’État fédéral s’est vu
renforcé par le rôle de Gendarme du monde attribué au pays, il n’en
reste pas moins qu’aujourd’hui encore, toute centralisation du pouvoir
économique, dans les mains d’une institution publique comme privée
d’ailleurs, provoque la défiance du peuple américain.
Cette idéologie, orientée vers la liberté individuelle et la
démocratie totale et locale, est cohérente avec une tradition politique
isolationniste et de repli sur soi. Si, il est vrai, les États-Unis ont
connu l’émergence des premières grandes multinationales industrielles
(Ford, Rockefeller…) ou bancaires (Northern Trust, US Trust…) provoquée
par des conditions singulières de décollage industriel facilitant une
standardisation et une concentration précoce, ceci cache une structure
économique, d’un point de vue global, très décentralisée, faite de
petites et moyennes entreprises locales, relativement peu tournées vers
l’export. L’ensemble de l’économie restera dans de nombreux secteurs peu
concentrée, et tardivement rurale. (en 1910, 54% de la population vie
en zone rurale, et 33% de la population est employée dans le secteur
primaire). L’industrie, tournée essentiellement vers un marché intérieur
aux opportunités immenses, est financée par des structures bancaires
morcelées et régionalisées, contrairement aux modèles anglais et
français.
En résumé, si certains grands groupes bancaires ou industriels ont
influencé un interventionnisme militaire américain intéressé, ces élites
dirigeantes ne sont en rien représentatives de la structuration
initiale du pays, faite d’activités de dimensions et de préoccupations
locales, ou tout au plus nationales. (Données chiffrées extraites de : La révolution Industrielle 1780-1880 de Jean-Pierre Rioux, 1981).
L’aspect religieux enfin, mériterait une analyse approfondie. Mais
disons simplement qu’il est douteux d’affirmer que les structures
religieuses américaines, par ailleurs très morcelées et diversifiées,
puissent avoir porté le germe d’un messianisme interventionniste. De
plus, les États-Unis, pratiquement dès leur création, ont séparé l’État
des institutions religieuses de manière constitutionnelle, reléguant
ainsi le Divin à la sphère privée, et invitant de ce même pas à la
tolérance, toujours au nom de la sacro-sainte liberté individuelle. Voir
pour cela le 1er amendement à la constitution, ratifié en 1791.
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