Bien
loin de la France et de l’Algérie Française, berceau de la Légion
Étrangère, un conflit se déroulait au Mexique. Ce pays avait acquis son
indépendance en 1821, après onze ans de guerre contre l’Espagne.
À
partir de cette date, il était ravagé par une guerre civile où
s’opposaient le parti conservateur et religieux (catholique) de Félix
Zuloaga et le parti libéral anticlérical de Bénito Juarez qui rêvait
d’une république fédérative à l’image des États-Unis.
Le
premier installa son gouvernement à Mexico, le second à Vera Cruz.
Après sa reconnaissance par les États-Unis (6 avril 1859) et sa victoire
de Calpulalpam, Juarez contrôlait l’intégralité du pays à la fin de
l’année 1860.¢
Cette
période de troubles ayant épuisé les finances du pays, il décida de
confisquer les biens de l’Église et de suspendre le paiement de la dette
extérieure. À cela s’ajoutait le fait que durant cette guerre civile,
les ressortissants des pays occidentaux avaient été dépouillés de leurs
biens et même massacrés. Santa-Anna, l’un des chefs de parti, entama,
dès 1854, des négociations avec plusieurs familles régentes européennes
pour obtenir qu’un de leurs membres acceptât de devenir empereur du
Mexique.
En
1861, l’archiduc d’Autriche Ferdinand Joseph Maximilien, accepta de
porter la couronne impériale mexicaine après avoir reçu de Napoléon III
l’assurance qu’il l’aiderait à établir et protéger la monarchie du
Mexique. En outre, Benito Juarez, président du Mexique, décida, à la fin
des années 1850, de supprimer pendant deux ans le paiement de la dette
due aux nations étrangères. Ainsi, la France, l’Angleterre et l’Espagne
conclurent une convention, le 31 décembre 1861, à Londres, par laquelle
elles s’engageaient à envoyer des corps expéditionnaires au Mexique.
« Eugénie, les larmes aux yeux,
Nous venons te dire Adieu… »
Chant Légion
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Napoléon
III, malmené par une opposition politique active, saisit cette
opportunité pour entreprendre une nouvelle aventure extérieure, propre à
affermir un pouvoir vacillant. Et ce fut le Mexique où le poussaient
aussi les amitiés de l’impératrice Eugénie et l’envie d’établir une
grande monarchie catholique et latine pour faire contrepoids aux
États-Unis protestants et anglo-saxons. C’est ainsi que l’empereur forma
le projet de renverser le président mexicain afin de réaliser son
ambition.
Le
13 janvier 1862, les troupes alliées constituées de 700 royal
marines britanniques, 6000 Espagnols et 2500 Français débarquèrent à
Vera Cruz. Cependant, la plupart de ces hommes furent aussitôt frappés
par la fièvre jaune. Dans ces conditions, il était impossible
d’entreprendre quoi que ce soit…
Lors
des négociations qui s’ouvrirent sur le règlement de la dette, la
France maintint sa demande de recouvrement, alors que les deux autres
pays avaient compris que cela ne servait à rien. La réunion d’Orizaba du
9 avril 1862 se solda par un échec. Les troupes anglaises et espagnoles
rembarquèrent aussitôt… tandis que 4000 soldats français
supplémentaires arrivèrent sous le commandement du général de Lorencez.
Le lendemain, le commandement français déclarait les hostilités
ouvertes, officiellement en raison des déprédations causées par les
troupes juaristes.
Les
troupes françaises enlisées dans un pays hostile s’essoufflaient. La
Légion n’avait pas été retenue pour participer à l’expédition. Ses
officiers adressèrent à l’empereur une pétition pour solliciter son
engagement. Si cette violation de la voie hiérarchique leur causa
quelques désagréments, elle porta néanmoins ses fruits. Le 19 janvier
1863, ordre fut donné à la Légion stationnée en Algérie, de mettre sur
pied deux bataillons.
En
février 1863, ils s’embarquèrent à Oran après avoir défilé pour la
première fois au rythme d’un hymne qui fera le tour du monde, « le Boudin »,
la célèbre marche officielle de la Légion étrangère, écrite par
Guillaume-Louis Bocquillon, dit Wilhem. Ils débarquèrent au Mexique le
28 mars 1863.
