vendredi 28 juin 2013

Alors l'histoire, vous imaginez...

Un bien triste constat effectué dans le cadre d'un article du Figaro (1) en date du 26 juin 2013 quant à l'effondrement du niveau des élèves des collèges et lycée en histoire-géographie. Le fait me touche d'autant plus que très jeune, ce fut pour moi la discipline de prédilection, avant de m'orienter par la suite, vers les sciences pures. Je n'ai jamais par la suite abandonné mon premier coup de cœur, continuant de m'instruire, surtout, tout au moins à l'origine, en histoire.

Discipline quelque peu bâtarde au motif que les étudiants en histoire apprécient rarement la géographie et réciproquement, elle n'en est pas moins essentielle à la compréhension du monde, qu'il soit présent, passé ou futur. Contrairement à Nietzsche, je ne considère pas que «l'homme de l'avenir est celui qui aura la plus grande mémoire». Les écrits du penseur suisse sont souvent motif à contresens, probablement parce que beaucoup de ses lecteurs n'ont pas de formation solide en philosophie. N'oublions pas que pour Nietzsche, la mémoire est un défaut, au motif que c'est une chaîne qui paralyse le Volonté – Wille en allemand, comprendre pulsion - au sens philosophique du terme. Comme aux yeux de Nietzsche, l'homme de l'avenir sera représentatif de la catastrophe qu'il avait prévue, l'expression est nécessairement péjorative.

Ce qui fait mon désaccord total avec Nietzsche, outre le fait que je sois schopenhaurien – un Nietzsche « renversé » - , c'est que je considère que l'apologie de la pulsion n'est pas à célébrer. Après tout, le monde contemporain que nous appelons Système, joue aussi principalement sur cet état d'esprit et le favorise. Compte tenu de ce qu'est la nature humaine, que l'on connaît davantage l'âge aidant ou suite à la lecture des moralistes, je pense qu'il vaut mieux tempérer l'homme que de le célébrer. Ainsi que l'écrivait Cioran, « l'homme secrète du désastre. » et la connaissance de l'histoire nous le fait savoir.

Il est des disciplines intellectuelles qui reposent sur l'apprentissage par cœur. Si ce n'est pas souvent le cas en sciences où les documents, cours et exercices, sont fréquemment acceptés durant les épreuves, le fait advient dans des disciplines comme médecine, droit ou histoire dont le fondement repose sur les capacités mémorielles. Bien sur, l'apprentissage par cœur est, que cela soit pour connaître la table de multiplication ou les dates en histoire, «prise de tête», pour reprendre une expression contemporaine. D'où le fait qu'aujourd'hui la plupart des élèves de terminale ne connaissent pas leur table de multiplication par cœur, y compris ceux qui suivent des études menant à un baccalauréat scientifique, alors que je la connaissais à l'âge de 11 ans.

Je me méfie beaucoup, et je crois à juste raison, des interprétations générationnelles de l'histoire. On évoque assez souvent celle de 68, comme si ses membres étaient responsables de leur état d'esprit. Ce n'est pas du tout le cas au même titre que ceux qui ont moins de 45 ans n'ont nullement décidé d'être libéraux dans l' âme: prétendre le contraire, ce serait postuler l'apparition de générations successives spontanées, disposant chacune d'un patrimoine génétique spécifique, les conduisant à telle ou telle prise de position. Objectivement, les hommes sont formatés par l'environnement qu'ils vivent et ne font que réagir aux stimuli qui leur sont imposé. Si les hommes tinrent durant quatre ans dans les tranchées, ce n'est pas parce qu'ils étaient plus courageux qu'on ne l'est maintenant: c'est simplement parce que leur existence avant le déclenchement du conflit, était autrement plus rude que celle que nous vivons aujourd'hui. Il y a fort à parier que si les conditions de cette guerre venaient à être imposées à nos contemporains, le front ne tiendrait plus.

Voilà qui me permet d'affirmer que les jeunes ne sont nullement responsables de ce que l'on pourrait appeler leur bêtise. Les enseignants non plus. Ce sont les décideurs qui portent la responsabilité de la catastrophe réelle dans le domaine de l'éducation nationale. En aucun cas, les enfants ou les enseignants n'ont décidé de la lecture globale ou syllabique, pas plus que de méconnaître les primitives. La télévision que j'ai connue, ne fonctionnant que de 11h à 24 h, n'est plus. Elle fonctionne désormais en permanence et bien souvent, l'enfant y est placé devant, presque dès son réveil, les adultes étant tranquilles durant ce temps. Les programmes tôt le matin sont d'ailleurs destinés aux jeunes et étudiés pour que ça leur plaise. On comprendra ainsi que l'enfant, arraché de l'écran pour aller suivre ses cours, s'y rend forcément contre son gré puisque l'émission télé le passionne. Voilà qui, avant même le début des cours, pénalise l'enseignant...

