Le Figaro Magazine - 14/02/2013
Marin et médecin, explorateur et savant, découvreur de l’Antarctique, Jean-Baptiste Charcot, disparu en mer en 1936, fut une authentique légende vivante.
C’était au début de l’autre siècle. À l’issue des grandes explorations, la Terre ne recelait plus aucune contrée inconnue, à part l’Amazonie et les régions polaires. S’il appartiendra au Norvégien Amundsen, coiffant sur le poteau l’Anglais Scott, en 1911, de vaincre le pôle Sud, un Français attachera son nom à la découverte de cet univers voué au froid, à la glace et au blizzard : Jean-Baptiste Charcot.
L’homme n’était pas un ingrat. Il devait beaucoup à son père, le Dr Jean-Martin Charcot, célèbre médecin aliéniste. Il devait également beaucoup à son pays, la France ayant soutenu sa vocation scientifique, et aux donateurs étrangers qui l’avaient aidé. En 1906, rédigeant le récit de la première expédition française au pôle Sud, Charcot soulignait ceci : « Si la liste n’en était trop longue, je voudrais pouvoir remercier ici nominalement tous ceux qui, tant en France qu’à l’étranger (…), ont permis à un “fils à papa” de se rendre utile et de faire son devoir. À ceux qui liront ces lignes, je puis assurer que la reconnaissance est un sentiment qui ne m’effraie pas. »
La réédition des textes où Charcot relatait ses campagnes dans l’Antarctique * est l’occasion de rendre hommage à cette figure admirable, grand marin et grand savant, patriote et homme d’honneur.
Né à Neuilly-sur-Seine en 1867, Jean-Baptiste Charcot est élève à l’Ecole alsacienne. Très tôt, il se signale par son goût pour le sport : boxe, rugby (il sera champion de France en 1896), escrime et déjà la voile qu’il pratique l’été à Ouistreham. Très jeune également, il manifeste sa fascination pour l’exotisme en publiant dans un illustré les aventures d’un trois-mâts en Patagonie. Il voudrait être marin mais, répondant au vœu de ses parents, entreprend des études de médecine. Il voyage avec son père en Europe du Nord et en Scandinavie, ainsi qu’en Espagne et au Maroc, mais il conservera la phobie des pays chauds. En 1888, c’est en qualité de médecin auxiliaire qu’il effectue son service militaire dans les chasseurs alpins. Interne des hôpitaux en 1891, il entre à la Salpêtrière puis, en 1895, docteur en médecine, à l’hôpital Saint-Antoine.
En 1892, il achète son premier bateau, un sloop de 8 mètres. L’année suivante, alors que son père vient de mourir, il se fait construire un cotre de 20 mètres et le baptise Pourquoi Pas ? Ce sera le nom de quatre navires successifs de Jean-Baptiste Charcot.
Médaillé aux Jeux olympiques de 1900
En 1896, il épouse Jeanne Hugo, la petite-fille de l’écrivain, divorcée de Léon Daudet, son camarade de l’Ecole de médecine. Charcot revend le Pourquoi Pas ?, en fait construire un deuxième, puis un troisième avec lequel, en 1897, il remonte le Nil en compagnie du milliardaire américain Vanderbilt. En 1900, aux Jeux olympiques de Paris, il est double médaillé d’argent dans l’épreuve de voile. Ayant encore changé de navire, il effectue une série de croisières scientifiques dans les Shetland, aux Hébrides, aux îles Féroé, et franchit pour la première fois le cercle polaire arctique en 1902.
Entre 1903 et 1910, sur ses deux nouveaux bâtiments, Le Français , un trois-mâts goélette de 32 mètres, et le Pourquoi pas ? IV, un bateau d’exploration polaire de 40 mètres gréé en trois-mâts et équipé d’une machine auxiliaire à vapeur, il effectue plusieurs missions dans l’Antarctique. Il en revient avec une moisson impressionnante, ayant reconnu des milliers de kilomètres de côtes, établi des cartes et effectué des relevés dans des domaines scientifiques multiples : météorologie, magnétisme, glaciologie, zoologie, etc.
