Le 25 mars 1821, en Grèce, l'archevêque de Patras donne le signal de la rébellion contre la tutelle ottomane.
En moins de dix ans mais au prix de grandes souffrances et avec le
concours précieux des Occidentaux, les Grecs vont obtenir l'indépendance
d'une petite partie de leurs terres, incluant l'Attique (Athènes), le
Péloponnèse et le sud de l'Épire.
Le nouvel État balkanique, pauvre, de tradition byzantine et aux contours indécis, va dès lors se bâtir une identité nationale en cultivant le souvenir de l'Antiquité et en appelant les riches Grecs de la diaspora à le rejoindre.
Joseph Savès.
La célèbre toile d'Eugène Delacroix,
présentée au Salon de 1824, évoque de cruels massacres qui firent
70.000 victimes en avril 1822. Elle a contribué à faire pencher
l'opinion occidentale en faveur des Grecs et à déclencher en 1827
l'opération anglo-franco-russe de Navarin, de même qu'une autre toile
très célèbre du même artiste : La Grèce sur les ruines de Missolonghi (1826, musée de Bordeaux).
Entre faveur et oppression
Après la chute de l'empire byzantin et la prise de Constantinople
en 1453 par les Turcs, les Grecs ont appris à vivre sous l'autorité du
sultan ottoman. Leur sort est, il est vrai, très différent selon qu'ils
appartiennent à la bourgeoisie citadine ou à la paysannerie.
La bourgeoisie commerçante regroupée autour du patriarche grec de Constantinople, dans le quartier du Phanar
conserve une grande influence à la cour du sultan en raison de sa
richesse et de son rôle d'intermédiaire entre l'administration ottomane
et les sujets chrétiens de l'empire (ils sont majoritaires dans la
capitale elle-même jusqu'à la la Grande Guerre).
Ces bourgeois que l'on appelle Phanariotes obtiennent même
le droit d'administrer pour leur compte les provinces roumaines
semi-autonomes de Valachie et de Moldavie. Mais leur prospérité demeure
fragile et subordonnée au bon vouloir et aux caprices du sultan.
Tout autre est le sort des paysans et des villageois grecs, tant en
Asie mineure qu'en Grèce continentale et dans le Péloponnèse. Ceux-là
sont durement exploités par les fonctionnaires ottomans, par ailleurs
incapables d'assurer la sécurité indispensable au développement
économique et social.
Rébellions brouillonnes
Dès le XVIIIe siècle, les tsars de Russie lorgnent avec convoitise
sur l'empire ottoman, en rapide déclin, et instrumentalisent à leur
profit leurs affinités religieuses avec les Grecs orthodoxes.
C'est ainsi qu'en 1770, Catherine II
pousse à la rébellion les paysans du Péloponnèse mais les lâche presque
aussitôt en concluant avec le sultan le traité de Kütchük-Kaïnardji.
Elle récidive en 1786 avec les Souliotes d'Épire (nord-ouest de la
péninsule), lesquels sont férocement écrasés par le pacha de Janina, Ali pacha.
À la fin du XVIIIe siècle et au début du XIXe siècle, des Grecs
libéraux, sensibles aux idéaux de la Révolution française, commencent à
rêver d'indépendance. Le déclin de l'empire ottoman et l'occupation des
îles Ioniennes par les Français, à partir de 1797, les y incitent.
Le tsar de Russie Alexandre 1er se montre lui-même réceptif à leurs
revendications. L'un de ses aides de camp grecs, Alexandre Ypsilanti,
prend la tête d'une association secrète de notables grecs des bords de
la mer Noire, l'Hétairie.
En 1821, il tente de soulever les chrétiens de Roumanie. C'est un
échec, ces derniers n'éprouvant guère de sympathie pour les Grecs qui
les ont longtemps exploités.
La même année, un autre appel à la révolte est lancé par Ali pacha.
