Il est
des articles que l’on voudrait n’avoir pas à écrire et les hommages
posthumes que l’on rend à un ami font d’abord souvenir de son départ,
le rendant, si possible, un peu plus irréversible. Jean Mabire s’en est
allé le 29 mars au soir, discrètement, dans l’invraisemblable silence
des médias, oublieux de ses grands succès littéraires de jadis pour ne
plus voir que le réprouvé quil était devenu en demeurant fidèle
jusqu’au bout aux choix politiques de sa jeunesse. Il eût jugé leur
attitude avec tout le dédain qui s’impose, lui qui tenait pour péchés
capitaux la sottise, l’étroitesse d’esprit, le manque de cœur et de
générosité. Ces défauts, il est vrai, lui étaient étrangers et il
s’étonnait toujours de les découvrir chez autrui. Jean Mabire est
parti, sans mobiliser la presse, les radios et les télévisions qui
avaient choisi, depuis quinze ans et plus, de l’ignorer. Sa mort, pour
ceux qui l’aimaient, est un crève-cœur ; reste son œuvre,
foisonnante, ses livres, cent trente, pour porter témoignage de l’homme
qu’il fût, et du combat quil mena. C’est plus, définitivement, que
n’en laisseront à eux tous les petits personnages qui avaient décidé de
l’ostraciser. Jean ne se destinait pas au métier des Lettres ; il
avait entamé une carrière de graphiste, déjà marquée par son immense
amour de la Normandie, lorsque l’occasion de devenir journaliste
s’était offerte à lui. Il l’avait saisie. Son premier livre, il le
rapporta d’Algérie, où, officier de réserve, il avait servi dans un
commando de chasse, en 1961, et c’était, paradoxe qui résumerait toute
son œuvre, la confrontation d’un écrivain, Pierre Drieu La Rochelle,
aux grandeurs et servitudes du combat et aux drames de son temps. Que
Drieu fût normand ajoutait, évidemment, à la fraternité spirituelle que
s’était découverte avec lui un Mabire soupirant dans le djebel après
les pluies cherbourgeoises.
Le rêve européen
Drieu parmi nous, récemment réédité, était un livre fondateur, et Jean y tenait. C’était aussi un livre ambitieux qui mêlait analyses biographique, littéraire, critique, politique, destiné à démontrer comment un romancier compromis, suicidé le 15 mars 1945, pouvait avoir encore quelque chose à dire aux générations suivantes et pourquoi. Ce qui comptait aux yeux de Jean, et de beaucoup de garçons de sa génération, adolescents à la libération, c’était une tentative pour concilier la patrie blessée, méconnaissable même, et un rêve européen, promesse d’équilibre et de liberté face à l’U.R.S.S. et aux États-Unis. C’était la défense d’un patrimoine commun, d’une sagesse commune, et des racines propres à chaque peuple, à chaque patrie, à chaque province. Cette Europe-là n’avait rien à voir avec le monstre que l’on nous concocta de Maastricht à Bruxelles et que Mabire détestait comme une trahison insane dun meilleur idéal. Bien au-delà d’une vision politique qui, quarante-cinq ans après, apparaît périmée, cet essai témoigne avec passion des espoirs et des échecs dune génération. Jean ne les avait pas reniés.
Ce n’était pas un hasard si son premier livre était un essai critique ; ses goûts le portaient vers ce genre. Il devait y revenir plus tard, entre autres à travers Rêve d’Europe, une étonnante galerie d’écrivains confrontés à leurs conceptions européennes, mais à travers, malheureusement, l’Occupation dans laquelle ils crurent trouver une occasion prodigieuse de réalisation. Ce qui ressort de ces brèves études, c’est d’abord une extraordinaire impression de confusion intellectuelle et de sentimentalisme mal géré, une remarquable capacité à prendre les vessies pour des lanternes. Mabire le disait, avec un mélange d’amusement et de tristesse.
