[article de Laurent Glauzy en exclusivité pour Contre-info]
La promesse du président américain Barack Obama de fermer d’ici un an
la prison de Guantanamo et de mettre fin à l’usage de la torture dans
les interrogatoires anti-terroristes, pourrait éclabousser la Pologne. Der Spiegel
du 27/4/09 apporte de nouvelles révélations sur une prison secrète
tenue par la CIA dans cet ancien pays satellite de l’union soviétique.
L’incarcération du « cerveau d’Al-Qaïda »
Le 7 mars 2003, 16 heures, le Gulfstream V N379P surnommé
« taxi torture » se pose sur le tarmac de l’aéroport de Szymany, dans le
nord-est de la Pologne, en Mazurie, la région des quatre mille lacs.
L’avion transporte le plus important des prisonniers, Khalid Cheikh
Mohammed, le « cerveau d’Al-Qaïda », l’architecte des attentats du
11 septembre 2001. Arrêté par une unité spéciale américaine le 1er mars
2003 à Rawalpindi dans le Penjab pakistanais, il sera transféré deux
jours plus tard en Afghanistan, avant selon toute vraisemblance d’être
emprisonné en Pologne. Dans des déclarations faites fin 2006 à
Guantanamo à une équipe du comité international de la Croix Rouge, il rapporte : « Mes
yeux étaient bandés. Ils posèrent ensuite une cagoule sur ma tête. (…)
Je m’endormis. (…) C’est pourquoi, je ne sais pas combien de temps ce
voyage a duré ». Jerry M., le pilote de l’avion alors âgé de 56 ans, travaillait pour Aero Contractors, une
entreprise américaine assurant le transport des prisonniers dans le
monde entier pour le compte de la CIA. D’après les plans de vols détenus
par Eurocontrol, organisation européenne pour la sécurité de la
navigation aérienne, Jerry M. a décollé à 8h51 de Kaboul. Quelques
heures seulement après l’atterrissage en Pologne, l’avion repartira à
19h16 pour Washington.
Des agents secrets polonais ont prétendu que la CIA possédait bien
une prison en Mazurie. Des fonctionnaires, des ministères de la défense
et de la justice ont reconnu l’existence de la base secrète américaine
de Stare Kiejkuty, à une heure de route au nord de l’aéroport de
Szymany.
Cette base militaire isolée au milieu d’une épaisse forêt de pinède, bordée d’un lac et accessible par une route défoncée, était surtout connue pour être un des centres de formation des agents des services de renseignement militaire polonais, le WSI. La CIA y aurait interrogé des « High Value Detainees » (des « détenus de grande importance »). De février à juillet 2003, le Gulfstream V N379P aurait atterri au moins cinq fois à Szymany et les journaux de vols auraient été falsifiés avec l’autorisation d’Eurocontrol et du gouvernement polonais. A Varsovie, le procureur de la république a entendu un témoin attestant qu’à Szymany des personnes menottées, les yeux bandés, sortaient du même avion civil, assez loin de la tour de contrôle. Si on en croit le récit de Khalid Cheikh Mohammed, les personnes présentes à l’atterrissage étaient masquées : « Le transfert de l’aéroport au lieu d’internement dura environ une heure. On m’a assis sur le sol d’un véhicule qui m’a amené quelque part. A un certain moment, j’ai seulement pu voir de la neige par terre. Tout le monde autour de moi était vêtu en noir, portait des masques et des chaussures militaires. On aurait dit des habitants de la planètes X ».
Cette base militaire isolée au milieu d’une épaisse forêt de pinède, bordée d’un lac et accessible par une route défoncée, était surtout connue pour être un des centres de formation des agents des services de renseignement militaire polonais, le WSI. La CIA y aurait interrogé des « High Value Detainees » (des « détenus de grande importance »). De février à juillet 2003, le Gulfstream V N379P aurait atterri au moins cinq fois à Szymany et les journaux de vols auraient été falsifiés avec l’autorisation d’Eurocontrol et du gouvernement polonais. A Varsovie, le procureur de la république a entendu un témoin attestant qu’à Szymany des personnes menottées, les yeux bandés, sortaient du même avion civil, assez loin de la tour de contrôle. Si on en croit le récit de Khalid Cheikh Mohammed, les personnes présentes à l’atterrissage étaient masquées : « Le transfert de l’aéroport au lieu d’internement dura environ une heure. On m’a assis sur le sol d’un véhicule qui m’a amené quelque part. A un certain moment, j’ai seulement pu voir de la neige par terre. Tout le monde autour de moi était vêtu en noir, portait des masques et des chaussures militaires. On aurait dit des habitants de la planètes X ».
Khalid Cheikh Mohammed dit qu’on lui a arraché ses vêtements, qu’on
l’a photographié nu et enfermé dans une cellule de 3 x 4 m dont les murs
étaient en bois. Une des personnes chargées des interrogatoires lui
aurait confié qu’ils avaient reçu le « feu vert » de Washington pour lui
préparer un « très mauvais moment » : « Ils n’ont jamais
employé le mot de torture. Ils parlaient uniquement d’un dur moment (« a
hard time »). On disait qu’on voulait m’emmener au seuil de la mort et
que l’on me récupèrerait à temps ». Le « cerveau d’Al-Qaïda » sera
interrogé huit heures par jour. Le premier mois, il était attaché jour
et nuit, nu, debout, les mains enchaînées au plafond de sa cellule.