L’armée française assiégeait Puebla.
La légion avait pour mission d’assurer, sur cent-vingt kilomètres, la
circulation et la sécurité des convois. Le colonel Jeanningros,
commandant le Régiment Étranger, apprit, le 29 avril 1863, qu’un gros
convoi emportant trois millions en numéraire, du matériel de siège et
des munitions était en route pour Puebla. Le capitaine Danjou, son
adjudant-major, le décida à envoyer au-devant du convoi une compagnie.
La 3ème Compagnie du 1er Bataillon du Régiment
Étranger fut désigné mais elle n’avait pas d’officier disponible. Le
capitaine Danjou en prit lui-même le commandement et les
sous-lieutenants Maudet, porte-drapeau, et Vilain, payeur, se joignirent
à lui volontairement.
Le
30 avril, à 1 heure du matin, l’unité, forte de trois officiers et
soixante-deux hommes, se mit en route. Elle avait parcouru environ vingt
kilomètres, quand, à 7 heures du matin, elle s’arrêta à Palo Verde pour
faire le café. À ce moment, l’ennemi se dévoila et le combat s’engagea
aussitôt. Le capitaine Danjou fit former le carré et, tout en battant en
retraite, repoussa victorieusement plusieurs charges de cavalerie, en
infligeant à l’ennemi des premières pertes sévères.
Arrivé
à la hauteur de l’auberge de Camerone, vaste bâtisse comportant une
cour entourée d’un mur de trois mètres de haut, il décida de s’y
retrancher pour fixer l’ennemi et retarder ainsi le plus possible le
moment où celui-ci pourrait attaquer le convoi.
Pendant
que les hommes organisaient à la hâte la défense de cette auberge, un
officier mexicain, faisant valoir la grosse supériorité du nombre, somma
le capitaine Danjou de se rendre. Celui-ci fit répondre : « Nous avons
des cartouches et nous ne nous rendrons pas ». Puis, levant la main, il
jura de se défendre jusqu’à la mort et fit prêter à ses hommes le même
serment. Il était 10 heures. Jusqu’à 6 heures du soir, ces soixante
hommes, qui n’avaient pas mangé ni bu depuis la veille, malgré l’extrême
chaleur, la faim, la soif, résistèrent à deux mille mexicains :
Huit-cents cavaliers, mille deux-cents fantassins.
À
midi, le capitaine Danjou fut tué d’une balle en pleine poitrine. À 2
heures, le sous-lieutenant Vilain tomba, frappé d’une balle au front. À
ce moment, le colonel mexicain réussit à mettre le feu à l’auberge.
Malgré
la chaleur et la fumée qui venaient augmenter leurs souffrances, les
légionnaires tinrent bon, mais beaucoup d’entre eux furent frappés. À 5
heures, autour du sous-lieutenant Maudet, ne restaient que douze hommes
en état de combattre. À ce moment, le colonel mexicain rassembla ses
hommes et leur dit de quelle honte ils allaient se couvrir s’ils
n’arrivaient pas à abattre cette poignée de braves (un légionnaire qui
comprenait l’espagnol traduisait au fur et à mesure ses paroles). Les
mexicains allaient donner l’assaut général par les brèches qu’ils
avaient réussi à ouvrir, mais auparavant, le colonel Milan adressa
encore une sommation au sous-lieutenant Maudet ; celui-ci la repoussa
avec mépris.
L’assaut
final fut donné. Bientôt il ne resta autour de Maudet que cinq hommes :
le caporal Maine, les légionnaires Catteau, Wensel, Constantin,
Léonhard. Chacun gardait encore une cartouche ; ils avaient la
baïonnette au canon et, réfugiés dans un coin de la cour, le dos au mur,
ils faisaient face. À un signal, ils déchargèrent leurs fusils à bout
portant sur l’ennemi et se précipitèrent sur lui à la baïonnette. Le
sous-lieutenant Maudet et deux légionnaires tombèrent, frappés à
mort. Maine et ses deux camarades allaient être massacrés quand un
officier mexicain se précipita sur eux et les sauva. Il leur cria :
- « Rendez-vous ! »
- « Nous
nous rendrons si vous nous promettez de relever et de soigner nos
blessés et si vous nous laissez nos armes ». Leurs baïonnettes restaient
menaçantes.
