Au pied du kopje d’isandhlawana restent en position
d’attente, sous les ordres du lieutenant-colonel Pulleine, 5 compagnies
du 1er bataillon et une compagnie du 2ème bataillon du 24th, deux pièces
d’artillerie, des unités du NNC. Des centaines de chariots sont là
aussi, avec leurs conducteurs boers. C’est toute la logistique de la
colonne centrale d’invasion du Zoulouland. La logique, et l’intelligence
des expériences boers voudraient que l’on fasse de ces chariots un
énorme laager. Mais c’est impossible pour plusieurs raisons : d’abord la
colonne et ses éléments en projection se veulent en mouvement : le
temps de positionner un laager de près de 300 chariots représenterait
une perte de temps inacceptable. Ensuite, l’ennemi ne semble pas à
proximité. Pas à proximité …
Dans la matinée rejoignent le colonel Durnford et ses cavaliers, plus
de 300, composés essentiellement de Sikhalis, de cavaliers basoutos, et
d’éléments des milices frontalières. Des deux unités, celle la plus
exposée est sans conteste celle de Lord Chelmsford, qui s’avance par
échelons dégradés, son artillerie de quatre pièces n’arrivant pas à
suivre le rythme général de marche en raison des nombreux dongas à
traverser. Mais le danger n’est pas en plein nord, là ou vont le général
et ses troupes. Il va arriver d’une direction imprévue, de l’est et du
sud-est du kopje. Le grand Impi, fort de 20.000 à 25.000 guerriers, a
accompli une progression magistrale par sa rapidité.
Il a contourné par la droite la ligne de pénétration anglaise, et se
rabat brutalement, depuis le plateau Nkutu, sur le camp principal.
Vraisemblablement, les uns et les autres se cherchaient. Les
britanniques n’avaient pas pris en compte que, comme eux, les Zoulous
auraient comme réflexe stratégique d’aller au contact, au lieu
d’attendre l’offensive ennemie. Tout aussi vraisemblablement, les
Zoulous ne pensaient pas avoir la chance inouïe de tomber sur le camp
principal de la colonne centrale, n°3 dans l’organigramme, dégarnie de
la moitié de son effectif. Face à toute l’unité, ils auraient de toute
manière chargé, au risque de subir ce qui leur adviendra plus tard
à Ulundi.
Toujours est-il que, le destin faisant, ce matin du 22 février, le
camp d’Isandhlwana, regroupant plus de 300 chariots et des centaines de
tentes, se trouve défendu par une troupe réduite d’environ 1000
britanniques, 600 noirs du NNC, et les conducteurs de chariots boers.
Cette force, voulant défendre la totalité du périmètre, se disloquera de
manière mortelle. Si au pied du kopje trois compagnies anglaises
prennent position en restant relativement proches, ce qui est déjà une
erreur grave, les trois autres compagnies, en équerre, sont carrément
séparées les unes des autres par plusieurs centaines de mètres.
L’articulation est constituée des deux pièces d’artillerie, protégée
en avant par des compagnies du NNC qui, terrifiées, ne tiendront pas
face à la charge général du « poitrail ». Car l’Impi développe sa
tactique classique, du poitrail et des deux cornes. Durnford et ses
cavaliers partent en avant vers le plateau N’Kutu : ils sont les
premiers à découvrir le gigantesque impi qui se déploie à toute vitesse
par les vallées encaissées, les « dongas », qui environnent le camp.
Le colonel fait mettre pied à terre : ses hommes, regroupés au bord
d’une crête de donga, lancent alors un feu nourri sur les impis qui
s’avencent face à eux. Mais le tir de moins de 300 hommes ne peut
arrêter plusieurs milliers de guerriers, d’autant plus que dans le même
temps d’autres impis déploient leur propre progression et commencent à
dépasser les cavaliers basoutos. Il faut en catastrophe remonter en
selle et repartir vers le camp principal.