L’historien militaire
Mais le succès lui vint d’ailleurs : d’ouvrages d’histoire militaire innovants, audacieux, précis qui, en abordant la question délicate des volontaires français sous luniforme allemand, sut traiter le sujet avec un tact et une intelligence rares. La trilogie consacrée aux Waffen SS français ne visait ni l’apologie ni la condamnation et cherchait à saisir un phénomène et à l’expliquer, en donnant, autant que possible, la parole aux survivants. Les chiffres de vente atteints prouvèrent que le public avait compris les intentions de Mabire. Triomphe éditorial chez Fayard puis en poche dans les années 70, La Brigade Frankreich, La division Charlemagne et Mourir à Berlin sintéressaient à l’itinéraire d’hommes qui sétaient trompés de combat, mais l’avaient payé en sachant périr. Il fallut attendre le politiquement correct triomphant pour que d’aucuns s’avisassent de voir dans ces livres on ne sait quelle douteuse exaltation du nazisme et même d’accuser Jean d’avoir lui-même porté l’uniforme honni, sans penser à vérifier sa date de naissance… propos qui valurent à leurs auteurs une condamnation méritée pour diffamation. Devenue introuvable dans sa première édition, la trilogie fut reprise chez Grancher, en une édition certes corrigée de quelques minimes erreurs, mais surtout abrégée, ce dont ni Mabire ni ses lecteurs ne devaient se consoler. Un sort identique attendait son Histoire de la L.V.F., écrite en collaboration avec Éric Lefèvre, dont le premier tome parut en 1985. Là encore, au nom de mystérieuses nécessités éditoriales, la réédition, sous le titre Par -40° devant Moscou, fut amputée dune première partie passionnante, et très éclairante puisque’elle s’attardait sur les parcours politiques et les évolutions qui devaient conduire des anti-communistes primaires et viscéraux, presque tous patriotes et bons catholiques, sur le front de l’Est, au nom d’une croisade contre le bolchevisme, hélas initiée par l’occupant… Une très abondante iconographie compense un peu, sans le racheter, ce massacre du texte initial qui navrait Mabire.
En parallèle de ces grands cycles qui sintéressaient à un contexte et des personnages français, et sinscrivaient dans une étude des idées et du militantisme, de droite ou de gauche, car nombre de ces hommes venaient, via le P.P.F. de Doriot, du Parti communiste, au cours des années 30, Mabire poursuivit aussi, par goût parfois, par nécessité quotidienne souvent, des études consacrées aux principales unités de prestige de la Seconde Guerre mondiale, allemandes, britanniques ou américaines. L’une des dernières d’un genre qui finissait par le lasser considérablement concernait les Panzers de la Garde Noire, cette division blindée redoutable issue de la garde personnelle de Hitler. Dans tous ces récits, Jean savait comme nul autre s’intéresser aux destinées individuelles et aux idées qui avaient conduit tant de jeunes gens à des engagements souvent hasardeux mais toujours héroïques, choix qui, pour lui, rachetait le reste. Mis bout à bout, ces livres forment une prodigieuse revue des troupes d’élite de l’époque et une somme inégalable d’informations.
La résistance des Occidentaux
L’été rouge de Pékin, paru en 1978 et dont il attendait impatiemment la réédition quil ne devait pas voir, sil sinscrit dans cette veine de létude militaire, est cependant dun esprit très différent. En le relisant, Jean s’en était inquiété, à tort, car cette étude chronologique du siège des légations européennes, à l’été 1900, par les Boxeurs insurgés que soutenait la cour impériale xénophobe est un très grand récit, digne de ces aventures coloniales d’autrefois propres à ravir des générations auxquelles l’on n’avait pas encore expliqué combien on devrait avoir honte de pareilles entreprises. Cela ne signifiait pas, au demeurant, que Mabire fût insensible à la position des Chinois et de l’impératrice Tseu Hi ; même, il l’a comprenait, voire la justifiait, car il était trop attaché à son pays et à sa culture pour ne pas saluer des sentiments identiques chez autrui.