Celui-ci est entré en rébellion contre le sultan. En s'alliant avec ses
anciennes victimes, il tente de se sortir du siège de la forteresse de
Janina (Épire) par les armées du sultan. Son appel est mieux entendu que
le précédent.
Douloureuse guerre d'indépendance
Finalement, l'insurrection décisive part du Péloponnèse et plus
précisément de Patras, un grand port situé à l'ouest de la péninsule, où
l'apôtre Saint André aurait été martyrisé. Elle est déclenchée par l'archevêque Germanos.
Les Grecs commencent par massacrer des Turcs de leur région. Et les
Turcs ripostent en massacrant des Grecs d'Istamboul ! Il s'ensuit une
très dure guerre. Elle est d'abord favorable aux Grecs qui s'emparent
d'Athènes et des îles de la mer Égée.
Un congrès national réuni à Épidaure, au coeur du Péloponnèse,
proclame l'indépendance unilatérale de la Grèce dès le 12 janvier 1822
et appelle à l'aide les nations chrétiennes. Mais les insurgés ne
tardent pas à s'affaiblir du fait des luttes intestines entre factions
et les Turcs reprennent l'offensive dès le mois suivant.
Ils viennent à bout de la rébellion d'Ali Pacha et, en avril 1822,
massacrent la population de l'île de Chio, ce qui suscite l'indignation
de l'opinion occidentale. Les gouvernements européens n'entendent pas
pour autant intervenir, en vertu du principe de légitimité défendu par
la Sainte Alliance. Mais de nombreux Européens s'engagent comme volontaires aux côtés des insurgés grecs.
Le sultan Mahmoud II, qui n'arrive pas à mettre fin à l'insurrection,
fait appel à son vassal, le vice-roi d'Égypte Méhémet Ali. Celui-ci lui
envoie une armée commandée par son fils Ibrahim pacha, avec une flotte
formée par... des spécialistes français rescapés de l'équipée napoléonienne.
Les troupes égyptiennes occupent la Crète puis reconquièrent le
Péloponnèse et assiègent Athènes. Elles remontent le long du golfe de
Corinthe jusqu'à Missolonghi. Le poète anglais Lord Byron,
qui fait partie des volontaires étrangers, meurt de maladie pendant le
siège de la forteresse. Les défenseurs se font finalement sauter plutôt
que de se rendre le 25 avril 1826. À Athènes, l'Acropole défendue par le
colonel français Fabvier résiste jusqu'au 5 juin 1827.
La guerre a déjà fait 200.000 morts parmi les Grecs.
Les Occidentaux interviennent
En Occident et en France en particulier, des comités de philhellènes
se multiplient dans les milieux libéraux, appelant les gouvernements à
intervenir aux côtés des Grecs contre les Turcs. Les gouvernements
occidentaux s'y décident à contrecoeur. La France, l'Angleterre et la
Russie font une offre de médiation le 6 juillet 1827 mais le sultan la
repousse... On est dans l'impasse.
Faute de mieux, les Occidentaux envoient une flotte conjointe vers le
Péloponnèse. Il ne doit s'agir que d'une démonstration de force mais,
dans le golfe de Navarin, celle-ci va dégénérer en bataille navale. La flotte turco-égyptienne est détruite.
Pour ne rien arranger, les troupes russes s'apprêtent là-dessus à envahir le territoire ottoman...
Enfin l'indépendance
Le sultan Mahmoud II se résigne à signer un traité à Andrinople, le
14 septembre 1829, par lequel il reconnaît à la Grèce une très large
autonomie.
Par le protocole de Londres
du 3 février 1830, il confirme l'indépendance d'une partie de la Grèce
historique. Le nouvel État est limité au Péloponnèse, à la région
d'Athènes et aux îles Cyclades (au total à peine 700.000 habitants, soit
beaucoup moins que l'ensemble des communautés grecques dispersées dans
le reste de l'empire ottoman). Pour les habitants de cette petite Grèce,
c'en est fini de quatre siècles d'occupation ottomane.
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