Les tirs, sporadiques puis de plus en plus soutenus, ont mis en
alerte le lieutenant-colonel Pulleyne et ses officiers : les compagnies
du 24th sont mises sous les armes, puis rapidement reçoivent l’ordre de
se déployer afin de protéger le camp, ses chariots et son hôpital de
campagne. Les deux pièces d’artillerie servent de pivot de tir général.
Une unité de lance-fusées est positionnée en avant de la 3ème compagnie
du 1er bataillon. Le tir des Anglais est précis et meurtrier : les
premières lignes des impis sont fauchées et l’ensemble du dispositif
zoulou se met à flotter. Mais, au centre de la position de défense, ce
sont les noirs du NNC, dramatiquement sous-équipés, et terrorisés par
leurs ennemis ancestraux, qui sont déployés pour constituer la charnière
entre les compagnies anglaises. Cette charnière se désintègre
littéralement face à la charge zoulou. Les compagnies du 24th se
retrouvent isolées, trois d’un côté, les autres de l’autre côté du camp.
Trop sûrs d’eux, les officiers ont déployé certaines unités à
plusieurs centaines de mètres les unes des autres. Dans ces intervalles,
les Zoulous, par dizaines puis par centaines, se précipitent. Chaque
compagnie est comme un môle de résistance, et tant que les munitions
sont disponibles, inexpugnable à près de deux cent mètres. Mais les
cartouches viennent à manquer. Les clairons des compagnies sont envoyés
dans le camp pour réapprovisionner, mais ne parviennent pas, pour la
plupart, à retrouver leurs chariots de compagnies dans la cohue.
D’autres seront repoussés par ce qu’ils ne sont pas au chariot de leur
compagnie. Et puis il faut ouvrir les caisses. Ces caisses de munitions,
marquées de la flèche du WD, le War Department, nécessitent des
tournevis pour les ouvrir : pas de tournevis dans les chariots.
Il faut, au deuxième bataillon, qu’un capitaine revenu à cheval,
donne l’ordre d’éventrer les caisses à coup de baïonnettes. Le
sergent-major, horrifié, injurie les troupiers : qui lui signera les
bons de transfert des cartouches dont il est responsable ? Trop tard,
les Zoulous sont déjà dans les intervalles et arrivent en courant dans
le camp. C’est un massacre. A chaque fois qu’une compagnie cesse son feu
par manque de munitions, elle est immédiatement chargée par plusieurs
centaines de guerriers et est anéantie sur place.
Face à cette marée humaine qui attaque de partout, aucune unité ne
parvient à se replier. Le temps mis à mettre la baïonnette au canon est
déjà mortel : les Zoulous sont au contact et, à coup d’Iklwa, éventrent
les habits rouges. De part et d’autre, quelques dizaines de combattants
parviennent à se replier dans le camps principal : c’est pour y trouver
d’autres centaines de zoulous qui ont débordé les positions de tous les
côtés. L’encerclement de part et d’autre de l’Isandhlwana ne laisse
aucune chance, ou très peu, aux fuyards.
De cette bataille, deux témoignages permettent de se rendre compte de
l’effet qu’elle eut. Un guerrier zoulou dira des années plus tard : « quel courage ces casques blancs : aucun n’a tourné les talons ! ». Lord Chelmsford, pour sa part, revenant sur le lieu du désastre au soir du 22 janvier, dira, effondré : « je ne comprends pas, j’avais laissé plus de 1 000 hommes ici » …
Vers 15h30 ce 22 janvier, tout est consommé au pied de l’Isandhlwana.
Quelques poignées de survivants tentent désespérément de rejoindre et
passer la Tugela. La plupart sont rattrapés et massacrés à leur tour,
car l’Induna Dabulamanzi, à la tête d’un Impi regroupant environ 4500
combattants, a effectué par l’arrière du kopje un mouvement rabattant
accomplissant l’encerclement mortel. Mais Dabulamanzi ne s’arrête pas
là. Ses régiments traversent à leur tour la rivière, et fondent à partir
de 16h30 sur le minuscule poste fortifié de Rorke’s Drift, une ancienne
ferme transformée en mission, et servant aujourd’hui de dépôt à la
colonne n°3.