Toutefois, ce qui le fascinait et l’émouvait, dans cette histoire, c’était la résistance opiniâtre de ce millier d’Occidentaux, civils pour la moitié, qui, dans l’attente de secours, avaient tenu deux mois et demi face à deux millions de Chinois décidés à massacrer les « diables blancs étrangers ». Français, Italiens, Russes, Britanniques, Autrichiens, Allemands, plus quelques Américains, très en retrait quoique Hollywood en ait raconté ensuite, auquels il convient dajouter des Japonais remarquables, avaient découvert, dans le péril et la souffrance partagés, une fraternité des armes et des sentiments inattendue. Sans rien renoncer de leurs traditions et de leurs points de vue respectifs, ces hommes avaient connu une entente neuve, qui aurait pu, si les gouvernements en avaient tiré la leçon, donner au siècle naissant un visage différent. Cependant, et ce n’était pas le moins surprenant pour ceux qui ne le connaissaient pas, les pages les plus belles du livre, Mabire les consacrait à l’extraordinaire archevêque de Pékin, Mgr Favier, à son clergé, à l’enseigne de vaisseau Paul Henry, et à la poignée de matelots bretons et italiens qui, enfermés dans la cathédrale pékinoise, luttèrent pour épargner une mort atroce aux milliers de catholiques chinois réfugiés sous leur protection. Un sacrifice que l’Église a préféré oublier… Des livres « qui font agir »
Ce sens du récit, cette psychologie, cette capacité à mettre une histoire en scène sans en travestir ni trahir la vérité historique, Jean les avait appris à bonne école, auprès des meilleurs écrivains, parmi lesquels il comptait à bon droit ceux que les snobs, les pseudo-intellectuels et les imbéciles appellent « les auteurs populaires ». Longtemps avant que l’on commence à rendre leurs lettres de noblesse à ces genres littéraires jugés inférieurs, Mabire en possédait une connaissance encyclopédique. S’y ajoutait une parfaite maîtrise des classiques, évidemment, des penseurs, des politiques, et de tous ceux qui, depuis deux siècles, dans le grand mouvement des idées, avaient choisi de s’engager et de combattre pour leur terre et leur idéal. Cela au niveau mondial. Vers 1990, il eut l’idée de mettre tout cela à la disposition de ses lecteurs, d’abord chaque semaine, dans sa chronique de National-Hebdo, puis en volumes. Il travaillait aux notices qui composeraient le neuvième quand la mort interrompit cette besogne inlassable. Sous le titre générique Que lire ?, Jean dressait un panorama inégalé, rassemblant notices biographiques, étude critiques, et bibliographies de sept cents écrivains, de Chateaubriand à nos jours, de toutes langues et de tous pays, même si les Français, et, dans une moindre mesure, les Britanniques, les Irlandais, les Italiens, les Allemands, les Flamands et les Scandinaves, se taillaient la part du lion.
Œuvre de référence irremplaçable, prodigieuse, énorme, qui eût tendue à l’exhaustivité si le temps lui avait été accordée, cette somme ne rencontra pas le public qu’elle méritait, injustice stupide qui obligea Jean à errer d’éditeur en éditeur, afin de pouvoir coûte que coûte en poursuivre la publication. La forme de la chronique hebdomadaire n’était sans doute pas la plus propice au travail littéraire et stylistique, mais Mabire savait que l’essentiel n’était pas là. Il le disait : « Ce qui compte, ce n’est pas l’art pour l’art comme l’affirment certains, mais l’influence que les écrivains exercent, même à leur cœur défendant, sur leurs contemporains. L’important, à mes yeux, ce sont les lecteurs tout autant que les auteurs. Il est des livres qui témoignent et des livres qui éveillent. Il est des livres qui sont des armes. Il n’est pas de combat politique sans un projet culturel. […] les bons livres, ce sont sans doute ceux qui font rêver. Mais les meilleurs, ce sont ceux qui font agir. »
Faut-il préciser dans quelle catégorie, toute sa vie, Mabire a travaillé à inscrire ses livres ? De cela, il faudra bien, un jour ou l’autre, que la France lui soit reconnaissante.