Khalid Cheikh Mohammed pensait bien être en Pologne : « Je crois que
c’était la Pologne. Sur une bouteille d’eau qu’on apporta, sur
l’étiquette à moitié déchirée on pouvait lire une partie de l’adresse
mail terminée par « pl ». Le système de chauffage était démodé, comme on
en voit seulement dans l’ancien système communiste ».
Les services secrets polonais et la CIA
Robert Majewski, le procureur de Varsovie enquête depuis plus d’une
année sur les abus administratifs et la corruption du gouvernement de
Leszek Miller qui dirigea le pays de 2001 à 2004. Il était considéré
comme l’artisan de l’adhésion à l’Union européenne. Le procureur voulait
savoir si le président Aleksander Kwaśniewski et son premier-ministre
social-démocrate avaient mis à la disposition de la CIA une partie du
camp militaire de Stare Kiejkuty. R. Majewski a interrogé des témoins
ayant collaboré à l’ancien gouvernement. Wolfgang Kaleck du Centre
européen pour le droit constitutionnel et les droits de l’homme à Berlin
soutient ces investigations : « Aucun pays européens ne s’est
investi avec autant de sérieux contre d’anciens membres du gouvernement
comme c’est le cas en Pologne ». Le ministère public examine si les
services secrets polonais ont mis vingt de leurs agents à la disposition
de la CIA, comme l’expose le journal conservateur Rzeczpospolita.
Selon un ancien membre de la CIA, il existerait un document émanant des
services de renseignements prouvant bien que vingt agents du WSI ont
travaillé pour les Américains sur la base militaire de Stare Kiejkuty.
Fin 2005, deux responsables de la commission d’enquête parlementaire à
Varsovie auraient pris connaissance de ce dossier.
Mariusz Kowalewski, journaliste de Rzeczpospolita et deux de
ses collègues cherchent à prouver l’existence d’une base secrète
utilisée par la CIA en Pologne. Dans des registres de vols déclarés
disparus, ils ont relevé plusieurs décollages à partir de Szymany, des
récépissés sur les pleins en kérosène, la trajectoire des vols avec les
changements de cap. Kowalewski possède une documentation
particulièrement dense étayant la présence d’une base prêtée à la CIA
dans la région de Mazurie et dans laquelle des prisonniers d’Al-Qaïda
auraient été interrogés. Un des dossiers serait constitué par des
déclarations concernant l’Américain Deuce Martinez, un officier chargé
des interrogatoires « sans torture ». Un rapport sur les
« déportations » de prisonniers d’Al-Qaïda en Europe a été présenté il y
a deux ans au chargé d’enquête du conseil européen Dick Marty,
d’origine suisse, qui aboutit aux mêmes conclusions : des agents du WSI
auraient été employés dans la police des frontières et dans
l’administration de l’aéroport pour assurer les missions de la CIA. « Les
dernières découvertes faites en Pologne confirment complètement mes
conclusions qui s’appuient sur des déclarations et des documents », avance D. Marty. Reste à savoir qui en Pologne a autorisé une telle coopération. « Les ordres venaient des plus hautes sphères de l’Etat, du président », affirme en 2007 un membre des services secrets militaires de l’équipe de D. Marty. Le président A. Kwaśniewski dément : « Il
y a eu effectivement une coopération étroite entre les services secrets
polonais et les Etats-Unis, mais il n’y eut aucune prison sur le sol
polonais ». Quant à l’ancien premier-ministre, il déclare n’avoir « rien à dire ».
Cette gêne pourrait contaminer d’autres pays européens. Selon un
rapport de D. Marty publié en juin 2006, quatorze nations auraient caché
un système de « sous-traitance » de la torture au profit de la CIA.
L’Allemagne par exemple a donné aux Etats-Unis l’autorisation de survol
du territoire. Dans l’affaire de Khalid el-Masri, notre voisin
d’outre-Rhin refusa d’extrader treize agents de la CIA.
De nationalité allemande et de parents libanais, en décembre 2003,
Khalid el-Masri passe ses vacances avec sa famille en Macédoine, quand
la CIA l’arrête par erreur : son nom est presque identique à celui de
Khalid al-Masri, membre d’Al-Qaïda. Déclarant avoir subi des sévices
sexuels, avoir été drogué, interrogé, séquestré en Irak et en
Afghanistan, il sera libéré en pleine nuit en mai 2004 sur une route en
Albanie. Egalement en 2003, les services secrets italiens ont assisté la
CIA dans l’enlèvement de l’Imam Abou Omar à Milan. Accusé de terrorisme
et d’activisme au sein du mouvement islamiste armé Jamaa Islamiya
(groupe islamiste), il aurait été torturé en Egypte. Le M16, les
services secrets britanniques ont livré au Maroc pour la CIA du matériel
servant aux interrogatoires.
Des prisons spéciales auraient aussi existé en Roumanie.
Cette actualité fort troublante appuyant l’omniprésence des
Etats-Unis dans un jeu diplomatique occulte et tortionnaire, met en
exergue les desseins visionnaires de l’écrivain roumain Virgil
Gheorghiu. Dans De la 25e heure à l’heure éternelle (1965),
il dépeint une époque où des forces armées internationales composées de
soldats parlant anglais terrasseront et déporteront les populations.
Laurent Glauzy http://www.contre-info.com
Extrait de l’Atlas de Géopolitique révisée (Tome I)
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