La question s’est posée de savoir si l’Induna, emporté par son élan,
n’avait pas transgressé un ordre qu’aurait donné le roi zoulou,
Cetshwayo, interdisant à ses guerriers de rentrer au Natal. Un frère du
roi, dont le régiment n’avait pas voulu suivre la progression de
Dabulamanzi parce qu’il voulait relever ses blessés à Isandhlwana,
n’évoqua jamais, après le conflit, l’existence d’un tel ordre.
Dabulamanzi lui-même ne semble pas avoir attiré sur lui la colère de son
souverain après le combat de Rorke’s Drift.
L’on peut donc se demander si un tel ordre a jamais existé, même si
la fameuse discipline zouloue avait ses limites : Cetshwayo avait donné
l’ordre de ne tuer que les tuniques rouges, et pas un seul artilleur
n’est revenu vivant de l’Isandhlwana … Les rares officiers et hommes qui
survécurent le durent moins aux tuniques bleues ou beiges qu’ils
portaient, qu’à la rapidité de leurs chevaux. Quand au NNC, qui ne
portait pas, et pour cause, la fameuse tunique rouge, il perdit sur
place plus de 450 des siens.
Toujours est-il qu’à Rorke’s Drift, une centaine d’hommes d’une
compagnie du 24th, une trentaine de blessés des divers contingents
expéditionnaires, et un officier du génie vont voir arriver sur eux un
véritable cataclysme humain.
Ce petit contingent, qui n’avait pas d’autre mission que de servir de
garnison de recueil, est commandée par le lieutenant Chard, qui s’est
vu accompagné du lieutenant Bromhead, RE, c’est-à-dire des Royal
Engineers, le génie militaire de l’armée britannique. Comme elle est
étrange, cette armée victorienne : parce que le lieutenant Bromhead est
plus ancien en grade de quelques mois, quoique d’un corps différent, le
lieutenant Chard lui transmet le commandement de sa compagnie et se met
sous ses ordres.
Cette décision va sauver Rorke’s Drift et, accessoirement, les
soldats qui s’y trouvent. En technicien du génie qu’il est (il déclarera
plus tard : je ne suis venu ici que pour bâtir un pont sur la rivière),
Bromhead met en état de défense le périmètre avec les moyens du bord,
deux chariots que l’on renverse et … des centaines de caisses de biscuit
prévus pour des compagnies qui, les malheureuses, n’en auront plus
jamais besoin. Il fait ainsi bâtir un périmètre de défense qui s’avèrera
inexpugnable, d’autant plus que la compagnie d’infanterie dispose d’un
impressionnant stock de cartouches, également en réserve du corps
d’expédition.
Au cours d’un siège hallucinant de plus de 40 heures de combats
acharnés, les Britanniques vont tirer plus de 20 000 cartouches, et
faire subir un sanglant échec à l’impi de l’induna Dabulamanzi. Le plus
surpris, le lendemain, sera Lord Chelmsford lui-même qui, en plein
repli, s’attendait à trouver un tas de cendres, et est accueilli comme
le sauveur par les survivants de la garnison de Rorke’s Drift. Pour
saluer ce fait d’arme exceptionnel qui efface un peu le désastre de
l’Isandhlwana, onze Victoria Cross seront décernées, ce qui fera de
cette petite troupe l’unité la plus décorée de l’histoire de l’armée
anglaise. Effet secondaire : le Natal avait été préservé d’une
potentielle invasion zouloue, et ce alors même que la panique avait
gagné la population de Pietermaritzburg, totalement dégarnie de troupes.