Anne BERNET LAction Française 2000 du 18 au 31 mai 2006
* Drieu parmi nous, Irminsul, 185 p., 23 euros (150,87 F).
* Rêve dEurope, Irminsul, 125 p. le volume, prix non communiqué.
* La division Charlemagne, Grancher, 340 p., 22,71 euros (149 F).
* Par -40 ° devant Moscou, Grancher, 395 p., 24 euros (157,43 F).
* Les Panzers de la Garde Noire, Grancher, 320 p., 22,71 euros (149 F).
* L'été rouge de Pékin, Le Rocher, 460 p., 19,90 euros (130,54 F).
* Que lire ? Sept volumes parus, en cours de réédition chez Dualpha, environ 300 p. le volume, prix non communiqué.
Le rêve européen
Drieu parmi nous, récemment réédité, était un livre fondateur, et Jean y tenait. C’était aussi un livre ambitieux qui mêlait analyses biographique, littéraire, critique, politique, destiné à démontrer comment un romancier compromis, suicidé le 15 mars 1945, pouvait avoir encore quelque chose à dire aux générations suivantes et pourquoi. Ce qui comptait aux yeux de Jean, et de beaucoup de garçons de sa génération, adolescents à la libération, c’était une tentative pour concilier la patrie blessée, méconnaissable même, et un rêve européen, promesse d’équilibre et de liberté face à l’U.R.S.S. et aux États-Unis. C’était la défense d’un patrimoine commun, d’une sagesse commune, et des racines propres à chaque peuple, à chaque patrie, à chaque province. Cette Europe-là n’avait rien à voir avec le monstre que l’on nous concocta de Maastricht à Bruxelles et que Mabire détestait comme une trahison insane dun meilleur idéal. Bien au-delà d’une vision politique qui, quarante-cinq ans après, apparaît périmée, cet essai témoigne avec passion des espoirs et des échecs dune génération. Jean ne les avait pas reniés.
Ce n’était pas un hasard si son premier livre était un essai critique ; ses goûts le portaient vers ce genre. Il devait y revenir plus tard, entre autres à travers Rêve d’Europe, une étonnante galerie d’écrivains confrontés à leurs conceptions européennes, mais à travers, malheureusement, l’Occupation dans laquelle ils crurent trouver une occasion prodigieuse de réalisation. Ce qui ressort de ces brèves études, c’est d’abord une extraordinaire impression de confusion intellectuelle et de sentimentalisme mal géré, une remarquable capacité à prendre les vessies pour des lanternes. Mabire le disait, avec un mélange d’amusement et de tristesse.
L’historien militaire
Mais le succès lui vint d’ailleurs : d’ouvrages d’histoire militaire innovants, audacieux, précis qui, en abordant la question délicate des volontaires français sous luniforme allemand, sut traiter le sujet avec un tact et une intelligence rares. La trilogie consacrée aux Waffen SS français ne visait ni l’apologie ni la condamnation et cherchait à saisir un phénomène et à l’expliquer, en donnant, autant que possible, la parole aux survivants. Les chiffres de vente atteints prouvèrent que le public avait compris les intentions de Mabire. Triomphe éditorial chez Fayard puis en poche dans les années 70, La Brigade Frankreich, La division Charlemagne et Mourir à Berlin sintéressaient à l’itinéraire d’hommes qui sétaient trompés de combat, mais l’avaient payé en sachant périr. Il fallut attendre le politiquement correct triomphant pour que d’aucuns s’avisassent de voir dans ces livres on ne sait quelle douteuse exaltation du nazisme et même d’accuser Jean d’avoir lui-même porté l’uniforme honni, sans penser à vérifier sa date de naissance… propos qui valurent à leurs auteurs une condamnation méritée pour diffamation. Devenue introuvable dans sa première édition, la trilogie fut reprise chez Grancher, en une édition certes corrigée de quelques minimes erreurs, mais surtout abrégée, ce dont ni Mabire ni ses lecteurs ne devaient se consoler. Un sort identique attendait son Histoire de la L.V.F., écrite en collaboration avec Éric Lefèvre, dont le premier tome parut en 1985. Là encore, au nom de mystérieuses nécessités éditoriales, la réédition, sous le titre Par -40° devant Moscou, fut amputée dune première partie passionnante, et très éclairante puisque’elle s’attardait sur les parcours politiques et les évolutions qui devaient conduire des anti-communistes primaires et viscéraux, presque tous patriotes et bons catholiques, sur le front de l’Est, au nom d’une croisade contre le bolchevisme, hélas initiée par l’occupant… Une très abondante iconographie compense un peu, sans le racheter, ce massacre du texte initial qui navrait Mabire.