Après avoir divorcé de Jeanne Hugo, Charcot se remarie, en 1907, avec Marguerite Cléry, un peintre qui l’accompagnera dorénavant dans ses voyages. Depuis 1902, il est médecin de réserve de la Marine. Lorsque éclate la Grande Guerre, il est mobilisé et affecté à l’hôpital maritime de Cherbourg. En 1915, l’Amirauté britannique lui confie toutefois le commandement d’un baleinier armé par un équipage franco-anglais et chargé de surveiller les îles Féroé, que l’on soupçonne de servir de bases aux sous-marins ennemis. De 1916 à 1918, il croise le long des côtes bretonnes et normandes, au service de la Marine française, cette fois, sur des cargos banalisés, eux aussi chargés de la chasse aux sous-marins allemands. Charcot termine le conflit avec une décoration britannique, la croix de guerre française et une citation à l’ordre de la Marine.
La paix revenue, le Pourquoi Pas ? est définitivement transformé en navire de recherche scientifique, et affecté à des missions en Atlantique Nord, dans la Manche et en Méditerranée. Charcot est nommé capitaine de frégate en 1923 mais, deux ans plus tard, atteint par la limite d’âge, il perd son commandement. Il reste néanmoins à bord en tant que chef de mission.
Des obsèques nationales à Notre-Dame de Paris
Membre de l’Académie des sciences, de l’Académie de marine et de l’Académie de médecine, le « commandant Charcot », alors au sommet de sa gloire, est une sorte de légende vivante qui fait la liaison entre les milieux scientifiques et le monde de la mer, dans lequel l’élément militaire reste prédominant à l’époque.
Le 16 septembre 1936, de retour du Groenland où il est allé livrer du matériel au jeune Paul-Emile Victor, le Pourquoi pas ? est pris dans une effroyable tempête au large de l’Islande. Charcot, qui navigue depuis plus de cinquante ans, comprend que cette fois sera la dernière : son navire se fracasse sur les récifs d’Alftanes, laissant 23 morts, 17 disparus et un survivant. Le 12 octobre suivant, les dépouilles retrouvées ont droit à d’émouvantes funérailles nationales à Notre-Dame de Paris. À l’issue de la cérémonie, Jean-Baptiste Charcot est enterré au cimetière Montmartre. C’est là, sur les hauteurs de la capitale, que repose le dernier explorateur français. ¡
Jean Sévillia http://www.jeansevillia.com
* Le Français au pôle Sud & Le Pourquoi Pas ? dans l’Antarctique , de Jean-Baptiste Charcot, Arthaud.
Marin et médecin, explorateur et savant, découvreur de l’Antarctique, Jean-Baptiste Charcot, disparu en mer en 1936, fut une authentique légende vivante.
C’était au début de l’autre siècle. À l’issue des grandes explorations, la Terre ne recelait plus aucune contrée inconnue, à part l’Amazonie et les régions polaires. S’il appartiendra au Norvégien Amundsen, coiffant sur le poteau l’Anglais Scott, en 1911, de vaincre le pôle Sud, un Français attachera son nom à la découverte de cet univers voué au froid, à la glace et au blizzard : Jean-Baptiste Charcot.
L’homme n’était pas un ingrat. Il devait beaucoup à son père, le Dr Jean-Martin Charcot, célèbre médecin aliéniste. Il devait également beaucoup à son pays, la France ayant soutenu sa vocation scientifique, et aux donateurs étrangers qui l’avaient aidé. En 1906, rédigeant le récit de la première expédition française au pôle Sud, Charcot soulignait ceci : « Si la liste n’en était trop longue, je voudrais pouvoir remercier ici nominalement tous ceux qui, tant en France qu’à l’étranger (…), ont permis à un “fils à papa” de se rendre utile et de faire son devoir. À ceux qui liront ces lignes, je puis assurer que la reconnaissance est un sentiment qui ne m’effraie pas. »
La réédition des textes où Charcot relatait ses campagnes dans l’Antarctique * est l’occasion de rendre hommage à cette figure admirable, grand marin et grand savant, patriote et homme d’honneur.
Né à Neuilly-sur-Seine en 1867, Jean-Baptiste Charcot est élève à l’Ecole alsacienne. Très tôt, il se signale par son goût pour le sport : boxe, rugby (il sera champion de France en 1896), escrime et déjà la voile qu’il pratique l’été à Ouistreham. Très jeune également, il manifeste sa fascination pour l’exotisme en publiant dans un illustré les aventures d’un trois-mâts en Patagonie. Il voudrait être marin mais, répondant au vœu de ses parents, entreprend des études de médecine. Il voyage avec son père en Europe du Nord et en Scandinavie, ainsi qu’en Espagne et au Maroc, mais il conservera la phobie des pays chauds. En 1888, c’est en qualité de médecin auxiliaire qu’il effectue son service militaire dans les chasseurs alpins. Interne des hôpitaux en 1891, il entre à la Salpêtrière puis, en 1895, docteur en médecine, à l’hôpital Saint-Antoine.