Alors que la colonne centrale et celle du colonel Durnford
connaissaient un funeste sort, les unités composant les colonnes
d’invasion latérales, commandées par les colonels Pearson (au sud) et
Wood (au nord) s’engageaient en Zoulouland mais n’étaient pas en
situation de créer la décision stratégique majeure. Pearson, à Eshowe,
va démanteler par le feu de ses compagnies plusieurs impis. Il s’y
retranchera et attendra des ordres qui n’arriveront que de manière bien
parcellaires et même dans un premier temps à la limite du
compréhensible. Il se repliera finalement au bout de quelques semaines
en laissant sur place une garnison qui tiendra la position de manière
magistrale.
Wood, au nord, va être engagé dans des combats tout aussi brutaux. Il
perdra presque toute sa cavalerie lors du combat terrible de l’Hlobane,
mais à Khambula, bien retranché comme Pearson, va faire subir aux
régiments zoulous des pertes sanglantes. Pendant ce temps, les nouvelles
sont parvenues en Angleterre. En Afrique Australe, il se passe des
choses graves. Il faut envoyer des renforts. Et ces renforts vont
affluer ! De mars à mai 1879 vont arriver au Natal deux régiments de
cavalerie dont le célèbre 17ème lanciers, plusieurs bataillons
d’infanterie dont des unités écossaises d’élite, en kilt et casque
colonial, arrivant des Indes, et la marine va s’y mettre en débarquant
plusieurs centaines de combattants formés en deux brigades navales
accompagnant leurs canons à balles de type Gardner.
Fin mai 1879, Lord Chelmsford dispose d’un corps expéditionnaire
d’une puissance phénoménale, que lui-même n’avait pas demandé. Il avait
réclamé un soutien d’état-major à Londres, on lui dépêche quatre
majors-généraux dont il ne sait que faire. Et un officier
« observateur » arrive au Natal, dont la présence n’enchante personne au
sein du corps expéditionnaire : Napoléon Eugène Louis Bonaparte.
Entretemps, courant mars a eu lieu un autre combat désastreux. La
compagnie d’infanterie du capitaine Moriarty, disposée de manière
absconse de part et d’autre d’un cours d’eau, est presque anéantie sur
place par la charge brutale d’un régiment zoulou au petit matin.
Décidément, le Zoulouland aura dévoré de nombreux casques blancs …
Fin mai 1879, Lord Chelmsford a reconstitué une force attaquante
massive, en prenant en compte les leçons du désastre du 22 janvier et
des semi-échecs des semaines qui suivirent, comme aussi des combats
gagnés face aux impis. Plus question de se disperser, ni de jouer au
contrôle total d’un périmètre trop grand avec des colonnes
expéditionnaires incapables de se soutenir mutuellement. Chelmsford en
revient aux fondamentaux : l’on marchera sur un seul axe, en une seule
colonne suréquipée, dans l’objectif finalement assez simple d’attirer à
soi l’ennemi pour le détruire d’un seul coup.
La guerre de type coloniale obéit par expérience à des règles qui
n’ont aucun rapport, en principe, avec ce que l’on apprend à Sandhurst,
West Point ou Saint-Cyr. Face à des peuplades sous-équipées, l’usage
s’est développé depuis le XVIIIème siècle d’opposer de petites colonnes
de troupes réglées, d’abord par manque de moyens, ensuite parce que
l’armement des uns par rapport à celui des autres a atteint un tel
niveau de déséquilibre qu’a priori, 150 types armés de fusils sont en
mesure de vaincre plusieurs centaines de combattants équipés des moyens
du bord, sagaies, arcs et flèches, voire au mieux deux ou trois flingots
un rien rouillés.
Certes. Ca marche souvent. Le souci est que, quand ça ne marche pas,
le résultat est sans appel : Isandhlwana est évidemment le cas type, et
même extrême. Mais à la Little Big Horn en 1876, les cavaliers du 7th
ont été surclassés et anéantis par des guerriers indiens qui avaient
aussi, pour certains, des fusils (et savaient s’en servir).
A Maiwand, en Afghanistan, dans pas longtemps, 2500 anglo-indiens
vont être vaincus sans appel par une armée afghane supérieurement
commandée. Le 66th foot sera détruit sur place : 16 survivants et la
mascotte du régiment, un chien, qui seront plus tard présentés à la
Reine (y compris le chien). Lord Chelmsford, en ce début juin 1879, a
donc fort sagement décidé de ne plus prendre aucun risque, parce que ça
va bien comme ça !