En parallèle de ces grands cycles qui sintéressaient à un contexte et des personnages français, et sinscrivaient dans une étude des idées et du militantisme, de droite ou de gauche, car nombre de ces hommes venaient, via le P.P.F. de Doriot, du Parti communiste, au cours des années 30, Mabire poursuivit aussi, par goût parfois, par nécessité quotidienne souvent, des études consacrées aux principales unités de prestige de la Seconde Guerre mondiale, allemandes, britanniques ou américaines. L’une des dernières d’un genre qui finissait par le lasser considérablement concernait les Panzers de la Garde Noire, cette division blindée redoutable issue de la garde personnelle de Hitler. Dans tous ces récits, Jean savait comme nul autre s’intéresser aux destinées individuelles et aux idées qui avaient conduit tant de jeunes gens à des engagements souvent hasardeux mais toujours héroïques, choix qui, pour lui, rachetait le reste. Mis bout à bout, ces livres forment une prodigieuse revue des troupes d’élite de l’époque et une somme inégalable d’informations.
La résistance des Occidentaux
L’été rouge de Pékin, paru en 1978 et dont il attendait impatiemment la réédition quil ne devait pas voir, sil sinscrit dans cette veine de létude militaire, est cependant dun esprit très différent. En le relisant, Jean s’en était inquiété, à tort, car cette étude chronologique du siège des légations européennes, à l’été 1900, par les Boxeurs insurgés que soutenait la cour impériale xénophobe est un très grand récit, digne de ces aventures coloniales d’autrefois propres à ravir des générations auxquelles l’on n’avait pas encore expliqué combien on devrait avoir honte de pareilles entreprises. Cela ne signifiait pas, au demeurant, que Mabire fût insensible à la position des Chinois et de l’impératrice Tseu Hi ; même, il l’a comprenait, voire la justifiait, car il était trop attaché à son pays et à sa culture pour ne pas saluer des sentiments identiques chez autrui.