La civilisation (?) dans laquelle nous vivons, parce qu'elle est imprégnée par le positivisme comtien (2), célèbre les sciences considérées, à juste raison au demeurant, comme utiles et efficaces. Souvenons nous par exemple de l'abandon progressif de l'apprentissage du grec puis du latin, probablement parce qu'il ne « sert à rien ». Fatalement, le français et l'histoire – la prochaine catastrophe va peut être toucher l'enseignement de la philosophie en terminale, devenant becquée de «moraline» (3) - devaient être les cibles suivantes. Ce n'est certes pas moi qui ai décidé, qu'orthographe, grammaire et conjugaison ne devaient plus compter et j'ai le souvenir qu'en terminale, la grande majorité des élèves de ma – bonne – classe faisaient déjà beaucoup d'erreurs en la matière. C'était voici plus de trente ans et la situation, déjà grave à l'époque, ne s'est pas améliorée. Décision majeure et essentielle que d'avoir postulé l'entrée au collège, puis une vingtaine d'années plus tard en lycée, pour presque tous les jeunes, mais il eut fallu donner à chacun la possibilité d'une réelle réussite, passant par l'octroi d'un budget majeur au ministère de l'éducation nationale. Proclamant la volonté d'amener 80% d'une classe d'âge au niveau du baccalauréat, on a fait l'inverse, faute de moyens financiers: c'est ainsi qu'on a amené le baccalauréat au niveau de 80% des individus... Depuis, l'écran a joué en plus, son rôle dévastateur. Outre le cinéma, ce fut par la suite la télévision, puis l'ordinateur et le téléphone portable utilisant les très fameux sms, catastrophiques pour l'apprentissage de la langue française. Bien des personnes considèrent que les règles du français ne servent à rien, considérant qu'il faudrait presque en arriver à une écriture phonétique. Pourtant, toute personne intéressée par la neurologie sait très bien que ces règles sont essentielles dans la mesure où elles structurent le raisonnement.

Donc paradoxalement, l'étude sérieuse du français, « sert ».

Autre problème majeur, la distinction entre matières premières et secondaires dont l'histoire-géographie est l'une des principales victimes. Les jeunes comprennent très tôt que les mathématiques sont elles, sérieuses, ce qui pénalise alors bien d'autres disciplines.

Le positivisme comtien, que chacun ou presque méconnaît, a cependant imprégné les têtes. A quoi bon dans ces conditions étudier l'histoire puisque c'est du passé ? A quoi bon distinguer accents circonflexe, grave et aigu puisque tout le monde comprend ? Cette attitude positiviste détruit totalement l'idée de civilisation et de raffinement. Au motif de l'efficacité, on formate les individus – c'est à dessin que je n'ai pas utilisé le terme de « personnes » - de telle façon qu'ils ne soient «qu'another brick in the wall». (4) Je ne sais si l'on apprend toujours aujourd'hui ce qu'est la littérature à l'eau de rose dont la collection Harlequin est une des plus célèbres mais je crains que la leçon n'ait pas été assimilé: qu'est ce que le film «Titanic» (5) si ce n'est un film à l'eau de rose ? Et l'on ne fera pas accroire que les salles bondées, ne l'étaient que par le sous-prolétariat. En ce sens, la plupart des Français n'ont absolument pas compris ou plus exactement assimilé le savoir qui, par les enseignants, leur furent transmis. Et le sociologue Renaud Camus de ne pas se tromper en écrivant que « les riches sont des pauvres qui ont davantage d'argent » : rien ne distingue vraiment un cadre d'un ouvrier parce qu'on forme désormais des « hommes unidimensionnels », ce au point que certaines entreprises ont décidé que les nouveaux cadres recrutés à niveau bac+5, devaient commencer par suivre un séminaire d'orthographe et de grammaire au motif de leur ignorance.

Alors l'histoire, vous imaginez...
Alain Rebours http://www.voxnr.com
Notes :
1) http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2013/06/26/01016-20130626ARTFIG00449-college-le-niveau-des-eleves-s-effondre-en-histoire-geographie.php
(2) Auguste Comte (1798,1857).
(3) expression nietzschéenne.
(4) Pink Floyd. Ils n'ont pourtant pas compris du tout ce que devait être l'enseignement et sont imprégnés par la postmodernité. Néanmoins le constat du formatage de briques, plus ou moins interchangeables à destination du mur, est juste.
(5) Presque un phénomène de société que le film Titanic avec quasi unanimité quant à sa valeur: un signe du déclin.

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