Il entre donc à nouveau en Zoulouland avec l’essentiel et le reste,
des fois que … Infanterie en nombre, cavalerie complétée par le 17th
lanciers et un régiment de dragons, et surtout des canons de campagne,
et des canons à balles Gatling et Gardner : ça peut toujours servir, et
ça servira. Tout est prévu et organisé pour que les choses se passent au
mieux. Comment le malheureux Lord aurait-il pu prévoir qu’une
escarmouche secondaire allait déclencher un désastre politique et, pour
lui, un limogeage en règle ?
L’empereur Napoléon III fut après le Régent Philippe d’Orléans le
premier chef d’Etat français à développer une véritable politique
amicale avec l’Angleterre. La ou le Régent avait échoué, l’empereur fut
servi par le contexte international des débuts de son règne avec la
guerre de Crimée, son sens politique, et le développement d’une amitié
personnelle durable entre le couple impérial français et le couple royal
anglais. Lorsqu’en 1870 tout s’effondre après Sedan, l’impératrice et
son fils trouveront refuge en Angleterre, en quittant la France dans des
conditions qui font d’ailleurs honte (mais bref …). L’empereur déchu
les rejoindra en Angleterre. La Reine Victoria sera avec eux d’une
grande élégance.
Le jeune Napoléon Louis intègre ainsi une école militaire, et se
spécialise dans l’artillerie, par volonté atavique de référence à « la
grande ombre » de Napoléon Ier ; cependant sa passion est la cavalerie.
C’est un cavalier émérite. Il désire aussi servir aux armées, mais deux
forces politiques majeures s’y opposent farouchement : le gouvernement
de la toute jeune troisième république, qui est révulsée à l’idée qu’un
Bonaparte revienne un jour en France sous les traits d’un grand
militaire, et le gouvernement anglais de Disraeli, d’une grande
prudence, qui n’a aucune envie de se créer des complications diverses en
la matière.
En mars 1879, Napoléon Louis assiste à la mobilisation des jeunes
officiers, dont certains camarades, qui partent au Zoulouland. Il
demande à partir aussi. La réponse est évidemment non … Alors il tanne
sa mère, très proche de la Reine. L’impératrice Eugénie est inquiète,
mais se laisse convaincre par son fils qu’elle adore. Une audience aura
lieu devant la Reine. Ordre est donné que le jeune prince impérial soit
intégré au corps expéditionnaire. Le premier ministre Disraeli est en
rage. Il n’a pas tort, son destin politique va prendre un rude coup dans
l’affaire. Le jeune prince arrive fou de joie en Afrique Australe. Il
est à peu près le seul.
En Angleterre Disraeli ne décolère pas, et le War Office fait savoir
par câble à Chelmsford qu’il serait fort opportun que le jeune Bonaparte
soit éloigné autant que possible de toute forme de combat, le tout
évidemment sous la responsabilité du commandant en chef britannique. Ca
tombe bien, il n’a rien d’autre à faire … En France, l’information a été
relayée au quai d’Orsay par l’ambassadeur à Londres. Ce n’est rien de
dire qu’elle crée une certaine émotion !
Evidemment, il n’est pas question de confier une batterie
d’artillerie au prince, ce serait trop dangereux. Dans un premier temps
il est donc affecté comme officier à la suite de l’état-major de
Chelmsford. Mais ce dernier a deux ou trois autres choses à penser, et
au bout d’un moment commet l’erreur fatale de se débarrasser du jeune
homme en le confiant au colonel Harrisson. Harrisson est un homme seul …
Il est sensé organiser la nouvelle invasion du Zoulouland en termes
d’étapes et de repérages préalables. Son souci, au demeurant léger, est
qu’il est véritablement seul, dans un premier temps, puisqu’aucun
officier ne lui est adjoint.