En 1892, il achète son premier bateau, un sloop de 8 mètres. L’année suivante, alors que son père vient de mourir, il se fait construire un cotre de 20 mètres et le baptise Pourquoi Pas ? Ce sera le nom de quatre navires successifs de Jean-Baptiste Charcot.
Médaillé aux Jeux olympiques de 1900
En 1896, il épouse Jeanne Hugo, la petite-fille de l’écrivain, divorcée de Léon Daudet, son camarade de l’Ecole de médecine. Charcot revend le Pourquoi Pas ?, en fait construire un deuxième, puis un troisième avec lequel, en 1897, il remonte le Nil en compagnie du milliardaire américain Vanderbilt. En 1900, aux Jeux olympiques de Paris, il est double médaillé d’argent dans l’épreuve de voile. Ayant encore changé de navire, il effectue une série de croisières scientifiques dans les Shetland, aux Hébrides, aux îles Féroé, et franchit pour la première fois le cercle polaire arctique en 1902.
Entre 1903 et 1910, sur ses deux nouveaux bâtiments, Le Français , un trois-mâts goélette de 32 mètres, et le Pourquoi pas ? IV, un bateau d’exploration polaire de 40 mètres gréé en trois-mâts et équipé d’une machine auxiliaire à vapeur, il effectue plusieurs missions dans l’Antarctique. Il en revient avec une moisson impressionnante, ayant reconnu des milliers de kilomètres de côtes, établi des cartes et effectué des relevés dans des domaines scientifiques multiples : météorologie, magnétisme, glaciologie, zoologie, etc.
Après avoir divorcé de Jeanne Hugo, Charcot se remarie, en 1907, avec Marguerite Cléry, un peintre qui l’accompagnera dorénavant dans ses voyages. Depuis 1902, il est médecin de réserve de la Marine. Lorsque éclate la Grande Guerre, il est mobilisé et affecté à l’hôpital maritime de Cherbourg. En 1915, l’Amirauté britannique lui confie toutefois le commandement d’un baleinier armé par un équipage franco-anglais et chargé de surveiller les îles Féroé, que l’on soupçonne de servir de bases aux sous-marins ennemis. De 1916 à 1918, il croise le long des côtes bretonnes et normandes, au service de la Marine française, cette fois, sur des cargos banalisés, eux aussi chargés de la chasse aux sous-marins allemands. Charcot termine le conflit avec une décoration britannique, la croix de guerre française et une citation à l’ordre de la Marine.
La paix revenue, le Pourquoi Pas ? est définitivement transformé en navire de recherche scientifique, et affecté à des missions en Atlantique Nord, dans la Manche et en Méditerranée. Charcot est nommé capitaine de frégate en 1923 mais, deux ans plus tard, atteint par la limite d’âge, il perd son commandement. Il reste néanmoins à bord en tant que chef de mission.
Des obsèques nationales à Notre-Dame de Paris
Membre de l’Académie des sciences, de l’Académie de marine et de l’Académie de médecine, le « commandant Charcot », alors au sommet de sa gloire, est une sorte de légende vivante qui fait la liaison entre les milieux scientifiques et le monde de la mer, dans lequel l’élément militaire reste prédominant à l’époque.
Le 16 septembre 1936, de retour du Groenland où il est allé livrer du matériel au jeune Paul-Emile Victor, le Pourquoi pas ? est pris dans une effroyable tempête au large de l’Islande. Charcot, qui navigue depuis plus de cinquante ans, comprend que cette fois sera la dernière : son navire se fracasse sur les récifs d’Alftanes, laissant 23 morts, 17 disparus et un survivant. Le 12 octobre suivant, les dépouilles retrouvées ont droit à d’émouvantes funérailles nationales à Notre-Dame de Paris. À l’issue de la cérémonie, Jean-Baptiste Charcot est enterré au cimetière Montmartre. C’est là, sur les hauteurs de la capitale, que repose le dernier explorateur français. ¡
Jean Sévillia http://www.jeansevillia.com
* Le Français au pôle Sud & Le Pourquoi Pas ? dans l’Antarctique , de Jean-Baptiste Charcot, Arthaud.
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