Dimitri Kitsikis, Jean-Jacques Rousseau et les origines françaises du fascisme, Les Documents de Ars Magna Editions, Ars Magna, 2006
Jean-Jacques Rousseau et les origines françaises du fascisme
est un petit opuscule de 42 pages qui se propose d’analyser la pensée
de Jean-Jacques Rousseau à la lumière de la grille de lecture mise en
place par l’auteur pour les fascismes. Ainsi après quelques
considérations d’ordre général sur la pensée grecque, la philosophie, le
matérialisme, le progrès et quelques références à la religion orthodoxe
(l’auteur est grec) en introduction, s’entame un dialogue entre 13
critères et des éléments de l’œuvre du philosophe genevois.
L’intérêt de ce petit document est donc multiple, puisqu’il nous informe sur la pensée philosophique, sur
Jean-Jacques Rousseau mais également sur l’idéologie fasciste. Ainsi
dès la page 3, l’auteur catégorise trois grandes idéologies : le
libéralisme, incarné par Voltaire et correspondant au parti des
Girondins pendant la Révolution française, le fascisme, incarné par
Rousseau et qui prend forme chez les Robespierristes et enfin le
communisme, avec la figure de Gracchus Babeuf. De fait pour l’auteur il
n’existe que trois grandes familles politiques et les mouvements
« populistes » sont pour lui des mouvements de cette « troisième
idéologie » qu’il nomme « le fascisme ». Le fascisme est une idéologie
qui puise dans le romantisme, le mysticisme, la recherche d’un paradis
perdu et qui s‘oppose au monde moderne, occidental et bourgeois,
voltairien, sans pour autant refuser certains éléments de la modernité.
Le fascisme serait un « traditionalisme moderniste ».
Ces quelques
considérations ont le mérite d’éclairer le débat actuel sur Rousseau
(cf. entretiens d’Alain Soral ou le numéro 143 d’Eléments), mais aussi
sur Voltaire (voire Marion Sigaut). Dimitri Kitsikis détermine treize
thèmes et pour chacun des thèmes, l’auteur donne la « réponse du
modèle » puis des éléments de la pensée de Rousseau.
- Attitude à l’égard du concept de classe et importance donnée à la paysannerie
- Attitude
à l’égard de la propriété privée [petit ou grande], de la circulation
de l’argent, du contrôle économique de l’Etat [étatisme] et de la notion
de bourgeoisie nationale et d’autarcie [économique].
- Attitude
à l’égard de la nation : réalité subjective ou objective ? et du
nationalisme : égalitaire ou chauvin ? La nation par rapport au concept
d’Etat.
- Attitude à l’égard de la démocratie et des partis politiques.
- Attitude à l’égard du héros politique, c'est-à-dire du chef charismatique.
- Attitude à l’égard de la tradition.
- Attitude à l’égard de l’individu et de la société.
- Attitude à l’égard de la femme.
- Attitude à l’égard de la religion.
- Attitude à l’égard des concepts philosophiques de rationalité et d’irrationalité.
- Attitude à l’égard de l’intellectualisme et de l’élitisme.
- Attitude à l’égard du concept de tiers monde.
A l’exception du point
sur la femme, puisque Rousseau est plutôt mysogine là où les fascismes
exaltent le rôle social de la femme, l’auteur trouve des correspondances
pour chacun des thèmes, valorisation de la nation, de la petite
propriété, de l’égalité sociale, de la démocratie directe, du rôle du
chef, ou législateur, de l’antiparlementarisme, du tiers mondisme
(l’auteur n’hésite pas d’ailleurs à illustrer de nombreux points de son
propos par l’expérience kadhafiste tout au long de l’ouvrage). Il fait
également quelques ponts entre anarchisme et fascisme, particulièrement
sur l’irrationalité, l’élan vital révolutionnaire, la volonté conduisant
aux confins du nihilisme.
La
première lecture de cet opuscule m’a totalement enthousiasmée, mais
quelques problèmes existent. La lecture se révèle particulièrement
frustrante par moment, car nous n’avons pas de traduction de l’ouvrage
grec, D. Kitsikis, "Τὸ μοντέλο τῆς τρίτης ἰδεολογίας", pp. 233--253, in Ἡ τρίτη ἰδεολογία καὶ ἡ Ὀρθοδοξία, Athènes, Hestia, 1998,
qui précise le modèle mis en place par l’auteur pour l’étude des trois
grandes idéologies (libéralisme, fascisme, communisme). Aussi la
totalité du propos se développe sur 35 pages, alors que certains points
nécessiteraient de longs développements. Il me paraît par exemple
hasardeux de proposer un modèle, sans les justifications qui s‘imposent
parfois et aussi de résumer la pensée de Rousseau à quelques extraits.
L’auteur ouvre ici des perspectives intéressantes, qui nécessiteraient
un certain approfondissement. Lorsque nous consultons sa production
intellectuelle et sa carrière universitaire, nous pouvons regretter
qu’il ne fasse pas plus de publication en français sur l’histoire des
idées politiques car Dimitri Kitsikis apparaît tout au long de ces pages
comme un esprit étranger à toute compromission intellectuelle…
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