Idée géniale : avec un officier anglais sans commandement, on lui
refile au passage le prince impérial. Ce n’était finalement pas une
bonne idée, car ainsi le garçon qu’il fallait protéger avant tout se
retrouve affecté à un service qui induit des reconnaissances en
territoire ennemi. Le 1er juin 1879 meurt en Zoulouland le fils de
Napoléon III, massacré au cours d’une obscure escarmouche. Surpris par
une charge brutale d’une quarantaine de guerriers, il ne parvient pas à
remonter sur son cheval. La selle lâche. Le corps sera retrouvé percé de
17 coups de sagaies, toutes portées de face, et fera l’objet le 3 juin
d’une cérémonie funéraire militaire dont il nous est resté un émouvant
cliché photographique.
Beaucoup de bêtises ont été racontées sur cette affaire, au premier
rang desquelles la légende selon laquelle l’impératrice Eugénie, par
pingrerie, aurait laissé son fils partir en Afrique avec une selle de
mauvaise qualité. La réalité est autre : Napoléon Louis avait voulu
partir avec la selle qu’avait son père à la bataille de Solférino … 20
ans avant. L’équipement avait dangereusement vieilli. En revanche, une
chose est sûre : Chelmsford comprend tout de suite l’ampleur du désastre
diplomatique, et cette mort au combat d’un seul homme va faire plus de
dégâts pour lui que les 1500 morts d’Isandhlwana.
Le couperet se met en effet alors à tomber. En Angleterre, Lord
Disraeli, complètement dépassé par un ras-de-marée de l’opinion et de
son opposition, essaye désespérément de s’en sortir par l’une des plus
belles sorties de l’histoire parlementaire britannique : « qui sont
ces hommes, qui sont ces Zoulous qui battent nos généraux, convertissent
nos évêques, et viennent de mettre fin à une dynastie ? »
Las, l’effet de manche et l’envolée verbale ne suffisent pas :
Disraeli et son gouvernement sont mis en difficultés par une campagne de
presse d’une rare violence : comment a-t-on pu commettre la criminelle
bévue de laisser ainsi partir dans un endroit aussi exposé que le
Zoulouland le prince impérial ? De quoi a l’air la Grande-Bretagne, hôte
de la malheureuse famille impériale, maintenant qu’elle a envoyé à la
mort le fils de Napoléon III ? Après la catastrophe d’Isandhlwana, la
mort du prince impérial est la goutte d’eau qui fait déborder le vase.
Il faut savoir que dans l’Angleterre parlementaire du XIXème siècle,
les généraux, si anoblis soient-ils, suivaient le destin des
gouvernements auxquels ils se rattachaient par affinités politiques
et/ou familiales. Si l’échec d’un général mettait le gouvernement en
péril, le militaire en faisait clairement les frais. Et c’est la perte
du Prince impérial, non les échecs du début de la campagne, qui vont
précipiter la décision. Pour Lord Chelmsford, nommé à l’époque de Lord
Carnavon, la messe est en train de se dire. Le général Wolseley,
lui-même un dur à cuire et qui se couvrira de gloire dans pas longtemps
dans le sud égyptien, est envoyé au Natal pour remplacer Chelmsford.
Il faut cependant à l’époque un certain temps pour faire le voyage
jusqu’au Natal, et Chelmsford est avisé par cable de son remplacement
alors qu’il déclenche sa deuxième invasion. Autant pour des raisons
personnelles bien compréhensibles que par l’évidence de la situation,
Lord Chelmsford va donc mettre son plan en action. Il aurait pu aussi
tout arrêter, en pleine offensive, en attendant son successeur, et alors
on n’aurait pas fini de gloser sur lui. C’est ainsi que, le 4 juillet
1879, Chelmsford approche du kraal royal d’Ulundi à la tête d’une force
de plusieurs milliers d’hommes qui vont être confrontés au dernier grand
Impi de l’histoire zouloue, fort d’environ 24 000 combattants. L’ordre
de bataille anglais est impressionnant, et, pour tout dire, victorien.
