lundi 1 juillet 2013

Jean-Jacques Rousseau et les origines françaises du fascisme

Dimitri Kitsikis, Jean-Jacques Rousseau et les origines françaises du fascisme, Les Documents de Ars Magna Editions, Ars Magna, 2006
Jean-Jacques Rousseau et les origines françaises du fascisme est un petit opuscule de 42 pages qui se propose d’analyser la pensée de Jean-Jacques Rousseau à la lumière de la grille de lecture mise en place par l’auteur pour les fascismes. Ainsi après quelques considérations d’ordre général sur la pensée grecque, la philosophie, le matérialisme, le progrès et quelques références à la religion orthodoxe (l’auteur est grec) en introduction, s’entame un dialogue entre 13 critères et des éléments de l’œuvre du philosophe genevois.
L’intérêt de ce petit document est donc multiple, puisqu’il nous informe  sur la pensée philosophique,  sur Jean-Jacques Rousseau mais également sur l’idéologie fasciste. Ainsi dès la page 3, l’auteur catégorise trois grandes idéologies : le libéralisme, incarné par Voltaire et correspondant au parti des Girondins pendant la Révolution française, le fascisme, incarné par Rousseau et qui prend forme chez les Robespierristes et enfin le communisme, avec la figure de Gracchus Babeuf. De fait pour l’auteur il n’existe que trois grandes familles politiques et les mouvements « populistes » sont pour lui des mouvements de cette « troisième idéologie » qu’il nomme « le fascisme ». Le fascisme est une idéologie qui puise dans le romantisme, le mysticisme, la recherche d’un paradis perdu et qui s‘oppose au monde moderne, occidental et bourgeois, voltairien, sans pour autant refuser certains éléments de la modernité. Le fascisme serait un « traditionalisme moderniste ».
Ces quelques considérations ont le mérite d’éclairer le débat actuel sur Rousseau (cf. entretiens d’Alain Soral ou le numéro 143 d’Eléments), mais aussi sur Voltaire (voire Marion Sigaut). Dimitri Kitsikis détermine treize thèmes et pour chacun des thèmes, l’auteur donne la « réponse du modèle » puis des éléments de la pensée de Rousseau.
-         Attitude à l’égard du concept de classe et importance donnée à la paysannerie
-         Attitude à l’égard de la propriété privée [petit ou grande], de la circulation de l’argent, du contrôle économique de l’Etat [étatisme] et de la notion de bourgeoisie nationale et d’autarcie [économique].
-         Attitude à l’égard de la nation : réalité subjective ou objective ? et du nationalisme : égalitaire ou chauvin ? La nation par rapport au concept d’Etat.
-         Attitude à l’égard de la démocratie et des partis politiques.
-         Attitude à l’égard du héros politique, c'est-à-dire du chef charismatique.
-         Attitude à l’égard de la tradition.
-         Attitude à l’égard de l’individu et de la société.
-         Attitude à l’égard de la femme.
-         Attitude à l’égard de la religion.
-         Attitude à l’égard des concepts philosophiques de rationalité et d’irrationalité.
-         Attitude à l’égard de l’intellectualisme et de l’élitisme.
-         Attitude à l’égard du concept de tiers monde.
A l’exception du point sur la femme, puisque Rousseau est plutôt mysogine là où les fascismes exaltent le rôle social de la femme, l’auteur trouve des correspondances pour chacun des thèmes, valorisation de la nation, de la petite propriété, de l’égalité sociale, de la démocratie directe, du rôle du chef, ou législateur, de l’antiparlementarisme, du tiers mondisme (l’auteur n’hésite pas d’ailleurs à illustrer de nombreux points de son propos par l’expérience kadhafiste tout au long de l’ouvrage). Il fait également quelques ponts entre anarchisme et fascisme, particulièrement sur l’irrationalité, l’élan vital révolutionnaire, la volonté conduisant aux confins du nihilisme.
rousseau.jpgLa première lecture de cet opuscule m’a totalement enthousiasmée, mais quelques problèmes existent. La lecture se révèle particulièrement frustrante par moment, car nous n’avons pas de traduction de l’ouvrage grec, D. Kitsikis, "Τὸ μοντέλο τῆς τρίτης ἰδεολογίας", pp. 233--253, in Ἡ τρίτη ἰδεολογία καὈρθοδοξία, Athènes, Hestia, 1998, qui précise le modèle mis en place par l’auteur pour l’étude des trois grandes idéologies (libéralisme, fascisme, communisme). Aussi la totalité du propos se développe sur 35 pages, alors que certains points nécessiteraient de longs développements. Il me paraît par exemple hasardeux de proposer un modèle, sans les justifications qui s‘imposent parfois et aussi de résumer la pensée de Rousseau à quelques extraits. L’auteur ouvre ici des perspectives intéressantes, qui nécessiteraient un certain approfondissement. Lorsque nous consultons sa production intellectuelle et sa carrière universitaire, nous pouvons regretter qu’il ne fasse pas plus de publication en français sur l’histoire des idées politiques car Dimitri Kitsikis apparaît tout au long de ces pages comme un esprit étranger à toute compromission intellectuelle…

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