Toutefois, ce qui le fascinait et l’émouvait, dans cette histoire, c’était la résistance opiniâtre de ce millier d’Occidentaux, civils pour la moitié, qui, dans l’attente de secours, avaient tenu deux mois et demi face à deux millions de Chinois décidés à massacrer les « diables blancs étrangers ». Français, Italiens, Russes, Britanniques, Autrichiens, Allemands, plus quelques Américains, très en retrait quoique Hollywood en ait raconté ensuite, auquels il convient dajouter des Japonais remarquables, avaient découvert, dans le péril et la souffrance partagés, une fraternité des armes et des sentiments inattendue. Sans rien renoncer de leurs traditions et de leurs points de vue respectifs, ces hommes avaient connu une entente neuve, qui aurait pu, si les gouvernements en avaient tiré la leçon, donner au siècle naissant un visage différent. Cependant, et ce n’était pas le moins surprenant pour ceux qui ne le connaissaient pas, les pages les plus belles du livre, Mabire les consacrait à l’extraordinaire archevêque de Pékin, Mgr Favier, à son clergé, à l’enseigne de vaisseau Paul Henry, et à la poignée de matelots bretons et italiens qui, enfermés dans la cathédrale pékinoise, luttèrent pour épargner une mort atroce aux milliers de catholiques chinois réfugiés sous leur protection. Un sacrifice que l’Église a préféré oublier… Des livres « qui font agir »
Ce sens du récit, cette psychologie, cette capacité à mettre une histoire en scène sans en travestir ni trahir la vérité historique, Jean les avait appris à bonne école, auprès des meilleurs écrivains, parmi lesquels il comptait à bon droit ceux que les snobs, les pseudo-intellectuels et les imbéciles appellent « les auteurs populaires ». Longtemps avant que l’on commence à rendre leurs lettres de noblesse à ces genres littéraires jugés inférieurs, Mabire en possédait une connaissance encyclopédique. S’y ajoutait une parfaite maîtrise des classiques, évidemment, des penseurs, des politiques, et de tous ceux qui, depuis deux siècles, dans le grand mouvement des idées, avaient choisi de s’engager et de combattre pour leur terre et leur idéal. Cela au niveau mondial. Vers 1990, il eut l’idée de mettre tout cela à la disposition de ses lecteurs, d’abord chaque semaine, dans sa chronique de National-Hebdo, puis en volumes. Il travaillait aux notices qui composeraient le neuvième quand la mort interrompit cette besogne inlassable. Sous le titre générique Que lire ?, Jean dressait un panorama inégalé, rassemblant notices biographiques, étude critiques, et bibliographies de sept cents écrivains, de Chateaubriand à nos jours, de toutes langues et de tous pays, même si les Français, et, dans une moindre mesure, les Britanniques, les Irlandais, les Italiens, les Allemands, les Flamands et les Scandinaves, se taillaient la part du lion.
Œuvre de référence irremplaçable, prodigieuse, énorme, qui eût tendue à l’exhaustivité si le temps lui avait été accordée, cette somme ne rencontra pas le public qu’elle méritait, injustice stupide qui obligea Jean à errer d’éditeur en éditeur, afin de pouvoir coûte que coûte en poursuivre la publication. La forme de la chronique hebdomadaire n’était sans doute pas la plus propice au travail littéraire et stylistique, mais Mabire savait que l’essentiel n’était pas là. Il le disait : « Ce qui compte, ce n’est pas l’art pour l’art comme l’affirment certains, mais l’influence que les écrivains exercent, même à leur cœur défendant, sur leurs contemporains. L’important, à mes yeux, ce sont les lecteurs tout autant que les auteurs. Il est des livres qui témoignent et des livres qui éveillent. Il est des livres qui sont des armes. Il n’est pas de combat politique sans un projet culturel. […] les bons livres, ce sont sans doute ceux qui font rêver. Mais les meilleurs, ce sont ceux qui font agir. »
Faut-il préciser dans quelle catégorie, toute sa vie, Mabire a travaillé à inscrire ses livres ? De cela, il faudra bien, un jour ou l’autre, que la France lui soit reconnaissante.
Anne BERNET LAction Française 2000 du 18 au 31 mai 2006
* Drieu parmi nous, Irminsul, 185 p., 23 euros (150,87 F).
* Rêve dEurope, Irminsul, 125 p. le volume, prix non communiqué.
* La division Charlemagne, Grancher, 340 p., 22,71 euros (149 F).
* Par -40 ° devant Moscou, Grancher, 395 p., 24 euros (157,43 F).
* Les Panzers de la Garde Noire, Grancher, 320 p., 22,71 euros (149 F).
* L'été rouge de Pékin, Le Rocher, 460 p., 19,90 euros (130,54 F).
* Que lire ? Sept volumes parus, en cours de réédition chez Dualpha, environ 300 p. le volume, prix non communiqué.
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