Qu’on en juge, seront présents à la bataille d’Ulundi les unités
suivantes :
- 10 pièces d’artillerie du Royal Artillery,
- 2 canons Gatling servis et accompagnés par la « brigade navale », unité constituée d’éléments fournis par la flotte,
- le 1er bataillon du 13th light infantry,
- le 2ème bataillon du royal scots fusiliers,
- les 58ème, 80ème, 90ème (Perthshire, régiment écossais) et 94ème régiments, représentés par leurs bataillons d’opérations extérieures,
- et le 17ème lanciers, en tunique bleue et casque colonial à pointe, dont l’on voit par erreur des représentants dans le film « zulu dawn » : c’est pas vrai, mais c’est tellement beau …
- 10 pièces d’artillerie du Royal Artillery,
- 2 canons Gatling servis et accompagnés par la « brigade navale », unité constituée d’éléments fournis par la flotte,
- le 1er bataillon du 13th light infantry,
- le 2ème bataillon du royal scots fusiliers,
- les 58ème, 80ème, 90ème (Perthshire, régiment écossais) et 94ème régiments, représentés par leurs bataillons d’opérations extérieures,
- et le 17ème lanciers, en tunique bleue et casque colonial à pointe, dont l’on voit par erreur des représentants dans le film « zulu dawn » : c’est pas vrai, mais c’est tellement beau …
L’ensemble du corps de bataille, avec les unités auxiliaires, dépasse
les 4000 hommes. Formés en carré, ils ne laisseront aucune chance à
l’Impi, qui vient se faire littéralement hacher par le feu des fusils,
des canons et des Gatling, à plusieurs centaines de mètres des lignes.
La formation du « square » anglais n’est pas sans rappeler à Ulundi
la tactique qu’avait employé en plus complexe le maréchal Bugeaud à la
bataille de l’Isly, face à Abdel Kader. Les bataillons d’infanterie sont
soutenus de part et d’autre par des canons et, innovation, les fameux
canons à balles Gatling et Gardner, ancêtres des mitrailleuses. La
cavalerie est disposée à l’intérieur même de la formation, et attend que
le feu des fusils et canons ait disloqué l’ennemi pour charger dans les
intervalles de l’infanterie, et … terminer le travail. Le résultat est
sans appel.
Cetshwayo a regroupé auprès du kraal royal l’essentiel de son corps
de bataille. Ce sont près de 20 000 guerriers qui s’élancent contre le
carré anglais. La formation de défense des unités impériales empêche les
zoulous de développer leur tactique habituellle d’encerclement : ils
sont contraints de se déployer sur toutes les collines environnantes et
de charger, sans leur coordination de commandement traditionnelle, sur
les quatre angles du carré.
A huit cent mètres, l’artillerie anglaise fait des coupes sombres
dans les impis et, à moins de quatre cent mètres, les canons à balles
positionnés entre les bataillons se mettent de la partie. C’est un
massacre sans rémission pour les guerriers zoulous qui se font tailler
en pièces sans avoir la possibilité de venir au contact. Les feux de
files des compagnies d’infanterie accentuent alors le barrage de tir
anglais.
Lorsque certains impis, destructurés et décimés par le feu,
commencent à se replier, le 17th lancier charge alors, par compagnies,
en sortant du carré, accompagné des dragons : ce n’est plus alors une
bataille, mais une chasse au Zoulou. Le dernier grand Impi de l’histoire
zoulou a perdu près de la moitié de ses hommes ; il est démantelé et en
fuite. L’orgueil et la puissance zouloue sont brisés. La guerre du
Zoulouland est terminée … La crise sud-africaine commence, mais ceci est
une autre histoire !
Wolseley, arrivé après la bataille, aura la grande élégance de faire
part dans son rapport officiel de tous ses compliments pour la brillante
manoeuvre de Lord Chelmsford. Ce dernier rentrera en Angleterre ou il
finira honorablement sa carrière. Il ne commandera plus jamais de troupe
au combat.
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