- « On ne refuse rien à des hommes comme vous ! » répondit l’officier.
Les
soixante hommes du capitaine Danjou avaient tenu jusqu’au bout leur
serment. Pendant 11 heures, ils avaient résisté à deux mille ennemis, en
avaient tué trois-cents et blessé autant. Ils avaient, par leur
sacrifice, en sauvant le convoi, rempli la mission qui leur avait été
confiée.
Après
l’héroïque sacrifice de la Légion Étrangère à Camerone, l’Armée
Française enleva Puebla, le 17 mai, et entra à Mexico le 7 juin 1863. Le
mois suivant, une junte conservatrice vota l’établissement d’un empire
mexicain et légua la couronne à Maximilien qui ne l’accepta qu’après
avoir obtenu de Napoléon III l’assurance d’un soutien prolongé de
l’Armée Française.
Dès
la fin de la guerre de Sécession (avril 1865), les États-Unis, qui
n’avaient pas reconnu Maximillien, se montrèrent résolus à imposer au
Mexique le respect de la doctrine de Monroe, Président des E.U de 1817 à
1825, qui consistait à repousser toute intervention européenne dans les
affaires de l’Amérique et de l’Amérique dans les affaires européennes.
Ne
voulant pas courir le risque d’un conflit avec les Américains, dès le
mois de janvier 1866, Napoléon III entama, au mépris des engagements
qu’il avait pris à l’égard de Maximilien, un retrait progressif du corps
expéditionnaire français affaibli par la fatigue, la fièvre jaune et
les désertions.
Ce
mouvement fut accéléré par l’aggravation des tensions en Europe,
provoquée par l’affrontement entre la Prusse et l’Autriche. Les
dernières troupes françaises quittèrent le Mexique en mars 1867.
L’armée
impériale mexicaine, pourtant forte de près de 30 000 hommes ne put
alors empêcher la victoire des troupes juaristes en quelques semaines.
L’empereur Maximilien refusa d’abdiquer et se réfugia à Querétaro. Trahi
par ses propres hommes, il fut capturé le 14 mai 1867 et exécuté le 19
juin. Juarez retrouva un poste de président qu’il garda jusqu’à sa mort
en 1872.
L’échec de l’expédition du Mexique altéra gravement le prestige du second Empire. Cependant, Napoléon III décida que le nom de Camerone serait
inscrit sur le drapeau du Régiment Étranger et que, de plus, les noms
de Danjou, Vilain et Maudet seraient gravés en lettres d’or sur les murs
des Invalides à Paris. En outre, un monument fut élevé en 1892 sur
l’emplacement du combat. Il porte l’inscription :
Ils furent ici moins de soixante
Opposés à toute une armée,
Sa masse les écrasa.
La vie plutôt que le courage
Abandonna ces Soldats Français
Le 30 avril 1863.
À leur mémoire la Patrie éleva ce monument.
Depuis, lorsque les troupes mexicaines passent devant le monument, elles présentent les armes.
Des
combats comme celui de Camerone, la Légion étrangère en livra des
centaines. Celui-là prit une valeur dramatique en raison de la
disproportion des forces et de la fin tragique des défenseurs qui
choisirent de respecter jusqu’au bout le serment fait à leur chef de ne
jamais se rendre et de résister jusqu’à la mort.¢
José CASTANO
Contact E-mail : joseph.castano0508@orange.fr
La main du Capitaine Danjou conservée au Musée de la Légion |
« Nous sommes ces soldats qui grognaient par le monde
Mais qui marchaient toujours et n’ont jamais plié…
Nous sommes cette église et ce faisceau lié
Nous sommes cette race éternelle et profonde…
Nos fidélités sont des citadelles »
(Charles Péguy)
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